Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante et essayiste, auteur de "Combattre le voilement" (Cerf, 2019). 24 juillet 2019
"Le burkini ne relève pas de la religion musulmane, mais bien du patriarcat arabo-musulman. Et le choix de ces femmes n’est-il pas piégé entre un paradis réservé aux voilées et l’enfer aux non voilées ?
Il n’est pas question d’interdire le burkini dans la loi française. Et encore moins au nom de la laïcité qui n’a rien à faire dans les piscines. Cela n’enlève rien à la légitimité de combattre ce vêtement pour ce qu’il est : de l’ingénierie textile mise au service du patriarcat arabo-musulman, qui fait du corps de la femme un organe génital total, un risque, l’arme et l’objet du crime. Il ne change pas de sens selon qu’il est porté dans les dictatures théocratiques ou dans les démocraties occidentales, selon qu’il est obligatoire ou non. Ici, les bonnes âmes et les islamistes le défendent au nom de la liberté des femmes à se vêtir comme bon leur semble, alors que dans les théocraties, le voilement est imposé au nom de leur statut second dans la société. L’orthodoxie religieuse ne s’est traduite nulle part par plus de droits, elle ne vise qu’à plus d’orthodoxie.
Le burkini ne relève pas de la religion musulmane. Il n’est pas un vêtement traditionnel ou culturel. Il a été créé en Australie parce que le capitalisme s’accommode de tous les obscurantismes, pour peu qu’il y ait un marché. Et quand bien même serait-il une tenue traditionnelle, pourquoi l’islam serait-elle la seule religion sous cloche qui ne pourrait être pratiquée que sous une forme unique, forcément ultra-orthodoxe ? Pourquoi serait-elle la seule religion à ne pas évoluer ? Comme l’écrivait la féministe algérienne Wassyla Tamzali : « Comment et où pouvons-nous trouver le droit d’être des femmes libres, sinon dans la résistance à notre culture, à nos traditions religieuses, quand elles sont contraires à ces principes ? A quoi ont-ils eux-mêmes arraché ces droits, sinon à leurs églises, leur religion, leur culture, leurs traditions ? » Pourquoi nous interdire ce que vous avez revendiqué ? A moins que vous ne pensiez que nous ne sommes pas assez rentrées dans l’histoire…
Le burkini ne vous concerne pas, vous ne le porterez pas. Mais il met sur les femmes musulmanes qui ne le portent pas une pression communautaire immense, elles se verront reprocher ou se sentiront coupables de ne pas le porter, puisque c’est possible, admis et même défendu par les bonnes âmes ! L’orthodoxie ne se vit toujours que dans le zèle et la surenchère. Il n’y a pas une seule façon d’être musulmane, il n’y a pas de bonnes musulmanes en burkini et de mauvaises musulmanes en maillot classique. Il y a des degrés différents d’orthodoxie qui ne doivent pas être mis en compétition pour définir la valeur d’une personne.
Il est un vêtement sexiste orthodoxe. L’orthodoxie est un choix respectable. La société n’a pas pour autant à s’y plier ou à l’encourager. Elle doit garantir l’égal accès aux opportunités. Si mon choix d’orthopraxie religieuse m’empêche de me saisir de ces opportunités, c’est à moi de l’assumer.
La liberté a été détournée. L’argument du « mon corps mon choix » qui avait permis aux femmes de défendre la maîtrise de leur fécondité est convoqué désormais pour défendre le voilement, la prostitution, la GPA. Cela permet de masquer le système de subordination sous les beaux atours du consentement. Or, je peux tout à fait consentir à renoncer à la liberté en optant pour un système de normes qui m’est objectivement défavorable. C’est mon choix. C’est un acte que je pose. Ce n’est pas de la liberté. Comme l’analyse brillamment Muriel Fabre-Magnan, le consentement ne saurait être le critère suffisant et exclusif de l’exercice de la liberté. Le monde du travail ne s’y est pas trompé et le met au cœur de la relation contractuelle, qui aboutit justement à priver de liberté celui qui consent, au bénéfice de l’employeur. Un consentement doit être libre, éclairé, réversible, fruit d’un arbitrage entre des propositions équivalentes du point de vue moral (l’alternative piégée entre le paradis réservé aux voilées et l’enfer aux non voilées) et en termes d’opportunités. Sans ces conditions, comme le contrat, il sanctuarise un rapport de force. Méfions-nous de cette fausse générosité qui consiste à défendre l’aliénation volontaire pour les femmes qui ne vous ressemblent pas et une dignité sans limite pour vous et les femmes qui vous ressemblent. Nous sommes vos égales, oui. Y compris en dignité. Ce qui n’est pas bon pour vous, vos femmes, vos filles, n’est pas bon pour nous. En défendant ce vêtement, vous défendez l’orthodoxie élaborée par les hommes. Vous ne défendez pas notre liberté."
Lire "Le burkini : un vêtement sexiste orthodoxe, signe d’inégalité".
Voir aussi "Grenoble : après l’affaire du burkini, elles ont choisi de quitter l’Alliance citoyenne" (Le Dauphiné, 18 juil. 19), "Un collectif de militantes féministes iséroises s’oppose au manifeste pro-burkini du Planning Familial 38" (france3-regions , 13 juil. 19), "Burkini : l’Association des femmes élues de l’Isère "lance un cri d’alarme"" (ledauphine.com , 6 juil. 19), "Grenoble : quand la gauche boit la tasse en burkini" (Charlie Hebdo, 10 juil. 19), "Grenoble : le laboratoire de la gauche écolo-progressiste prend l’eau" (Marianne, 5 juil. 19), "Tous à poil pour faire bouger Piolle !" (ledauphine.com , 24 juin 19), G. Chevrier : burkini, "protéger les musulmans pour qu’ils continuent d’avoir le choix" (Cnews, 24 juin 19), "Grenoble : nouvelle opération coup de poing de femmes en burkini dans une piscine" (AFP, lefigaro.fr , 23 juin 19), "À Grenoble, un coup de force pour faire entrer le burkini à la piscine" (Le Figaro, 23 mai 19), Grenoble : des femmes entrent de force en burkini dans une piscine (liberation.fr , 18 mai 19) (note du CLR).
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