Revue de presse

E. Conan : "Un islam français ? Simple, mais pas facile" (Marianne, 16 déc. 16)

22 décembre 2016

"[...] Depuis vingt ans les objectifs ont alterné déficit et excès d’ambition. Soit l’accommodement défaitiste, soit la prétention de faire de la France la matrice d’un « islam des Lumières » dont le monde musulman n’a pas réussi à accoucher en quatorze siècles. Ces objectifs contradictoires partagent la même erreur : s’adresser à un illusoire islam unique alors qu’il a été importé avec ses divisions pouvant aller jusqu’à la guerre civile interne. Il n’y a pas de « communauté musulmane » et l’obsession de trouver un seul interlocuteur était vaine : le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) n’est pas seulement miné par les conflits mais méprisé par ceux qui condamnent cette collaboration avec la mécréance républicaine.

Il faudrait inverser la méthode : plutôt que de ramener la diversité des musulmans de France à une entité unique et de se mêler de créer un « islam républicain », la république laïque ferait mieux d’imposer ses principes comme elle l’a fait avec les autres religions. Cette approche qui paraît évidente ne l’est plus parce que l’inverse a trop longtemps prévalu, par ignorance ou intimidation. Il ne s’agit pas comme le dit Manuel Valls de conclure « un pacte avec l’islam » ou comme le dit Bernard Cazeneuve d’œuvrer à « une meilleure connaissance de l’islam ». Si l’islam est divisé et complexe, les règles nationales sont claires et non négociables : au contraire de ce qui a été fait jusqu’ici, il faut les faire respecter et favoriser les voix musulmanes qui ont le courage d’y souscrire publiquement. Ce que la grande majorité des imams n’ont jamais fait parce qu’on ne leur a jamais demandé.

D’abord la liberté de conscience, interdite par l’orthodoxie coranique. Elle implique la liberté d’expression, qui n’est pas seulement un droit, mais aussi le devoir de supporter celle des autres. A force d’entendre que la laïcité n’est que le « respect de toutes les religions », le CFCM a demandé en 2006 que soient réprimés « l’insulte et la diffamation sur Dieu et ses prophètes ». Ils y étaient encouragés parce que la République s’était tue quand en 1999 le CFCM, invoquant la non « discrimination », avait refusé de reconnaître le droit de changer de religion. L’apostasie est punie dans la plupart des pays musulmans qui n’ont pas signé pour cette raison la Déclaration universelle des droits de l’homme.

L’égalité des sexes et le droit des femmes nécessitent la même clarification. A force d’encourager le différentialisme, le statut d’infériorité de la femme musulmane s’est installé à tel point que le plus « moderne » des imams, Tareq Oubrou - la référence de Libération et d’Alain Juppé - justifie la « dominance masculine » par le « chromosome Y » et que le port du voile a été déclaré prescription religieuse par le CFCM. Or le voile est l’affichage public du refus de l’un des principes fondamentaux du vivre ensemble français : le métissage, auquel s’oppose l’interdiction pour une musulmane d’épouser un non musulman comme le prescrit même le code de la famille marocaine. Cette question essentielle de la liberté des mariages mixtes, moteur de d’assimilation, avait été le point le plus difficile à faire admettre par les notables juifs lors du grand Sanhédrin de 1808. Mais un siècle et demi plus tard, Amar Saïdi, le seul imam acceptant de célébrer des mariages mixtes fut congédié de la mosquée de Rouen sans aucune réaction. Le déni est encore plus fort sur l’homosexualité, au point de fermer les yeux sur la vente libre d’ouvrages édités en France prescrivant le sort que méritent ces « dépravés » et « criminels » : les tuer par le « sabre », le « feu » ou les « jeter du haut d’un mur ».

Bon connaisseur des ombres et lumières de l’islam, Jean-Pierre Chevènement a le mérite de reconnaître la difficulté de sa tache : « L’émergence d’un islam respectueux des principes républicains est certainement une affaire de longue haleine ». Car si ne plus céder sur les valeurs françaises dépend de la République, leur acceptation franche, totale et publique dépend des musulmans. Au lieu de continuer à tolérer ceux qui s’y opposent, il faut favoriser ceux qui, comme Soheib Bencheikh et Abdennour Bidar prônent l’abandon des nombreux versets du Coran qu’ils estiment « incompatibles avec les droits de l’homme ». Notamment ceux qui prônent la violence contre les mécréants, les juifs et les chrétiens. Renverser l’intimidation : cesser de culpabiliser ceux qui veulent s’émanciper de la part problématique du Coran et en finir avec ce préjugé colonial les considérant incapables de partager la culture occidentale. Il n’y aura pas de consensus musulman et la fermeté républicaine doit encourager cette division en privilégiant ces voix réformistes seules à même de briser la vision aujourd’hui majoritairement négative de l’islam. Que le « choix de sa pratique, de sa croyance, de sa religion, de son mode de vie, bénéficie d’une véritable et entière reconnaissance dans la culture musulmane, ce qui n’est pas le cas », demande Bidar. Il faut donc renoncer à l’idée de satisfaire tout le monde au nom du respect des différences. Certaines différences ne sont pas tolérables. En Occident, chacun a au moins la liberté de choisir. La soumission religieuse est une réalité sérieuse et respectable, mais il y a assez de pays islamiquement corrects pour la vivre pleinement, comme le dit sans détour Ahmed Aboutaleb, le maire de Rotterdam : « Si, au nom de la religion, vous n’acceptez pas la liberté, alors quitter l’Europe ! »"

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