Revue de presse

J.-P. Chevènement : "Mon plan pour construire l’islam de France" (Le Figaro, 31 août 16)

31 août 2016

"[...] La plupart de ces critiques ont un arrière-plan politique : elles procèdent d’une philosophie communautariste que j’ai toujours combattue en tant que républicain laïc. Bien que la Fondation soit d’intérêt public et que son objectif ne soit nullement cultuel, certaines voix se sont élevées pour réclamer la nomination d’une personnalité musulmane. Certaines de ces personnes s’estimaient sans doute aussi mieux qualifiées.

Je n’ai recommandé « la discrétion » que dans l’espace public de débat qui est un espace commun à tous les citoyens où j’incite non seulement les musulmans mais toutes les religions à s’exprimer de manière argumentée plutôt que par la proclamation de leur Révélation. J’ai appris que cette formulation était aussi celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Coïncidence pour une fois heureuse.

J’ai enfin évoqué, sur les ondes de France Inter, le ralentissement du processus de l’intégration qui, à mon sens, doit reprendre. Bien entendu, la question de l’emploi est centrale. Mais en laissant s’opérer des concentrations de populations immigrées dans certaines communes, nous avons aussi contribué au ralentissement du processus de l’intégration. J’ai pris l’exemple de Saint-Denis, j’aurai pu en prendre d’autres. C’est un fait qu’il y a 135 nationalités à Saint-Denis mais dans mon esprit c’est le communautarisme qui pose problème et j’ai évoqué très clairement la disparition de la classe ouvrière française traditionnelle qui constituait un puissant facteur d’intégration. Notamment à travers ses organisations politiques et syndicales ou à travers l’école où la maîtrise de la langue française n’est plus assurée dans les petites classes. Quiconque veut bien se reporter à ce que j’ai dit sur France Inter verra la logique de mon raisonnement (il y a le problème de la laïcité mais il y a aussi celui de l’intégration) et ne cédera pas aux procès d’intention fielleux qui me sont faits par quelques snipers de plume et de micro dont je suis la cible depuis très longtemps. Il ne faut quand même pas renverser les rôles ! [...]

La France doit résorber ses fractures sociales, surmonter ses faiblesses, « ouvrir ses bras » comme l’a dit Bernard Cazeneuve à tous ses enfants. Mais ce conseil vaut dans tous les sens. [...]

Premièrement, il y a tout ce qui n’est pas cultuel pour lequel le financement public est autorisé. Par exemple, la formation civique, juridique, linguistique des imams. Les recherches en islamologie. L’action éducative et sociale en direction des organismes de jeunesse. Rien de tout cela n’est cultuel et, par conséquent, l’État doit pouvoir y contribuer mais aussi des donateurs publics ou privés ainsi que l’immense masse des fidèles. [...] L’origine exclusivement française des fonds constitue une des conditions pour que l’islam de France s’autonomise par rapport à des influences dont toutes d’ailleurs ne sont pas mal intentionnées. [...]

Il y a eu des négociations entre le ministère des Affaires religieuses de l’Algérie ou encore avec le Maroc pour établir les conditions selon lesquelles les imams peuvent être religieusement formés dans ces pays qui combattent comme nous le terrorisme djihadiste. Toutefois, ces imams devront être francophones et astreints à passer, en France, le diplôme universitaire de formation juridique et civique qui existe dans une douzaine d’universités. Par la suite, on leur demandera d’être titulaires d’un diplôme d’islamologie. C’est le troisième pied du tripode : fondation d’utilité publique, association cultuelle de la loi de 1905, instituts d’islamologie. [...]

En vérité, les jeunes en voie de radicalisation dont vous parlez sont très éloignés de l’islam. Nous sommes en présence d’un phénomène très particulier où il y a des prédicateurs salafistes en petit nombre dont certains ont d’ailleurs été récemment expulsés. Je ne dis pas que ce sont forcément des terroristes mais leurs prêches alimentent une vision des choses qui favorise les interprétations eschatologiques et des démarches en définitive suicidaires pour eux-mêmes et pour les musulmans. Des théologiens confirmés peuvent seuls œuvrer au plan de la religion pour détourner ces jeunes, souvent « hors sol » et ayant rompu leurs amarres avec leur pays d’origine sans s’être intégrés à la France, fréquemment compromis dans des affaires de délinquance, de se laisser tenter par des actes terroristes aussi odieux que suicidaires. [...]

Il y a effectivement deux approches, la République et le communautarisme. La société multiculturelle prévaut dans les pays anglo-saxons mais avec beaucoup d’effets pervers. Ces pays réfléchissent d’ailleurs actuellement aux conséquences de leur modèle. Dans l’affaire du burkini, qui n’est en aucune manière une tenue islamique, il y a des femmes qui peut-être le portent par pudeur et d’autres certainement par provocation. Ce qui m’a surpris, c’est que le Conseil d’État se soit placé uniquement sur le terrain des libertés personnelles et qu’il ne se soit pas préoccupé de la question de l’intégration. Un conseiller d’État, M. Tuot, a développé, en 2013, dans un rapport l’idée d’une société dite inclusive où c’est à la société française de faire mouvement pour s’adapter aux migrants et non l’inverse. [...]

La République n’est pas la société des individus. La République est celle des droits de l’homme ET du citoyen. Vous remarquerez que la mention « et du citoyen » a partout disparu. « La Ligue des droits de l’homme » elle-même qui a porté plainte dans l’affaire du burkini ne s’appelle plus « la Ligue des droits de l’homme et du citoyen ». C’est donc un combat d’idées entre deux conceptions du monde, le multiculturalisme ou communautarisme, c’est-à-dire le fait que l’on délègue à des communautés le soin, à la limite, de dire le droit en dernier ressort, et par ailleurs le modèle républicain qui pose le primat de la loi pour des citoyens qui sont tous égaux devant elle. Ce modèle républicain est évidemment supérieur au modèle multiculturel dont le principe d’organisation est différentialiste : « Égaux, mais séparés ». Ne craignons pas de l’affirmer."

Lire "Jean-Pierre Chevènement : mon plan pour construire l’islam de France" et sur le blog de Jean-Pierre Chevènement.



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