Revue de presse

Des écoles privées « petits fantômes » de l’école républicaine ? (leparisien.fr , 12 fév. 21)

13 février 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’Assemblée nationale a validé ce vendredi un régime plus contraignant pour l’instruction en famille. À Roubaix, une école privée hors contrat créée en septembre œuvre contre l’évitement scolaire. Une réalité difficile à cerner.

Par Christel Brigaudeau, envoyée spéciale à Roubaix et Tourcoing

« Petits fantômes de la République. » L’image est forte, et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’a plusieurs fois invoquée depuis l’automne, pour mettre en lumière un phénomène souterrain et inquiétant : à l’échelle nationale, environ 5000 enfants seraient sortis des radars de l’école, enrôlés « dans toutes sortes de structures sectaires ou radicales, y compris catholiques », indique le ministère de l’Education. Cette réalité, difficile à évaluer parmi la masse de 12 millions d’élèves, recoupe à la fois les écoles clandestines (une vingtaine ont été fermées depuis un an, selon la rue de Grenelle), et la zone grise de l’instruction en famille. Ce mouvement, qui cache des motivations et des réalités diverses, est un point crucial de la loi sur les séparatismes, et son article 21 sur l’instruction en famille, voté ce vendredi par l’Assemblée nationale au terme d’un débat houleux.

Où sont-ils, ces petits « fantômes » ? Poser cette question à Roubaix et Tourcoing (Nord), des terres souvent citées en exemple par Gérald Darmanin, c’est se heurter à beaucoup de répondeurs téléphoniques, à commencer par ceux des maires des deux communes concernées. Et tourner en rond autour d’une autre interrogation : où commence le séparatisme, dans des quartiers où la diversité sociale et communautaire n’existe pas ?

À Roubaix, des familles musulmanes très pratiquantes fuient l’école de quartier

La pauvreté et la ghettoïsation, aussi présentes que les briques à l’ombre des anciennes cheminées d’usine de Roubaix, ont depuis longtemps pulvérisé, chez une partie des parents, l’idée qu’un vivre ensemble à l’école du quartier serait souhaitable pour leurs enfants. Si sa grande de 8 ans a fait sa maternelle à la maison, « ce n’était pas par choix politique, c’était pour la préserver du monde », assure Habib, cadre moyen à la chemise impeccablement boutonnée jusqu’au col. Et si ses deux enfants sont aujourd’hui inscrits à Main dans la Main, une école privée hors contrat inaugurée en septembre dernier, c’est parce qu’il « vise l’élite, à [son] échelle ».

« Jeff Bezos, Bill Gates, tous les grands entrepreneurs recommandent l’école à la maison », renchérit Nordine, jeune médecin soucieux de soustraire ses deux petits aux « mauvaises influences » et aux « gros mots » qui nuiraient à une éducation que l’on devine sourcilleuse. « On veut que notre enfant soit droit… Rien de particulièrement religieux », ajoute Zaki, patron d’une agence de voyages, en massant machinalement sa tabaâ, la marque que laisse sur le front la pratique assidue de la prière musulmane.

L’école Main dans la Main, installée dans une ancienne cartonnerie au bout d’une impasse bordée de maisons mitoyennes se trouve à moins de 5 minutes à pieds du logement que toute une famille, le père, la mère et les cinq enfants, ont quitté en 2014, direction : le califat de l’Etat islamique. Selon un décompte de la Voix du Nord, 80 départs pour la Syrie ont été enregistrés dans l’agglomération lilloise, entre 2012 et 2016.

Pas de religion en classe, mais des parents « surprotecteurs »

À Main dans la main, les trois quarts des familles, domiciliées pour la plupart à Roubaix et Tourcoing, instruisaient leurs enfants à la maison avant d’intégrer cette structure qui se veut un « pont » vers l’école publique, et un outil de lutte contre le repli identitaire. La promesse : un enseignement sur mesure, inspiré de pédagogies innovantes et de la méthode Montessori, en petits groupes. La contrepartie, outre des frais de scolarité élevés (160 euros par mois et par enfant) : l’engagement de respecter un cadre non confessionnel, où toute référence religieuse est proscrite en classe et dans la cour. L’hommage rendu le 2 novembre dans toutes les écoles de France en mémoire du professeur assassiné, Samuel Paty, y a été dûment observé. Et les normes de sécurité et d’accueil des enfants suivent « le même cahier des charges que dans l’Education nationale », assure le directeur, Wassim B-Remadna.

Mais à la grille, à la sortie de 16h30, toutes les mamans se présentent en abayas et longs voiles sombres, parmi des pères portant la barbe sous le masque. Hicham, qui vient d’y inscrire sa fille, 8 ans, et son garçon, 5 ans, veut convaincre que « la réalité est différente » de cette image… « Pensez au peintre Magritte, et son tableau : Ceci n’est pas une pipe. »

« La religion est très présente dans les familles, et l’évitement scolaire existe, oui. Il y a ici des parents méfiants par rapport à l’école de la République, mais je crois que c’est surtout lié à une grande crainte, une surprotection. Ceux qui évitent l’école pour des raisons strictement religieuses ne viennent même pas dans notre école », confie Wassim B-Remadna.

Niels Villemain, qui dirige la Cordée, l’autre primaire hors contrat où la cohésion se fonde sur l’uniforme et le lever patriotique des couleurs tous les lundis, dresse un constat similaire. « Dans notre quartier très communautarisé, avec une pression religieuse très forte, on sait que des enfants ne vont pas à l’école. Il y en a parmi les familles des élèves que nous avons ici, des cousins, des amis. »

Doublement de l’instruction en famille… et quatre rescolarisations

Dans le Nord, le nombre de familles appartenant à la galaxie hétéroclite du « homeschooling » « a doublé entre 2018 et 2019, pour atteindre 1600 foyers, avec une surreprésentation à Lille, Roubaix, Tourcoing, et Maubeuge », explique la préfecture. Depuis deux ans, elle réunit dans ces quatre communes des cellules d’évitement scolaire » où sont croisés les fichiers de la Caisse d’allocation familiales (CAF), des mairies et de l’Etat. Ce tamis administratif a permis de recenser 200 familles en délicatesse avec l’obligation d’instruction, sur un total de 529 500 enfants en âge scolaire (3-16 ans) dans le département.

« Le phénomène est une goutte d’eau, mais c’est un vrai sujet pour les quelques enfants concernés, avec des raisons très différentes d’un cas à l’autre », note Béranger Basseur, chargé de mission de prévention de la radicalisation, à la préfecture. « Ce peut être la religion, une phobie scolaire, du harcèlement, du handicap ou des problèmes sociaux. » Ce médecin de la périphérie lilloise a observé ces dernières années « des familles dont le père partait régulièrement en Syrie, et dont tous les enfants étaient instruits à la maison. Cela faisait partie des signaux faibles de radicalisation. »

À ce jour, à Roubaix et Tourcoing, l’investigation a abouti à la rescolarisation de quatre enfants (dans deux écoles privées catholiques), suite à des lacunes dans l’instruction en famille, explique-t-on à l’inspection d’académie. Mais le travail n’est pas terminé. Jonathan Delacroix, médiateur de l’association Citeo, missionné pour frapper aux portes des foyers ciblés par les autorités a été saisi de « dix cas » depuis la rentrée de septembre. Neuf fois, il est resté sur le palier, sans réponse à ses coups de sonnette. Qu’a-t-il fait ? « J’ai passé l’information à la préfecture. »

Dernièrement, celle-ci s’intéresse aussi à un phénomène émergeant : « Une augmentation du nombre de demandes de création d’écoles hors contrat, venant notamment d’associations de soutien scolaire qui pourraient être assimilées à des écoles de fait. On y porte une vigilance particulière », résume Nicolas Pauliac, chargé de l’intérim du préfet à l’égalité des chances, dans le Nord. Effet inattendu, la loi sur le séparatisme pourrait accélérer ce mouvement.

À l’école Main dans la Main, le directeur a remarqué que « des familles veulent prendre les devants, si l’école à la maison devient plus difficile ». Le nombre de renseignements pour des inscriptions, dit-il, a bondi depuis l’annonce du projet de loi."

Lire "Loi séparatisme : à la recherche des « petits fantômes » de l’école républicaine".



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