Observatoire des idéologies identitaires

decolonialisme.fr "Woke Fiction, de Samuel Fitoussi, extraits : comment combattre l’immixtion du wokisme dans les institutions ?" (decolonialisme.fr , 27 sept. 23)

(decolonialisme.fr , 27 sept. 23) 27 septembre 2023

[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Samuel Ftitoussi, Woke fiction. Comment l’idéologie change nos films et nos séries, Le Cherche Midi, sept. 2023, 368 p., 20,90 €.

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"[...] En quoi l’accélération du paradigme woke de représentativité incarne‐t‐elle une menace ? Pour que l’empathie puisse être cultivée, l’individu doit être singulier : il ne peut être le représentant interchangeable d’un groupe. Or lorsque les personnages sont choisis pour « représenter » la société, ils cessent d’être des individus pour devenir les porte‐drapeaux d’une identité, les délégués d’une communauté. L’équipe des Noirs a son représentant (il parle au nom des Noirs), tout comme l’équipe des femmes, des homosexuels, des transgenres, des musulmans (etc.). Le personnage devient, selon la formule d’Alain Finkielkraut, un prototype. Et la fiction cesse de jouer son rôle : elle ne sonde plus des destins individuels mais rejoue la narration macroscopique dominante. Plutôt que de maintenir en vie le particulier dans un monde qui généralise, elle déguise le général en particulier. Plutôt que de combattre la pensée par masses, elle transforme des masses en personnages. Elle va du général au particulier plutôt que du particulier à l’universel.

La disparition, dans l’imaginaire collectif, de l’individu au profit du collectif semble en bonne voie. Aujourd’hui, les faits divers qui nous attristent le plus sont souvent ceux qui nous permettent, en fonction de nos biais idéologiques, de généraliser notre émotion au‐delà du cas particulier et de souffrir pour un groupe. Pourtant, la suppression de l’empathie – et la barbarie qu’elle rend possible – a justement lieu lorsque chaque individu persécuté est perçu non plus comme un être singulier, mais comme le représentant prototypique du groupe auquel on le rattache. Lorsque l’individu s’efface derrière le collectif, qu’il n’est plus défini que par son appartenance à une communauté, et que celle‐ci est dépréciée, voire déshumanisée. Car s’il est possible de se mettre à la place d’un individu, tenter d’envisager les choses de son point de vue, on ne peut pas se mettre à la place d’un groupe. On peut déshumaniser des groupes, pas des individus. Recette intemporelle pour un désastre : 1) découper la société en groupes, les opposer à travers des récits victimaires et accusateurs ; 2) transformer chaque individu en prototype interchangeable. Le paradigme de représentativité contribue à l’accélération de la deuxième étape. [...]

En France, le film Flo de Géraldine Danon – biopic de la célèbre navigatrice Florence Arthaud – commence par une scène dans laquelle le personnage de Florence, âgé d’une dizaine d’années, remporte facilement une course de voile contre des garçons. Au cours du film, on ne la voit presque jamais s’entraîner, repousser ses limites physiques et tactiques pour devenir l’une des meilleures navigatrices du monde. Le spectateur est sommé d’accepter que Florence Arthaud était douée d’une sorte de don divin qui ne nécessitait pas d’être entretenu et cultivé : elle pouvait passer son temps à faire la fête, il lui suffisait de monter sur un bateau pour dominer facilement ses rivaux. Dans le film, les seuls obstacles que Florence affronte sont de nature sociale : elle doit d’abord vaincre les attitudes misogynes de sa famille (son père souhaiterait qu’elle reprenne les études), puis de ses sponsors, réticents à lui offrir un bateau de qualité (ils ne la croient pas capable de vaincre des hommes). C’est aux autres – et, c’est le problème, uniquement aux autres – de se remettre en question pour permettre à Florence de remporter la Route du rhum.

En souhaitant montrer que les femmes sont tout aussi compétentes que les hommes dans des domaines traditionnellement masculins, certains scénaristes en viennent à créer des femmes sans failles, c’est‐à‐dire des femmes qui n’évoluent pas, donc des femmes peu inspirantes. Car ce ne sont pas les qualités intrinsèques d’un personnage qui nous inspirent (il est impossible de devenir subitement un génie dans une discipline) mais son parcours de vie (ses choix, ses sacrifices, ses progrès…). En outre, si l’héroïne est presque invulnérable, il y a peu de suspense, peu de tension dramatique, peu d’enjeu.

Dans certains blockbusters américains récents, une jeune superhéroïne connaît une transformation intérieure, mais il ne s’agit pas pour elle d’acquérir des compétences ou de corriger ses mauvais choix, mais simplement de prendre conscience de sa propre valeur et d’oser, enfin, déployer ses qualités. Dans ces scénarios, « la société » – accusée de pousser les femmes à se fixer des barrières mentales – est à nouveau le seul obstacle à la réalisation des projets du personnage. [...]

Depuis quelques années, ce qui permet au wokisme de s’introduire dans les institutions, dans la fiction et dans le monde de l’entreprise sans qu’il ne soit contesté, c’est qu’il se déguise en causes avec lesquelles il est impossible d’être en désaccord : « diversité », « inclusion », « justice sociale », « féminisme », « antiracisme », « combat pour les droits LGBT ». Chacun comprend que France TV Slash – chaîne du service public – n’a pas le droit de produire uniquement des fictions d’extrême gauche. Mais France TV Slash peut produire des fictions antiracistes. L’antiracisme – dans son sens classique – se situe au‐delà des clivages politiques. Ce n’est pas le cas de l’antiracisme dans le sens que lui donnent les militants wokes. La confusion sémantique – celle que dénonçait Orwell en 1946 – permet à des idées régressives, empaquetées dans des mots positivement connotés, de se déguiser en combats apolitiques et universels, de gagner du terrain grâce aux idiots utiles bien intentionnés. Et au wokisme de s’institutionnaliser, jusqu’à se confondre avec la neutralité. [...]"


Voir aussi dans la Revue de presse "Quand le wokisme fait son cinéma" (Le Point, 14 sept. 23) dans "Wokisme", les dossiers Cinéma, Disney dans Dessin animé, dans Liberté d’expression : culture, dans Liberté d’expression (note de la rédaction CLR).


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