10 octobre 2015
"Le nouvel ouvrage de l’académicien, dont Le Figaro Magazine publie de larges extraits, est une vaste et profonde méditation, appuyée par l’actualité récente, sur la France, son destin et celui de la civilisation occidentale. Portrait d’un philosophe entré en résistance contre son époque.
« C’est reparti comme en 50 », affirmait Alain Finkielkraut, la semaine dernière, dans une lettre parue dans Le Monde. Mis en cause dans un dossier sur les intellectuels et le Front national, accusé d’être un allié objectif du parti lepéniste, l’écrivain comparait le climat actuel du monde des idées à la période où l’intelligentsia était fascinée par le communisme : « Il fallait alors jeter un voile sur la réalité soviétique pour ne pas faire le jeu de la réaction. Il faut aujourd’hui jeter un voile sur la désagrégation française pour ne pas faire le jeu de l’extrême droite. A bas la vérité, vive la Pravda. »
Nouvelle bagarre en vue pour Alain Finkielkraut. Dans La Seule Exactitude, le recueil de chroniques qu’il publie cette semaine, l’auteur dénonce précisément l’aveuglement de la bien-pensance médiatique et culturelle. Alors que celle-ci alerte contre le retour des années 1930, Finkielkraut estime que cette analogie fallacieuse empêche de discerner les véritables enjeux du moment, enjeux qu’il importe, en ce tournant historique, d’appréhender avec « exactitude » - mot soufflé ici par Péguy.
« Il n’y a plus ni droite ni gauche, il n’y a qu’un seul parti, le parti du sens du poil », déplorait il y a peu l’écrivain. Il va rarement, lui, dans le sens du poil. Philosophe, essayiste, il est devenu, en une dizaine d’années, un des intellectuels français les plus connus, notoriété sanctionnée par le nombre croissant de ses lecteurs, mais aussi de ses détracteurs. Une ascension d’autant plus remarquable qu’elle s’est effectuée chez un homme qui n’a pas bénéficié des canaux qui font les grandeurs d’établissement de la rive gauche : ni l’université, ni l’édition, ni la presse, ni la télévision n’ont poussé vers le succès cette figure qui marche à contre-courant de son temps. Contrairement à Bernard-Henri Lévy, par exemple, Alain Finkielkraut n’a pas de réseau : il n’est pas un ancien de la Rue d’Ulm, il ne fait pas la pluie et le beau temps chez un prestigieux éditeur, il ne fraye pas avec les grands éditorialistes. Et s’il est devenu académicien, il n’aura pas intrigué pour cela.
Comme tant d’intellectuels de sa génération, il a commencé à gauche, et même à l’extrême gauche. Né en 1949, enfant unique de parents qui étaient tous deux des juifs polonais rescapés de la Shoah, il entre, après son bac, en prépa au lycée Henri-IV. Maoïste, il se signale (déjà) par son verbe fougueux. Ayant intégré l’école normale de Saint-Cloud en 1969, il réussit l’agrégation de lettres modernes en 1972. Brièvement professeur au lycée technique de Beauvais, il enseigne à Berkeley, au département de littérature française, de 1976 à 1978.
Parallèlement, il commence à écrire. Son premier ouvrage, Le Nouveau Désordre amoureux (1977), coécrit avec Pascal Bruckner, critique les idées de Mai 68 auxquelles il a tourné le dos : s’opposant à la révolution sexuelle, Finkielkraut défend l’amour durable, libéré du désir. Dix ans plus tard, son neuvième livre, La Défaite de la pensée (1987), le rend célèbre. Il y commence son grand réquisitoire contre le déclin de la culture française, provoqué selon lui par l’égalitarisme, le jeunisme, le différentialisme, le multiculturalisme, l’abandon de l’écrit. Suivront une vingtaine de titres dont beaucoup ont marqué le débat d’idées : Le Mécontemporain (1991), une redécouverte de Péguy ; Au nom de l’Autre (2003), une réflexion sur le nouvel antisémitisme ; Qu’est-ce que la France ? (2007), un livre collectif qui explore l’identité française ; Un cœur intelligent (2009), un recueil de ses critiques littéraires ; L’Identité malheureuse (2013), un essai où il poursuit sa recherche sur l’identité française et européenne. Plusieurs de ces ouvrages sont tirés de ses émissions de France Culture - depuis 1985, il reçoit amis et ennemis, le samedi matin, dans son rendez-vous de Répliques - ou des cours de philosophie et d’histoire des idées qu’il aura dispensés, vingt ans durant, à l’École polytechnique.
En 2002, un sociologue de gauche, Daniel Lindenberg, le classait, dans Le Rappel à l’ordre, parmi les « nouveaux réactionnaires ». Réactionnaire ? Finkielkraut a raconté que l’élément qui l’a conduit à rompre en profondeur avec sa famille d’esprit originelle a été l’affaire du collège de Creil, en 1989, lorsqu’un bras de fer a opposé un proviseur hostile au port du voile islamique à de jeunes élèves manipulées, et que le Conseil d’État, saisi par le ministre de l’Éducation nationale, a choisi… de ne pas choisir. Ayant senti l’école de la République attaquée, l’écrivain s’est alors doublement engagé en faveur de l’idée qu’il se faisait de l’école, et de l’idée qu’il se faisait de la République [1].
Combattant, militant, polémiste, Finkielkraut, depuis, a maintes fois déclenché le scandale. On rappellera par exemple son interview accordée au journal israélien Haaretz, au terme des émeutes de 2005, dans laquelle il soulignait que le phénomène n’était pas réductible à sa dimension sociale, et que l’origine des émeutiers devait être prise en compte pour comprendre ce qui s’était passé et lui apporter remède. Face à la tempête soulevée par ses propos, il avait dû s’excuser sur la forme, n’ayant pas relu l’interview avant sa publication, mais il avait maintenu son raisonnement sur le fond.
« L’éducation est vraiment le prisme à travers lequel il comprend le monde, note Pascal Bruckner. Depuis trente ans, il s’exprime sur ce thème, et il a de quoi faire puisque, chaque jour, le champ éducatif s’effondre un peu plus en France. » Défenseur de l’enseignement traditionnel, Alain Finkielkraut paye sa dette en rappelant ce qu’il doit à une école qui lui a appris la culture classique, et qui a fait de lui, le « Français de fraîche date » (c’est lui qui emploie l’expression), un héritier de la civilisation française.
Avocat de la tradition d’excellence contre les praticiens du nivellement par le bas, héraut de la transmission contre les tenants de la rupture, apôtre de l’unité (qui n’est pas l’uniformité) contre les grands prêtres de la diversité, Alain Finkielkraut a été élu à l’Académie française, en 2014, après s’y être présenté selon les règles et avoir affronté des adversaires dont certains voyaient en lui le cheval de Troie du lepénisme sous la Coupole. « J’ai été très heureuse de son arrivée, que j’avais souhaitée, raconte Hélène Carrère d’Encausse, le secrétaire perpétuel. Il aime la France et les auteurs qui aiment la France. L’Académie s’occupe de la langue française. Finkielkraut aime tellement son pays qu’il a toute légitimité pour travailler sur notre langue. »
Juif athée, viscéralement attaché à Israël - mais partisan d’une paix négociée avec les Palestiniens, auxquels il reconnaît le droit à un État -, le philosophe est hanté - mémoire familiale oblige - par la montée d’un nouvel antisémitisme qui recrute dans la jeunesse d’origine immigrée. On ne compte plus ses colères contre les vigilants qui guettent l’hypothétique retour de Hitler mais qui n’ont pas vu venir ce racisme-là : l’antiracisme - le « communisme du XXIe siècle » selon lui - est une idéologie qui, sous couvert de bons sentiments, prépare des catastrophes.
Ses emportements valent à l’auteur du Juif imaginaire d’être traité de raciste, ce qu’il a de bonnes raisons de ne pas supporter. Ce qui l’exaspère, et le désole, c’est de voir notre société, sous la pression de ses élites, renier le modèle assimilationniste qui lui a permis, lui, dont les ancêtres vivaient ailleurs, de se fondre dans la France, son histoire, son patrimoine matériel et moral. Relevant que le multiculturalisme conduit paradoxalement à considérer toutes les cultures bienvenues, à l’exception de la culture du pays hôte, Finkielkraut redouble d’amour pour la culture française, une culture qui s’exprime dans la littérature, dans l’art de vivre et la civilité, ou dans des paysages : rien de tel qu’une église romane pour émouvoir cet homme qui affirme n’être jamais traversé par l’idée de Dieu, mais qui rêve que, dans l’au-delà, Péguy lui mettra la main sur l’épaule…
Alain Finkielkraut voit la France comme une réalité menacée à laquelle, à son rang, il vient au secours. On ne sent pas, chez lui, toutefois, de nostalgie d’une grande France puissance mondiale. Éric Zemmour, qui a les mêmes adversaires et que l’on met souvent dans le même sac, remarque que leurs conceptions respectives de la nation diffèrent. « Je vois la France, explique le journaliste, comme une grande nation blessée et meurtrie de ne plus l’être ; lui vient à la France comme il a aimé les petites nations. Il veut donc la protéger de sa faiblesse. »
Posture tourmentée, mains frémissantes, cheveux en bataille, regard intense, voix vibrante : à la télévision, Alain Finkielkraut est un spectacle. S’il a l’air de souffrir, c’est qu’il souffre vraiment, n’aimant pas son époque. Rongé par le pessimisme, il a traversé des épisodes dépressifs sévères. Il ne possède ni téléphone portable ni ordinateur - quand on lui envoie un e-mail, c’est à l’adresse de sa femme, qui est avocate et dont il a eu un fils, et il n’utilise une carte bancaire que depuis peu de temps. Ses proches évoquent néanmoins un personnage qui aime rire et faire rire, qui apprécie le bon vin et la bonne chère, et capable de s’enflammer, devant la télévision, pour le Tour de France ou un match de football.
Il sort peu, a peu voyagé, et l’élégance n’est pas la première de ses préoccupations. Il est ce qu’on appelait autrefois un homme de cabinet, un grand lecteur qui souligne et annote ses livres à l’ancienne. Ses amis ou ceux qui l’admirent conviennent que dialoguer avec lui n’a rien d’évident. « Il faut débattre avec lui, confie Michel Onfray, ce qui n’est pas toujours facile tant il semble mener le débat plutôt avec lui-même qu’avec autrui. Il est un homme en colère, ce qui n’est pas grave, et qui d’ailleurs me semble être le bon moteur pour penser, mais on lui souhaiterait plus de paix, plus de calme, plus de sérénité. »
Autre paradoxe : cet atrabilaire qui ne cesse de vitupérer la bien-pensance médiatique a bien du mal, si forte est sa passion de convaincre, à refuser une invitation à la télévision, négligeant la règle selon laquelle penser son temps suppose de savoir se mettre à distance vis-à-vis de l’actualité. Mais de sa chronique hebdomadaire à RCJ (Radio de la communauté juive) à celle qu’il tient dans Causeur, le magazine d’Elisabeth Lévy, ses tribunes ordinaires touchent un public plus restreint. Selon Sandrine Treiner, directrice générale de France Culture, l’audience de son émission Répliques, depuis deux ans, augmente toutefois de manière significative : « Alain accepte de recevoir des invités dont il ne partage pas la pensée, étant l’un des seuls à avoir la souplesse permettant le risque du grand écart idéologique. »
« Son pessimisme brouille son jugement, estime Alain Minc, qui se définit comme “l’un des rares ashkénazes optimistes”. Finkielkraut est dans une posture esthétique, pas dans la politique ; il est dans la nostalgie, pas dans l’avenir. » Voilà un jugement auquel ne souscriront pas les plus de 100.000 acheteurs de l’Identité malheureuse, son précédent livre. En vérité, posant des questions fondamentales face aux bouleversements subis par notre société, Alain Finkielkraut résonne avec l’époque. Cette syntonie lui vaut une aura qui lui est tombée dessus sans qu’il la cherche. « Aujourd’hui, conclut Pascal Bruckner, sont qualifiés de réacs tous ceux qui ne pensent pas selon le dogme. Finalement, une certaine gauche aura réussi à faire du mot “réactionnaire” le synonyme d’“intelligent”, c’est-à-dire un titre de gloire. »
Jean Sévillia, avec Nicolas Ungemuth"
Extraits
“« La gauche peut mourir » : devant le conseil national du PS, le 14 juin 2015, Manuel Valls a adressé à ses camarades, particulièrement aux frondeurs, un message volontairement alarmiste. Evoquant la possible présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle en 2017, il a déclaré : « Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose, au bout peut-être même d’un cycle historique pour notre parti. »
Rien ne va plus à gauche. Le Parti socialiste est exsangue, les militants prennent la fuite, le gouvernement et le président de la République battent des records d’impopularité. Il y a des raisons conjoncturelles à cette débâcle : les socialistes ont cru que l’antisarkozysme pouvait tenir lieu à la fois de propagande et de programme, ils paient très cher, une fois au pouvoir, cette facilité. Mais le vrai problème est plus profond. La gauche s’est identifiée, depuis sa naissance, à la grande aspiration prométhéenne de la modernité : amener la société à une prospérité toujours plus grande ou, comme l’écrit encore Leo Strauss, « donner une pleine réalisation au droit naturel de chacun à une vie confortable et à l’épanouissement de toutes ses facultés de concert avec tous les autres » *. La modernité ayant destitué l’au-delà au bénéfice de l’ici-bas et la prouesse guerrière réservée à quelques-uns au profit de l’universelle persévérance vitale, on peut même dire qu’elle est essentiellement de gauche ou qu’elle est la gauche en action. Moderne est en effet le renversement de la morale aristocratique et de la morale chrétienne par le prosaïsme plébéien. La droite, après bien des tribulations, a fini par se rallier à ce « sinistrisme » originel.
Tournant le dos à toute nostalgie, elle s’affirme désormais plus apte que la gauche à marier la justice avec le progrès et à conduire ainsi la marche vers le futur. La gauche et la droite sont les deux visages d’une même ambition : instaurer le règne de l’homme en triomphant, par avancées successives, de la force du destin. Mais l’homme fait aujourd’hui le compte de tout ce qui disparaît à mesure que sa puissance augmente : le sable, la banquise, les abeilles, les éléphants, les lucioles dont Pasolini déjà portait le deuil et les animaux en général, réduits - quand ils ne sont pas exterminés - à l’état de matériaux malléables et invisibles comme les vaches dans les fermes géantes de l’élevage industriel. L’homme moderne a voulu rapatrier le bonheur sur terre et il a puisé toute sa combativité dans le ressentiment envers le monde tel qu’il était donné car ce monde était cruel. Or la fragilité a changé de camp. Le temps est venu, comme l’écrivait Hannah Arendt, d’une conversion à la gratitude pour ce qui ne relève pas de la volonté et pour ce qui est là sans être fabriqué. La gauche n’y est pas plus disposée que la droite (qui n’a jamais été aussi moderne). Quant aux écologistes, ils prétendent défendre le principe de sauvegarde, mais ils ne savent parler que le langage des droits. Ils veulent, avant qu’il ne soit trop tard, fixer des limites à la voracité universelle, et en même temps, libertaires dans l’âme, ils se font les chantres de l’illimitation. Avec une inconséquence fatale, ils sonnent le tocsin et ils propagent l’incendie.
Etre moderne et de gauche, c’était aussi concevoir l’humanité comme une totalité en mouvement. Mais la totalité se brise, et l’humanité est en proie au choc des civilisations. De ce choc la gauche ne veut rien savoir. Ne connaissant d’autre question que la question sociale, elle célèbre la diversité des modes humains d’être au monde, tout en frappant ses effets d’une fin de non-recevoir. Le désaveu populaire dont elle fait l’objet est le prix à payer pour cette contradiction. Et ce n’est pas tout. Au moment où le paradigme moderne entre dans une crise peut-être terminale, la gauche s’identifie à ce qu’il a de plus inquiétant : la constitution, dans les démocraties occidentales, d’un sujet désaffilié, désoriginé, déterritorialisé, libre de toute dépendance et de toute détermination, hors sol, hors sexe, hors histoire, un pur touriste, en somme. Elle ne se donne plus pour tâche de fonder une véritable communauté humaine : elle bénit, au nom des droits individuels, la dissolution progressive des communautés et des appartenances.
* Leo Strauss, La Cité et l’Homme, Le Livre de Poche, 2005, p. 68.”
“Interrogé sur les consignes à donner aux électeurs en cas de duel FN-PS, François Fillon a déclaré qu’il fallait voter pour le « moins sectaire » des deux, en précisant que cela pouvait être le candidat du Front national. Pour les partisans du « front républicain », cela revient à pactiser avec le fascisme.
Notre époque invoque sans cesse le changement et nie, en même temps, le changement qui se déroule sous ses yeux. Non, nous dit-elle, le Front national n’a pas changé. Il est pareil à lui-même et le sera toujours. Les adversaires patentés de l’essentialisme essentialisent frénétiquement leur adversaire principal. Comme si aux quartiers « sensibles » et aux collèges « sensibles » ne venaient pas de s’ajouter les hôpitaux « sensibles », on affirme que l’immigration actuelle ne diffère en rien des vagues d’immigration antérieures. On prétend que l’islam ne pose aucun problème particulier à la France et que le même populisme sévit qu’à la fin du XIXe siècle et dans les années 30 du XXe. On oppose donc au Front national les valeurs que ses ancêtres fascistes ont bafouées et la mémoire des crimes qu’ils ont commis ou laissé commettre. Mais le problème est que ce parti ne jure plus que par la laïcité et se drape emphatiquement dans l’idéal républicain. L’un de ses principaux dirigeants va même se recueillir à Colombey-les-Deux-Eglises sur la tombe de l’homme du 18-Juin. Hommage du vice à la vertu ? Sans doute. Reste qu’on ne peut continuer éternellement de lutter contre le Front national au nom des principes dont ce mouvement se réclame à cor et à cri. Les vigilants sont nostalgiques des dérapages que Jean-Marie Le Pen leur fournissait autrefois avec une fécondité inépuisable. Mais ils n’ont presque rien à se mettre sous la dent, aucun jeu de mots ne leur est jeté en pâture. Ils sont comme des fauves affamés errant, la langue pendante, dans la savane du « politiquement correct ». Alors, à l’instar du sociologue Luc Boltanski, ils cherchent de nouvelles proies ou, pour le dire d’une métaphore plus appropriée, ils ouvrent un nouveau front. N’accordant de réalité qu’à une seule forme de belligérance - la lutte de classes -, ils accusent les intellectuels de la gauche dite « républicaine » de propager un discours de haine antiarabe. Depuis 1989, Élisabeth Badinter est la figure emblématique de ce combat. Le temps semble donc venu de se mobiliser contre la « badintérisation des esprits ».
Au nom de l’universel, on criminalise aussi le thème de la préférence nationale. Mais, si les nations ne distinguaient pas leurs citoyens et ne leur réservaient pas certaines prérogatives, ce ne seraient plus des nations, ce seraient des galeries marchandes, des salles des pas perdus ou des aéroports. Ce qui est grave et doit être dénoncé, c’est le fait de s’appuyer sur cette préférence pour refuser tout droit aux étrangers, comme le voudrait le parti de Marine Le Pen. Un autre ostracisme cependant est à l’œuvre dans notre société. Quand je lis, sous la plume de Caroline Fourest elle-même, que le plus grand danger auquel nous sommes confrontés n’est pas le communautarisme islamiste, mais la « montée du racisme antimusulman pour tenter de revenir aux vieux clochers, à la France éternelle où la norme était celle de l’homme hétérosexuel catholique », je me dis, le cœur serré, que le parti de la détestation nationale ne cesse de progresser en France. Le « mariage pour tous » a fait souffler sur notre pays un grand vent d’ingratitude, en rejetant tout son passé dans les ténèbres de la barbarie. Et nous voici enfermés dans une alternative inacceptable : ou bien la xénophobie ou bien, en guise d’appartenance et d’hospitalité, le rejet dédaigneux de notre héritage.”
“Dans la nuit du 17 au 18 octobre 2014, des inconnus ont vandalisé l’œuvre de Paul McCarthy, Tree, installée trois jours auparavant sur la place Vendôme. Le sapin géant aux allures de « plug anal » a finalement été démonté le 19 octobre, suscitant une bronca contre « les ennemis de la liberté de l’art ».
L’affaire McCarthy vient d’en apporter la preuve : les modernes patentés ne sont pas modernes, ils sont anachroniques ; ils mettent toute leur intelligence et toute leur énergie à se tromper d’époque et à empêcher ainsi que la moindre parcelle de réalité vienne troubler le confort moral d’un monde entièrement imaginaire.
L’artiste américain avait donc installé devant la colonne Vendôme, et sous l’égide des joailliers de la place, une sculpture gonflable d’un vert éclatant et de près de 25 mètres de haut. L’œuvre était intitulée Treeet jouait sur la ressemblance entre un arbre de Noël et un « plug anal ». Peu familier, comme tous les ploucs, de ce « sex-toy », j’avais plutôt pensé à un suppositoire géant contre la constipation.
Mais sapin salace ou Maxilax, peu importe en l’occurrence. Il a fallu pour que cet objet indéterminé entre dans la sphère de l’esthétique que l’art rompe ses derniers liens avec la beauté et avec la vérité. « Et que cela soit Chardin, Braque ou Vermeer que vous les nommiez/Il en revient toujours poursuivre la même longue étude », écrivait Aragon. Cela veut dire que la peinture était, depuis sa naissance, habitée par la passion de tout voir et que, si elle déformait la réalité, c’était pour en extraire les possibilités cachées, maléfiques ou merveilleuses. Rien de tel avec Paul McCarthy.
Comme Jeff Koons et bien d’autres, il a abandonné la « longue étude » pour la fabrication en série de gros jouets criards. La frontière entre l’art et le non-art ayant été patiemment déconstruite, n’importe quoi va : tout peut être art, du moment que l’artiste le décide et que le marché avalise son audace transgressive. Et le public, en général, obtempère, de peur d’avoir l’air bête ou d’être taxé de nostalgie. Duchamp l’iconoclaste se moquait, avec son urinoir, de la prosternation grégaire devant les œuvres exposées dans les musées. Mais voici que, pour être à l’heure et ne pas rééditer les énormes bévues des contempteurs d’Olympia ou des Demoiselles d’Avignon, on se prosterne sans y regarder à deux fois devant Paul McCarthy et les produits laborieux de son infantilisme porno. Baudrillard avait décidément raison : « Quelque chose d’absurde est venu pourrir dans l’âme humaine cette passion de l’admiration qui était la plus belle. » *
Et, comme prévu, la foudre du Jugement dernier tombe sur ceux qui n’admirent pas : « Ce sont des crétins », tranche Le Monde. La ministre de la Culture va plus loin encore : « On dirait que certains soutiendraient volontiers le retour d’une définition officielle de l’art dégénéré. » Emettre des réserves devant la dernière « provocation » sponsorisée de McCarthy, ce n’est pas seulement « défendre la culture policée et la bienséance bourgeoise », comme dit encore l’éditorialiste du journal de référence devenu, au fil du temps, le quotidien de la rebellitude, c’est perpétuer l’idéologie nazie, rien de moins. Que représente Hitler aujourd’hui ? Un recours pour les nuls.
* Jean Baudrillard, Cool Memories, Editions Galilée, 1987, p. 199.”
“Le 13 décembre 2014, les groupes d’experts invités à faire des propositions pour refonder la politique d’intégration, avant un séminaire gouvernemental sur le sujet prévu le 9 janvier 2015, ont remis leurs conclusions à Jean-Marc Ayrault. Ils recommandent notamment l’abrogation de la loi proscrivant les signes religieux à l’école, la reconnaissance de toutes les langues à égalité et la création d’une autorité de lutte contre les discriminations sociales et ethnoraciales.
Pour régler la question du « vivre-ensemble » dans une France devenue terre d’immigration, ce n’est plus, nous disent les experts, la discipline de l’assimilation qui doit prévaloir, ce n’est pas non plus l’intégration, encore trop normative et unilatérale, c’est l’inclusion, c’est-à-dire l’accueil de l’Autre en tant qu’Autre. Soucieux de tourner la page de la stigmatisation, ils rétrogradent la langue française au rang de « langue dominante » dans un pays plurilingue, ils appellent à la généralisation sur tout le territoire de l’étude de l’arabe et des « langues d’origine », ils suggèrent enfin que les noms des nouvelles rues de nos villes et villages soient donnés « en écho à l’histoire des migrations ». Comme l’affirme Esther Benbassa au nom des écologistes, il s’agit de « faire prendre conscience aux élites que la France est un pays aux populations hétérogènes. Cela a été le cas tout au long de son histoire. Sa richesse vient de cette hétérogénéité, de Chagall à Yves Montand ! » Effacés, donc, Poussin, Philippe de Champaigne, Matisse, Villon ou Prévert, il n’y a pas de génie français, il n’y a que l’apport du génie des autres à la France.
Cette réécriture de l’histoire à la lumière de la diversité a suscité cependant un vif émoi. L’opinion n’a pas réagi avec la docilité attendue au changement d’identité que proposent les auteurs des divers rapports commandés par le Premier ministre. Elle s’est même insurgée contre la volonté affichée de « faire France » au mépris de la France. Et l’avion du changement qui croyait avoir rejoint son altitude de croisière a dû se poser en catastrophe. Mais il ne faut pas s’y tromper : d’autres préconisations du même ordre sont déjà à l’œuvre. L’Union européenne n’a-t-elle pas défini l’intégration comme « un processus dynamique à double sens d’acceptation mutuelle de la part de tous les immigrants et résidents des Etats membres » ? Aucune hiérarchie, autrement dit, n’est maintenant admise entre la culture européenne et celle des nouveaux arrivants. D’ailleurs, y a-t-il seulement une culture européenne ? Ce n’est plus son héritage que l’Europe met en avant, ce sont les valeurs de respect et de tolérance. Ce n’est pas son identité - terme honni -, c’est son ouverture. Pour mieux recevoir les autres, elle fait le vide dans sa maison. Et les nations qui la composent ne pourront durablement se soustraire à ce grand nettoyage de printemps.”
“La différence des sexes elle-même relève de la culture, le féminin et le masculin sont des produits entièrement artificiels, des rôles sociaux attribués aux individus par l’éducation, nous disent maintenant les théoriciens du genre. Ils radicalisent, ce faisant, le grand thème romantique de l’enracinement des individus dans une tradition particulière. Mais les romantiques, et Heidegger après eux, en déduisaient que cette tradition devait être mise à l’honneur. C’était aussi le raisonnement des fondateurs des sciences humaines. Les postmodernes, eux, se moquent de cette piété. Puisque tout est construit, disent-ils en substance, tout doit pouvoir être déconstruit et remodelé selon nos désirs. Historique, désormais, veut dire révocable à merci. Il n’est plus question de réformer l’Etat ou la société avec prudence, la main tremblante ; il faut mettre, dès le plus jeune âge, les vieilles idées au rebut, afin que nul ne soit assigné à résidence dans une identité, quelle qu’elle soit. Toute forme transmise est requalifiée en formatage et l’on voit dans les agents de cette transmission des collabos du Vieux Monde. Comme le souligne très justement Bérénice Levet, la cible du « genre » est, plus encore que la nature, la civilisation, le monde de significations instituées qui nous excède et nous précède. La sensibilité postmoderne est excédée par ce qui excède. On fait donc en sorte que les petites filles découvrent les joies du rugby, que les petits garçons ne préfèrent plus systématiquement les ballons aux poupées, et que les uns et les autres jouent aux gendarmes et aux voleuses. Quand on met en scène Le Petit Chaperon rouge, c’est, de préférence, avec un enfant de sexe masculin dans le rôle principal. On n’étudie plus la littérature ni la peinture : on y chasse les stéréotypes et on y célèbre ce qui permet de brouiller les codes sexués.”
“Après les attentats de Charlie et de l’Hyper Cacher, le président de la République et le Premier ministre ont appelé leurs concitoyens à être « fiers d’être français ». Le 20 janvier 2015, Manuel Valls a changé de registre et dénoncé « l’apartheid territorial, social, ethnique » qui sévit, selon lui, dans les quartiers dits « sensibles ». Un terme approuvé, selon un sondage, par 54 % des Français.
Comme le dit Pierre Manent, « le politiquement correct est la langue de gens qui tremblent à l’idée de ce qui pourrait arriver s’ils arrêtaient de se mentir ». Sous le choc des tueries de Charlie Hebdo et du magasin Hyper Cacher de Vincennes, la France a semblé sortir du pieux mensonge où l’avait maintenue la peur de faire le jeu du Front national et de montrer du doigt ceux qui, du fait de leur origine ethnique, sont les plus durement frappés par le chômage, la pauvreté, les conditions d’habitat dégradées, et qui doivent subir, par surcroît, des attaques xénophobes.
Alors que les professeurs intraitables étaient constamment désavoués par une institution soucieuse avant tout de ne pas faire de vagues, le gouvernement a décidé de prendre désormais le rhinocéros de l’incivilité par les cornes. La sévérité est donc de mise, les enseignants sont invités à ne rien laisser passer. La laïcité, qu’il convenait jusqu’à hier d’assouplir, retrouve aujourd’hui son tranchant.
On pourrait se féliciter de ce tardif réveil, si le Premier ministre n’avait pas choisi le mot d’« apartheid » pour qualifier la situation de certains territoires. Sans vouloir, bien sûr, comparer terme à terme la France de maintenant à l’Afrique du Sud de l’avant-Mandela, Manuel Valls a entonné, à son tour, la comptine rousseauiste de l’assassin innocent et de la faute au système. Après avoir incarné le parti du sursaut, il validait, dans la foulée du mot « apartheid », l’argumentaire du parti de l’Autre : la criminalité, les trafics, la radicalisation islamiste, tout cela s’explique par la ségrégation et l’absence d’une vraie politique de la ville. Celui qui crie : « Vive la kalach ! » veut dire en fait : « A bas l’exclusion, vive l’égalité réelle ! » Or, non seulement les habitants des « quartiers sensibles » bénéficient de tous les attributs de la citoyenneté républicaine et de la citoyenneté sociale, mais ils ont été l’objet d’une sollicitude ininterrompue depuis le début des années 80. Avec la création des ZEP (zones d’éducation prioritaire) et des ZUS (zones urbaines sensibles), on peut même parler à leur propos de « discrimination positive ». S’il y a des lieux à l’abandon aujourd’hui, ils se trouvent dans la France rurale ou dans la province profonde. Quarante milliards d’euros ont été dépensés pour la rénovation des banlieues, et le gouvernement promet de continuer dans le même sens avec la ténacité et les moyens que les événements imposent. Il a choisi, en effet, d’écouter les sociologues.
L’anthropologie nous a appris que toute expérience humaine est structurée par une culture, c’est-à-dire par une compréhension collective et particulière du monde. De cette réalité et des affrontements qui peuvent en découler, la sociologie contemporaine, à de très rares exceptions près, ne veut rien entendre. Cette discipline n’admet à l’existence que les dominants et les dominés, et déduit tous les antagonismes sociaux de l’écart de revenu, de pouvoir ou de savoir qui se creuse entre les uns et les autres. Elle n’envisage la dimension culturelle des phénomènes que comme un effet secondaire des inégalités.
J’ai cru, au soir du 11 janvier 2015, que c’en était fini du mensonge compatissant et de son « Cachez ce présent que je ne saurais voir ». Faux espoir : les bons sentiments sont invincibles. Bourdieu bâillonne toujours Lévi-Strauss. La misère du monde interdit d’approfondir la réflexion sur sa conflictualité. Et les premières victimes de ce sentimentalisme à prétention scientifique sont ceux-là mêmes qu’il victimise en proclamant que leur destin est scellé par une société injuste et hostile. Ce dont les enfants d’immigrés ont impérativement besoin, c’est de se prendre en main au lieu de s’installer dans le ressentiment dès leur plus jeune âge. Il faut cesser de leur fournir complaisamment des boucs émissaires. Et il faut aider l’islam à saisir ce moment historique pour se remettre lui-même en question. La culture d’origine peut être une ressource. Mais pourquoi devrait-elle rester une prison ?”
“Samedi 14 février 2015, un homme a tué un passant et blessé trois policiers en essayant d’attaquer un centre culturel de Copenhague où se déroulait un débat sur l’islamisme, la liberté d’expression et le blasphème, en hommage à Charlie Hebdo et en présence du dessinateur suédois Lars Vilks. Quelques heures plus tard, le même terroriste a tué un jeune garde devant une synagogue de Copenhague, avant d’être lui-même abattu par la police danoise.
On dit indifféremment « nouvelles » et « informations », mais l’actualité, ces derniers temps, c’est moins souvent la nouveauté que le tragique de répétition. L’événement qui vient de se produire à Copenhague est le décalque des tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Cibles similaires : les offenseurs de Mahomet et les Juifs. Même mode opératoire : le fusil d’assaut. Un terrorisme d’autant plus inquiétant qu’il ne requiert aucune compétence particulière prend ses quartiers sur le Vieux Continent. (…)
Nos dirigeants répètent et répéteront demain qu’il n’est pas question de céder devant la terreur. N’oublions pas cependant que les mêmes qui proclamaient : « Debout la République ! » le 11 janvier se sont empressés de l’asseoir sur le banc des accusés pour répondre du crime d’apartheid. S’il y a sécession culturelle et radicalisation politique, nous disent le gouvernement politique de la nation et celui - médiatique - des consciences, c’est du fait de la « ghettoïsation » que subissent les sécessionnistes. Ancrés dans la certitude que le mal procède, en dernier ressort, de l’inégalité, ces gouvernements s’obstinent à ne pas voir que l’islamisme radical est une réaction non à ce que l’Occident a d’oppressif, mais à ce qu’il a d’émancipateur.
La mixité, par exemple, qualifiée alternativement de « liberté bestiale » et de « marché d’esclaves » par Sayyid Qutb, le grand idéologue des Frères musulmans. Et tandis que la gauche s’engage sur la voie de l’expiation pour les crimes coloniaux d’hier et les discriminations d’aujourd’hui, la droite et le centre choisissent la voie plus réaliste de l’accommodement avec une population dont il faut désormais prendre en compte le poids électoral. Michèle Tribalat rappelait récemment que, pour chasser les communistes de la mairie de Bobigny, le candidat de l’UDI avait accueilli sur sa liste un membre de l’Union des démocrates musulmans de France et que celui-ci était chargé désormais d’installer un musée de l’Histoire de la colonisation.
« Pas d’amalgame ! » dit-on de tous côtés. Je partage cette inquiétude, je me garde de confondre l’islam et l’islamisme, mais je constate que, pour empêcher le glissement de l’un à l’autre, la politique des pays européens tend de plus en plus, et au prix de l’autocensure, à ménager la susceptibilité des musulmans et à satisfaire leurs demandes. Soucieuse déjà d’éviter les crispations, la police ne fait plus respecter l’interdiction du voile intégral dans l’espace public. Et des voix s’élèvent pour inviter la République à relâcher ses exigences au nom de la liberté religieuse, c’est-à-dire des droits de l’homme. Nos mœurs peu à peu sacrifiées à notre idée du droit : voilà le programme.
La politique européenne d’immigration repose sur l’idée que les individus sont interchangeables. Elle voit l’homme, d’où qu’il vienne et quel qu’il soit, à l’image du soldat inconnu, celui, comme dit Ernst Jünger, « dont la vertu réside dans le fait qu’on puisse le remplacer et que derrière chaque tué la relève se trouve déjà prête » *. L’hécatombe de 1914-1918 nous a guéris du nationalisme et de la guerre en chantant, mais nous n’avons pas rompu avec l’économie de la substitution. Nous l’avons même universalisée. La commission Attali pour la libération de la croissance française recommandait en 2008 d’« élargir et favoriser la venue des travailleurs étrangers » pour remédier aux pénuries de main-d’œuvre. L’un peut faire office de l’autre et l’autre de l’un : aux yeux de ceux qui comptent, le monde est un immense réservoir de travailleurs inconnus. Si nous n’abandonnons pas cette anthropologie désespérante, elle finira par avoir raison de notre civilisation.
* Ernst Jünger, Le Travailleur, Christian Bourgois, 1989, p. 194-195.”
“Evoquant, au cours du dîner du Crif, le 23 février 2015, sa visite au cimetière de Sarre-Union où des tombes juives avaient été profanées, François Hollande a désigné les auteurs comme « de jeunes lycéens, Français de souche, comme on dit ». [2]
Réagissant aux propos du président de la République, son ancienne ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a envoyé sur les réseaux sociaux ce message indigné : « Plus qu’une maladresse, une faute. Camus : “Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.” » Mais par quel vocable désigner tous ceux qui ne peuvent se prévaloir d’un patronyme à consonance étrangère ? On ne doit pas les désigner, justement. Désigner, c’est distinguer, et la distinction mène à la sélection, de sinistre mémoire. Il est certes licite et même recommandé de faire la différence entre une vache landaise et un hippopotame d’Afrique, car aucun hippopotame ne sera vexé de ne pas être une vache landaise. Mais il en va tout autrement dans le monde des hommes. A dire « Français de souche », en bonne ou en mauvaise part, on porte atteinte à l’égalité des citoyens. Il ne faut donc pas nommer les choses, car nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. Sous l’égide de l’antiracisme, l’indifférenciation règne, et la vie s’aligne sur le modèle de la fosse commune.
Ce fanatisme du Même conduit Gérard Biard, le directeur de Charlie Hebdo, à écrire : « Il existe bien un régime de ségrégation en France, et il frappe ceux qu’on a regroupés sous l’appellation réductrice - et discriminante - de “musulmans de France” ou, pis encore, de “Français d’origine musulmane”. On a assigné plus de quatre millions et demi d’individus à leur confession présumée. » Ainsi la religion de l’humanité confie-t-elle au langage ce mandat extravagant : non plus faire apparaître la pluralité humaine, mais la rendre définitivement invisible.
Et la couverture de l’hebdomadaire satirique où est paru cet article représente le petit chien de Charlie poursuivi par une meute de molosses enragés : un évêque, un islamiste, un représentant de La Manif pour tous, conduits par Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. « C’est reparti », dit la légende. En effet, la parenthèse se ferme. L’esprit du 11 janvier s’éloigne. Tout rentre dans l’ordre de la vieille division interne : la mobilisation nationale contre la nouvelle menace cède le pas à l’inamovible affrontement avec le salaud de toujours. Le facho, voilà l’ennemi. Ceux qui disaient : « Je suis Charlie » en pensant qu’il venait de se passer quelque chose se sentent floués. La guerre de Troie n’a pas eu lieu, leur font savoir maintenant ses premières victimes.”
[1] Lire Foulard islamique : « Profs, ne capitulons pas ! » (Le Nouvel Observateur, 2 nov. 89) (note du CLR).
[2] Lire aussi E. Lévy : "Ces souches qu’on abat" (Causeur, mars 15), "Le hollandisme de souche" (J. Macé-Scaron, Marianne, 27 fév. 15), "François Hollande, la novlangue et les « Français de souche »" (V. Trémolet de Villers, Le Figaro, 26 fév. 15), Michèle Tribalat : « Français de souche, comme on dit » (lefigaro.fr/vox , 24 fév. 15), Cukierman (Crif) : "Toutes les violences aujourd’hui sont commises par des jeunes musulmans" (Europe 1, 23 fév. 15), A. Finkielkraut : réponse à ceux qui m’accusent d’avoir parlé de "Français de souche" (lefigaro.fr/vox , 7 fév. 14) (note du CLR).
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