Revue de presse

“Yazid Sabeg ou le naufrage du commissaire à la Diversité” (rue89.com , 14 fév. 11)

15 février 2011

“Nommé en 2008 par Sarkozy, il devait changer le visage de la France. Mais le multiculturalisme est passé de mode.”

"Sa feuille de route, ambitieuse, tenait en un discours de dix pages prononcé par Nicolas Sarkozy le 17 décembre 2008 à Palaiseau (Essonne).
Sarkozy : « Nous devons changer, alors nous allons changer »

Ce jour-là, le président de la République a fait de « l’égalité des chances » la « priorité d’aujourd’hui ». Il a imposé une méthode : traiter « inégalement les situations inégales ». Et un horizon : « La diversité, à la base du pays, doit se trouver illustrée par la diversité à la tête du pays. »

Il fallait cesser de gloser sur le courage des briseurs de « tabous », Sciences-Po et ses conventions ZEP, le CAC 40 et sa charte de la diversité, et mettre « toute la société en mouvement ». Quitte à solliciter le renfort d’un soupçon de pensée magique : « Nous devons changer, alors nous allons changer. »

Pour mener à bien cette profonde transformation, Nicolas Sarkozy a donc désigné l’homme d’affaires Yazid Sabeg, le président du groupe CS, qui, depuis 2004, distillait ses idées pour instaurer la discrimination positive en France.
Vieux tube fatigué.

« Commissaire », pas ministre. Un statut sur mesure (et bénévole) pour ne pas l’obliger à renoncer à ses activités professionnelles. Prix à payer : il n’a ni budget d’investissement ni administration sous son autorité. Pour chaque projet, il doit convaincre les ministres concernés.

Au début, il expliquait que c’était mieux, que l’important était de changer les mentalités. Aujourd’hui, il dit à peu près la même chose, mais avec le regard de ces chanteurs qui entonnent à contre-cœur un vieux tube fatigué. Son équipe comptait treize personnes les premiers mois. Il en reste six, qui l’appellent « Boss » ou « Yazid », plus un chauffeur et une secrétaire.

La première année, le commissaire Sabeg a touché sans heurt majeur à plusieurs symboles et aligné les avancées :

  • le CV anonyme a été expérimenté dans des dizaines d’entreprises ;
  • un « label diversité » a été créé pour récompenser les DRH les plus audacieux ;
  • des conventions ont été passées avec des classes préparatoires aux grandes écoles pour qu’elles accueillent plus d’élèves boursiers (surtout des prépas commerciales, les prépas d’ingénieurs se montrant plus frileuses) ;
  • une vingtaine de classes préparatoires intégrées ont été inaugurées dans les écoles de la fonction publique (dont l’Ena) ;
  • les frais d’inscription aux concours d’entrée des grandes écoles ont été supprimés pour les boursiers ;
  • et la construction de vingt résidences sociales étudiantes a été décidée (dont une à Neuilly, ce qui permettra à la ville d’afficher un pourcentage de logements sociaux en progression).

C’est beaucoup. Et cependant marginal.

Son équipe continue à bricoler des projets généreux (des séjours linguistiques pour 200 « jeunes des quartiers », une tentative de revaloriser l’enseignement technologique...), mais la fougue initiale est retombée.

On a cessé de voir fleurir des structures aux intitulés performatifs (« d’excellence » ou « de la réussite », le plus souvent). Le commissariat semble à présent tourner au ralenti. Et ce n’est pas le blog de Yazid Sabeg qui démentira cette impression. Son agenda est vierge, son « actualité » figée en septembre 2009.

Sabeg rétorque que l’invisibilité des résultats est le corollaire des « projets à très long terme ». Et, pour le reste, désigne volontiers des responsables : le « conservatisme » (par conviction ou par habitude) des administrations chargées de mettre ses chantiers en musique ; et la résistance de ses « ennemis ».

Car pour lui, l’appareil d’Etat n’est pas constitué de personnes efficaces ou inefficaces mais d’alliés (Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée) et d’opposants (François Fillon, auquel il est rattaché).

La création du commissariat n’était certes pas une idée du Premier ministre. Mais Sabeg est persuadé que Fillon le maltraite. En privé, il explique qu’entre eux, c’est physique. Pas la même vision de l’Etat. Pas la même France.

Il n’a pas digéré les semaines d’attente qui ont précédé l’arbitrage d’une mission d’inspection sur la discrimination sociale dans les concours d’entrée aux grandes écoles. Ni un déplacement de François Fillon à Reims, en novembre 2009, sur le thème de l’égalité des chances. « Il y est allé avec nos propositions, sans nous associer », peste un conseiller de Sabeg.

Traitement habituel à l’égard d’un (super-)chargé de mission. Insupportable pour un ego de quasi-ministre en mal de lumière.

« Yazid Sabeg a une étonnante capacité à chouiner », relativise un conseiller élyséen. « Il n’a plus l’excuse d’être politiquement étouffé entre Fadela Amara et Eric Besson. Qu’est-ce qui l’empêche de démissionner s’il est malheureux ? »

Sabeg vous fixe et articule : « Faire un clash, à quoi ça sert ? »

Puis son torse bascule en avant. D’un coup, tout se passe comme s’il n’avait plus envie de faire semblant. Cette histoire d’inimitié fillonnienne : il sait bien qu’elle ne constitue pas l’essentiel de ses problèmes. Il reste penché, les yeux plissés, et voici qu’il dit les choses telles qu’elles sont. Que l’ambition du commissariat a été étouffée par les choix de son propre créateur, Nicolas Sarkozy :

« L’inflexion politique, à mon sens, a marqué le pas avec le débat sur l’identité nationale, juste avant les élections régionales [de mars 2010]. Ça nous a complètement planté le rapport Héran. »

Ce rapport, pondu par un comité présidé par François Héran, le patron de l’Ined (Institut national des études démographiques), concluait que le recours aux statistiques ethniques était tout à fait possible dans le cadre des lois actuelles. Une conviction ancienne de Sabeg. Ses proches l’ont vu espérer que la publication de ce rapport fasse sauter un « verrou mental » dans la société française. Rendez-vous manqué.

Sabeg pointe :

« On a préféré amuser l’opinion en agitant une burqa. A partir de ce moment, il n’a plus été possible d’avancer. La question de la diversité n’a plus été vue que comme une menace. Puis il y a eu le virage sécuritaire. Il y a eu Grenoble [référence au discours du 30 juillet 2010, au cours duquel Nicolas Sarkozy a lié immigration et sécurité, ndlr]. Là, il n’a même plus été possible de parler. »

Certes, « la disparition du ministère de l’Identité nationale a été un événement important. » Certes, Nicolas Sarkozy vient de rappeler à ses côtés un conseiller en charge de l’Intégration. Mais Abderrahmane Dahmane ignore superbement Sabeg (et réciproquement). Et, comme l’ensemble des leaders européens conservateurs, le président français s’est converti à la doctrine de l’échec du multiculturalisme. Alors ? Alors il répète :

« Faire un clash, à quoi ça sert ? »

Plusieurs anciens collaborateurs de Yazid Sabeg – qui le jugent « assez
mauvais manager », « poseur », mais « franc » et « sincèrement impliqué » –
estiment que le commissariat aurait dû se saborder depuis longtemps. Ils trouvent que « le boss donne l’impression d’attendre un poste ou une opportunité ».

Il a été nommé ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco en février 2010. Il a racheté la société Altis grâce à l’aide du Fonds stratégique d’investissement en août. Son nom circule depuis des mois comme possible successeur d’Anne Lauvergeon, dont le mandat à la tête d’Areva s’achève en juin.

Si cette hypothèse se confirmait, la sortie de scène est déjà écrite. Un conseiller du Premier ministre confie :

« Une réunion est prévue au printemps pour essayer de tirer un bilan de l’action du commissariat. En principe, Sabeg est utile tant qu’il peut servir d’aiguillon. A partir du moment où les projets sont lancés et que les structures mainstream adoptent les innovations, on peut considérer que sa mission est terminée. »"

Lire “Yazid Sabeg ou le naufrage du commissaire à la Diversité”.


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