Note de lecture

Y. Michaud : Les limites de la tolérance

par Philippe Foussier. 21 octobre 2016

Yves Michaud, Contre la bienveillance, Stock, 190 p., 18 e.

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Philosophe, fondateur de l’Université de tous les savoirs, Yves Michaud est de longue date un spécialiste de la violence, à laquelle il a consacré de nombreux écrits. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages d’esthétique et a même dirigé les Beaux-Arts à la fin du précédent siècle. Publié au printemps dernier, Contre la bienveillance a été écrit pendant l’été 2015. Ni le Bataclan et les terrasses, ni a fortiori Magnanville, Nice et St-Etienne du Rouvray n’étaient venu éclairer l’analyse pénétrante que propose ici l’auteur. Pour résumer, la thèse est la suivante : la puissance du fondamentalisme religieux, la montée des populismes de droite comme de gauche, le discrédit de la classe politique, le rejet de la construction européenne rendent caducs les schémas anciens. En particulier l’idée que la démocratie, à force de bienveillance, peut tolérer toutes les différences, toutes les croyances. Pour Michaud, il y a des croyances insupportables et intolérables et le populisme n’est pas une illusion qui se dissipera d’elle-même avec de la pédagogie. La bienveillance n’est pas de mise dans ce contexte pour bâtir une communauté politique.

Abordons pour commencer la question du populisme. S’agissant de l’extrême droite, l’auteur estime que la stratégie du front républicain est erronée car « les accords de pure opportunité sauvent peut être les apparences mais ils faussent les élections, trompent les citoyens et laissent les problèmes pendants ». C’est sans doute d’ailleurs cela le pire car à chaque l’échéance électorale qui passe et en dépit des promesses du camp républicain que « rien ne sera plus jamais comme avant » après cette nouvelle et énième alerte, les mêmes méthodes et les mêmes réponses reviennent avec régularité, qui ne règlent rien, et en tout cas n’enrayent en rien la progression dudit populisme. « De fil en aiguille, observe l’auteur, le parti inexistant des citoyens invisibles s’est consolidé, organisé, a développé son implantation et surtout a continué à attirer à lui tous ceux dont les plaintes et les demandes n’étaient prises en compte par personne ».

Le meurtre comme mode d’action

C’est sur la question du fondamentalisme religieux que le philosophe propose la réflexion la plus neuve, à la lumière, rappelons-le, du contexte de l’été 2015 : « Nous venons de faire l’expérience, et nous la referons, que les convictions religieuses non seulement peuvent tuer, mais tuent effectivement, que le meurtre peut être un mode d’action politique assumé et revendiqué comme tel ». Nous en sommes en effet rien qu’en France à environ 250 morts en 18 mois… Michaud poursuit : « Il y a désormais parmi nous des citoyens comme nous, au même titre et avec les mêmes droits que nous, qui ne partagent en rien notre vision de la communauté et les croyances qui fondent cette vision. Ils refusent la liberté d’expression – sauf la leur –, la critique, la tolérance, et en fait, la liberté tout court et sont prêts à imposer leur vision par le meurtre au nom de l’idéal religieux ».

Comme d’autres avant lui, Michaud s’étonne de notre aveuglement collectif : « On parle donc de phénomènes localisés, de manifestation minoritaires, de loups solitaires, d’individus désocialisés manipulés alors que c’est l’idée même de communauté politique qui est en jeu ». Il pointe aussi la confusion dans laquelle nous baignons « faute de situer le mal où il est : dans la non-adhésion à la démocratie, dans le refus de ses principes. Ni l’identité ni le respect des différences ne sont ici en jeu, mais carrément l’adhésion aux principes démocratiques partagés – ou plutôt leur refus ». Si la manifestation du 11 janvier 2015 avait situé à raison l’enjeu au niveau de la laïcité, la multiplication des massacres de masse modifie substantiellement la donne : « Le questionnement est bien plus grave que celui sur la laïcité et nous ramène à un autre, plus profond : celui sur les conditions du contrat social, les conditions de la souveraineté dans ses rapports avec les factions, les séditions et la croyance ». De fait, « la communauté politique peut être détruite au nom du fondamentalisme religieux par des membres de cette communauté politique même ».

Pour endiguer la progression du populisme et du fondamentalisme, Michaud appelle à rompre avec l’idéologie dominante : « Si nous voulons que le mot citoyen garde le sens qu’il a pris depuis les théories du contrat social, il nous faut en finir avec la bienveillance, la compassion et le moralisme et revenir aux conditions strictes de l’appartenance à une communauté républicaine, aux conditions strictes du contrat politique ». Car si nous avons laissé percer les idéologies de haine et d’exclusion, c’est en raison d’une « vision purement morale et donc platonique du monde ». Et, conclut l’auteur, « les morales/politiques du soin en reviennent à la patriarchie plutôt qu’à la démocratie, au gouvernement des familles, des pasteurs, des prêtres, des accompagnants, des coaches, des soignants et des nounous plutôt qu’à la souveraineté du peuple dans lequel se sont unis des citoyens ».

Philippe Foussier



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