Revue de presse

"Vouvoiement et tutoiement dans la start-up nation : Google aura-t-il raison de "vous" ?" (Marianne, 25 juil. 24)

(Marianne, 25 juil. 24) 12 août 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Dans ce deuxième numéro, « Marianne » s’intéresse au vouvoiement. Car au sein de la start-up nation, le « vous » devient suspect. Il recule, même s’il demeure toi la marque d’un art de vivre à la française.

Par Frédéric Pennel

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Le « vous » n’est pas encore mort, mais ses bastions tombent un à un. Sa première disparition se trouve dans la famille. Chez Molière, les enfants vouvoyaient leurs parents. La marquise de Sévigné et sa fille ne cessaient, à longueur de lettres, de se donner du « vous ». Cela a perduré jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec l’Émile, de Rousseau, et la révolution de l’éducation. Madame de Staël, qui adorait son père Necker, lui disait « tu ». Aujourd’hui, quelques familles seulement s’attachent à maintenir le vouvoiement des enfants en direction des parents, ou entre conjoints : ainsi, Arielle Dombasle et Bernard-Henri Lévy, qui font figure de couple archéologique.

En vérité, le « vous » est suspect. Longtemps il a été la marque de l’asymétrie des rapports sociaux. Le maître tutoyait son valet, qui lui rendait un « vous » déférent. La Révolution a sonné la charge contre ce symbole qui retranscrivait dans la langue la domination et la servilité. Louis Capet s’est vu humilié par un « tu » infamant. Le « vous » a été explicitement interdit par un décret de la Convention en 1793. Mais la langue ne se décrète pas : d’ailleurs, même Robespierre, poudré et plein de manières, peinait à s’y accoutumer…

Le « vous » est ensuite ressuscité, avec une vocation nouvelle : il s’emploie désormais entre personnes distantes. Je te tutoie car tu es un proche ou un collègue de même rang. Je vous vouvoie parce que je ne vous connais pas ou que vous êtes mon supérieur ou mon subalterne. À partir du XIXe siècle, le notable use du « vous » avec son domestique pour qu’il fasse briller l’argenterie.

Une exception hexagonale
Nous en étions là il y a soixante ans. Depuis, le « vous » est grignoté de toute part. Déjà, la vague soixante-huitarde lui a donné un sacré coup de vieux. À ce besoin de « décontraction » s’est ajoutée l’américanisation du management. L’esprit « Friday Wear » s’est diffusé dans les tenues vestimentaires comme dans la langue. En entreprise, la « coolitude » se marie mal avec le « vous », qui a été poussé vers la sortie.

En 2006, une étude révélait que 63 % des salariés tutoyaient leur N+1. Dans une start-up ou chez Google, rien ne serait plus ringard qu’un vouvoiement. On se tutoie de l’entretien d’embauche (« raconte-moi un peu ton parcours ») jusqu’au licenciement (« on va devoir se séparer de toi »). Sur les réseaux sociaux aussi, le tutoiement est de rigueur. En 2011, le journaliste Laurent Joffrin l’a appris à ses dépens. À un internaute qui l’interpelle sur Twitter, il réplique : « Qui vous autorise à me tutoyer ? » Il se prend alors toute la Toile dans la figure.

Cela étant, le « vous » n’a pas rendu l’âme. Les inconnus continuent à s’interpeller par « vous ». On vouvoie son médecin, les enseignants et même ses beaux-parents. À la télé, les journalistes font mine de se vouvoyer. Cette persistance du « vous » demeure une exception française puisqu’il disparaît en espagnol, en allemand et en italien. Sans chichi, le pape François, hispanophone, apprécie le tutoiement. D’ailleurs, Emmanuel Macron lui donne du « tu ».

Alors, faut-il liquider pour de bon le « vous » ? L’écrivain Étienne Kern, auteur de le Tu et le Vous, défend le « vous », qui nous apporte de la nuance et la liberté de choisir. « Telle personne que vous aimez ou que vous admirez profondément vous propose, un jour, de la tutoyer : vous vous sentez alors grandi, adoubé, désiré. » Rien que pour cette joie de basculer au tutoiement, gardons le « vous ».


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne "Disparu du français" (été 24) dans Langue française dans Être Français (note de la rédaction CLR).


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