Remise des Prix de la Laïcité le 10 novembre 2021

VIDEO Rachel Khan : "Nos principes républicains ne sont pas négociables, ni philosophiquement, ni politiquement" (Prix de la Laïcité, 10 nov. 21)

Juriste, actrice, scénariste et écrivain. Prix national de la Laïcité 2021. 10 novembre 2021

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Cher Président, chers Membres du Jury, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, Ma chère Famille,

Je ne sais pas si vous réalisez à quel point je suis touchée de cette reconnaissance.

Il y a peu, j’ai entendu Dany Laferrière dire qu’un écrivain n’a pas d’origine : son origine c’est la bibliothèque. J’ajouterais de manière encore plus large que l’artiste a comme origine les poèmes, les tableaux, les compositions, les films, les couleurs, les mots, qui sont venus avant lui et qui lui donnent envie de créer encore autre chose, qui le transforme, qui nous transforme dans les tremblements du monde.

Nos origines, ce sont aussi les artistes des lois. Mon esprit ne peut se détourner de ceux qui ont pensé la laïcité : Voltaire, Hugo, Clemenceau, Aristide Briand et tant d’autres... des combattants de la liberté pour faire vivre nos Lumières.

Mes origines c’est aussi Gary, Glissant, Manu Dibango que j’ai interpellé vivement pendant toute l’écriture de Racée. J’ai une pensée pour ma famille d’esprit, ma famille de sang, comme pour ma famille de sol.

Ceux qui se battent au jour le jour pour nous rappeler nos principes fondamentaux et les richesses de notre Etat de droit, qu’il faut protéger : Absnousse Shalmani, Caroline Fourest, Mila, Richard, Elisabeth Badinter, Tristane Banon et tant d’autres.

Évidemment, je tiens à vous remercier vivement mon éditrice Muriel Beyer, et Séverine Courtaud pour sa confiance et son exigence, qui m’ont permis mon expression libre et le dépassement, malgré les doutes, malgré ceux qui voulaient me faire taire.

C’est un livre de la liberté de conscience et d’expression avec la Laïcité au centre, une laïcité vivante qui veut rappeler que ce principe permet à chacune et à chacun de s’épanouir dans notre République.

Mais, comme vous le savez je suis petite fille de déporté, afroyiddish. Alors, avec ce devoir de mémoire, ce droit de mémoire, je n’oublie pas, je n’oublie rien... des silences des uns, du laisser-faire des autres, d’une bien-pensance dangereuse qui se rend complice de la haine... J’ai compris que mes origines c’est ceux qui refusent les compromis lâches et qui appauvrissent la création faisant passer des influenceurs de haine sur les réseaux sociaux pour des artistes.

Nos principes républicains ne sont pas négociables, ni philosophiquement, ni politiquement.

Face à la bassesse, je préfère vivre pleinement les marques de soutien, constantes, depuis le début d’année, suite à la parution de mon livre que vous honorez aujourd’hui. Il s’agit d’un témoignage d’amour à la France, aux lumières, à nos principes fondamentaux sans lesquels nos humanités ne peuvent ni se réparer, ni créer, ni avancer dans ce que l’humain a à bâtir pour la dignité, pour la construction d’une société solide et unie. Une société démocratique donc civilisée où le dialogue est possible. L’égalité c’est le droit à la différence de point de vue surtout si on la même couleur de peau.

Parce que j’ai énoncé les entraves actuelles à l’égalité, à la liberté, à la justice, les petites musiques dangereuses, les complaisances perfides, parce que j’ai énoncé le réel, les dogmes morbides, qui assignent et empêchent de vivre notre existence, pour nous ramener à une couleur de peau, les idéologies racialistes mais néanmoins impérialistes et coloniales puisque venues des États-Unis, qui nous déchirent et crachent sur ce que nous sommes, j’ai vu un déferlement de violence, d’humiliation, de « désolidarisation » qui ont ouvert la porte à la haine. Tout cela dit beaucoup de ce qui se passe, et tout cela est une mise en abîme de tout ce que ce livre dit. Mais pendant ce temps, vous étiez là, juste à côté et encore aujourd’hui.

Ma mère est juive polonaise, elle a été cachée pendant la guerre, mon père est sénégalais et gambien animiste. Avec l’islamisation la famille est aujourd’hui musulmane, sauf ma grande mère qui était catholique avec l’évangélisation. Dans la famille, c’est l’altérité et la lutte contre toutes les discriminations et toutes les formes d’intolérance que nous avons appris, mon frère et moi en premier.

Heurtée par les chaos du monde, c’est grâce aux principes de la République que je peux vivre, que nous pouvons vivre et exister... et que nous sommes ce peuple si particulier aux récits internationaux et pourtant à 100 % français grâce à notre socle commun qu’est notre citoyenneté et notre laïcité.

Aristide Briand s’est battu pour concevoir, « dans un esprit de tolérance et d’équité », un projet respectant à la fois les « les droits supérieurs de l’Etat » et les « intérêts légitimes » des Églises. Un projet pour la liberté de conscience. 

La laïcité n’est pas une opinion, c’est une nécessité qui permet d’en avoir. L’universalisme n’est pas une opinion, non plus. L’universalisme, c’est ce qui nous permet de nous réparer, de nous protéger en nous battant, main dans la main, quelles que soient nos croyances, nos origines, notre couleur de peau...

Laïcité et universalisme s’entremêlent, se conjuguent pour un seul objectif : faire grandir notre existence ensemble.

Vous l’avez compris, si je fais beaucoup de choses dans ma vie, c’est parce que seule l’action m’anime !

Faire exister, faire vivre la laïcité, le désir de lui donner un cœur battant, de l’incarner, donc de réparer les préjugés que l’on peut avoir de cette notion fondamentale, singulière, et la partager, est un enjeu majeur.

Elle permet de faire de nos identités et de nos croyances non des prisons, non des identités carcérales mais un infini, ouvert au monde et aux autres. Laïcité, universalisme, liberté, égalité, justice, fraternité, République... Ce sont des mots, et, comme le disait Hannah Arendt, les mots sont le début de l’action, d’où l’importance d’avoir des mots justes et qui réparent pour engendrer toutes les actions possibles pour recoudre notre société aujourd’hui bousculée.

Enfin, je tiens à remercier l’homme qui m’accompagne, toujours à l’écoute, présent dans les moments de peine où de haine. Je tiens à lui dire de ne pas se déconstruire du tout.

S’il n’y avait pas la laïcité je ne sais pas si on pourrait s’aimer, mes parents n’auraient pas osé s’aimer en tout cas.

S’il n’y avait pas nos Lumières, je n’aurais pas pu être en vie.

S’il n’y avait notre liberté de conscience et de création je n’aurais pas pu écrire Racée.

Je vous remercie.


Voir aussi la rubrique Prix de la Laïcité 2020-2021 dans Prix de la Laïcité (note du CLR).


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