Jean-Michel Ribes, dramaturge, metteur en scène, acteur, Prix Culture et laïcité 2022. 16 novembre 2022
Ainsi Jarry avait raison. Ubu est roi sur terre et le décervelage va bon train.
La panse farcie de bombes, tiré par un troupeau de prêtres à la conscience fossilisée par le pouvoir, le nouvel ordre planétaire s’avance au rythme des bondieuseries intégristes, des tamtams boursiers et des morales définitives très éloignées de la démocratie.
Seule nous reste la laïcité, qu’ils désignent comme « la religion du diable ». Alors soyons diaboliques, soyons Lucifer, celui qui porte la lumière, pour rappeler que la laïcité n’est ni une religion, ni un parti, ni une communauté, mais seulement la possibilité pour un humain d’être soi dans le respect des autres.
La laïcité c’est l’issue de secours qui nous permet de nous évader de cette forteresse obscure dans laquelle veulent nous enfermer les fous de Dieu et autres bigots.
Il est temps de fuir l’esprit saint, pour ne conserver que l’esprit.
L’esprit qui purifie des superstitions, de l’hystérie évangélique. L’esprit qui doute, invente, juge et autorise le rire, ce rire propre de l’homme, fierté des faibles, tueur de chagrin, feu de l’émeute, contrepoison, trace d’enfance et surtout terreur du despote.
Staline ne disait-il pas : « Un pays vraiment heureux n’a pas besoin d’humour. » Il surenchérissait sur le Saint Curé d’Ars, autre dictateur religieux, clamant dans ses prêches que « le rire était la corde par laquelle le démon entraîne le plus d’âmes en enfer ».
Le rire de Rodrigo Garcia et de sa pièce Golgota Picnic, qui valut au Théâtre du Rond-Point d’être agressé pendant quinze jours par des hordes de catholiques intégristes, ceints de couronnes d’épines, portant croix sur l’épaule, emmenés par le mouvement Civitas et son charismatique chef Alain Escada, mi Goebbels mi Tintin au Congo, qui faisait chanter ses troupes chaque soir en hurlant : « Pendez ! Pendez Jean-Michel Ribes dans son théâtre de Satan ! »
Les paroles n’étaient pas mal mais il chantait faux.
Faux, comme tous ceux qui s’acharnaient contre le Mariage pour tous, c’est-à-dire contre l’amour, sans oublier l’ignominie de ces nervis d’extrême droite qui imitaient le cri des singes et lançaient des bananes à l’intention de Christiane Taubira, ministre de la Justice.
Avec la ministre de la Culture de l’époque, nous avons répliqué aussitôt en organisant un grand rassemblement.
Nous n’empêcherons personne de croire, mais personne ne nous empêchera de penser, et surtout de créer. La laïcité étant la patrie de l’art, là où habitent Mozart, Goya, Ronsard, Hugo, Fellini et tous ceux qui, comme le rappelait Aragon, creusent des galeries vers la beauté et l’enchantement.
Si pendant ces vingt ans de liberté, à travers la création de 500 auteurs vivants, le Théâtre du Rond-Point a pu être un lieu célébrant chaque jour la laïcité, c’est-à-dire finalement l’humanité, c’est ce dont je suis le plus fier.
Ces quelques lignes, je les dédie à la mémoire de Samuel Paty.
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