Remise des Prix le 9 novembre 2022 à la Mairie de Paris

VIDEO Prix de la Laïcité 2022. Iris Iran Farkhondeh : "Vos acquis sont leur quête" (Prix de la Laïcité, 9 nov. 22)

Iris Iran Farkhondeh, universitaire iranienne. 16 novembre 2022

Je viens devant vous ce soir pour vous dire quelques mots de l’Iran et du combat de sa jeunesse.

Voilà plus de sept semaines que Jina Mahsa Amini est morte sous les coups de la police des mœurs pour un voile mal mis, voilà plus de sept semaines que chaque jour des Iraniennes toujours plus jeunes bravent dans les rues le bras armé de la république islamique.

Des centaines d’Iraniennes et d’Iraniens ont été tués pour avoir porté haut et fort leur volonté de vivre libres. Certains estiment à 14000 le nombre d’arrestations. Parmi les personnes arrêtées, des journalistes, des artistes, des sportifs.

Avant hier, 227 des 290 membres de l’Assemblée iranienne ont demandé (à Mohseni Ejei) au chef du système judiciaire, « de procéder le plus rapidement possible à l’exécution des protestataires condamnés pour faits de guerre ». Ce même chef d’inculpation qui a mené à l’exécution en 2020 du sportif de renommée internationale Navid Afkâri, un champion de lutte qui avait participé à des manifestations contre le régime.

Ni la popularité, ni la renommée internationale ne sont en Iran des garanties que l’on ne sera arrêté, voire même exécuté.

De nombreuses personnes s’inquiètent sur les réseaux du sort qui sera réservé aux rappeurs Toomâj Sâlehi et Saman Yasin ; ainsi que des peines qui pourraient être prononcées contre la journaliste Niloufar Hamedi (du quotidien Shargh Daily) elle qui avait couvert l’hospitalisation de Jina Mahsa Amini alors qu’elle était dans le coma (rendant ainsi l’information publique) et de sa consoeur Elaheh Mohammadi (journaliste du quotidien Hammihan) qui s’était rendue à Saqqez pour suivre ses funérailles.

La population iranienne n’en est pas à son premier soulèvement.
Il y eut la révolte de l’université de Téhéran en juillet 1999, durant laquelle des étudiants avaient été jetés du haut des bâtiments.
Il y eut le mouvement vert en juin 2009. Les images poignantes de la mort de Neda Agha Soltan avaient alors fait le tour du monde.

Régulièrement dans cette prison à ciel ouvert qu’est devenu l’Iran de la République islamique, des jeunes, âgés d’une vingtaine d’années pour la plupart, ont perdu la vie parce qu’ils aspiraient à vivre libres, ne pouvant se résoudre à vivre sous ce régime alors même qu’ils n’en ont connu aucun autre.

Jamais en 43 ans, les protestations n’ont duré aussi longtemps que cette fois-ci. Elles n’ont jamais eu une telle étendue géographique, un maillage si fin touchant même de toutes petites villes. Quand on sait ce dont la République islamique est capable, on ne peut suivre ce qui se passe en Iran que dans un mélange d’espoir et d’inquiétude, de désir et de gravité. Le courage infini de cette jeunesse nous oblige.

On me demande souvent ce que l’on peut faire pour les aider. D’abord et avant tout, relayer les images et les informations qui nous parviennent, nous faire leurs porte-voix aussi fort et aussi loin que possible.

Mais que faire d’autre ? que faire de nos humanités connectées ? Dire les noms de tous ceux qui étaient trop vivants pour continuer à se taire, s’émouvoir de les voir danser et faire de leurs éclats de rires le carburant de nos combats.

Ces derniers temps, comme après les attentats, des voix se multiplient nous incitant à une certaine prudence. Il ne faudrait pas, nous dit-on, et je cite, que « leur lutte soit décontextualisée au profit du renforcement de l’islamophobie locale ».

D’autres encore invitent à s’inspirer des événements en Iran pour renouer ici avec le sens de la révolte.

Il est fort à parier que les personnes de ce bord là ne diront jamais que, depuis 2009 déjà, les iraniens scandent dans les rues le slogan suivant : « ni Gaza, ni Liban, ma vie, je la voue à l’Iran »

Alors, puisque certains s’interrogent sur les raisons qui font que de Sâqqez au Kurdistan, à Zâhedân au Baloutchistan, les gens scandent « jan, jiyân, âzâdi / zan, zendegi, âzâdi / femmes, vie, liberté », je vais tâcher de dire brièvement ces raisons.

Outre le refus catégorique du voile obligatoire, quelles sont les aspirations de la majorité des Iraniens ?

Dans le discours qu’il a prononcé à Berlin, Hâmed Esmaeilion en a rappelé certaines. C’est avec ces mots qu’il a commencé son discours. "Nous avons tous un rêve, dans ce rêve les prisonniers ne sont pas condamnés en trois minutes puis exécutés…" Et il dit un peu plus loin : "Dans notre rêve « on n’arme pas Poutine pour qu’il tue les Ukrainiens. Dans notre rêve, nos pays voisins voient un visage serein. La Syrie, le Liban et l’Irak ne sont pas en permanence en proie au tumulte et à l’inquiétude. »"

En somme, les Iraniens aspirent à vivre libres dans un Etat de droit et ils ne veulent plus d’un régime qui est une menace pour sa propre population mais aussi pour la région.

Ils ne sont pas dupes de l’instrumentalisation par le régime de la « cause palestinienne » et ils le disent haut et fort.

Quelles sont encore leurs aspirations ?

Parmi les images que l’on a pu voir ces derniers temps, des photos des campus où les étudiants mangent ensemble dans la cour, garçons et filles côte à côte, une vidéo montrant des étudiants qui abattent les cloisons qui séparent le réfectoire des filles de celui des garçons, des photos d’amoureux marchant main dans la main, une photo d’un garçon et d’une fille qui s’embrassent…

Depuis plus de 43 ans, les Iraniens vivent une double vie.

Et quiconque connaît un peu l’Iran sait que dans les intérieurs, ils rient, chantent, boivent, s’aiment, dansent et font la fête. Ce mouvement de la jeunesse iranienne aspire à faire voler en éclats la dichotomie entre l’intérieur, où l’on se permet bien des choses et l’extérieur où l’on doit être vigilant à ce que l’on donne à voir.

Il n’est plus question pour elles de se plier aux injonctions du régime. Son élan de vie irrévérencieux vient offrir une formidable réponse à tous ceux qui mettent dos à dos « la liberté de se voiler et celle de ne pas le faire », qui disent d’un haussement d’épaules, voile contre minijupe, même combat et mêmes injonctions patriarcales.

S’il est évident que la question du voile ne se pose pas dans les mêmes termes en Iran et en France, s’il n’est pas question de demander l’interdiction du voile dans l’espace public, on est tout de même en droit de se demander ce que signifie le voile. Un instrument qui réduit le corps des femmes à l’état d’objet du désir masculin auquel il doit se soustraire, un instrument de réification du corps des femmes, qui ne pourrait être qu’objet de désir, de tentation des hommes déresponsabilisés de leurs pulsions irréfragables.

Les femmes qui se soustrairaient au voile ne seraient donc que des viles tentatrices. En un mot, il est le marqueur du fait que l’on retire à la femme la possibilité d’être un sujet libre de son désir, ce que ne fait certainement pas la minijupe.

Et si la jeunesse iranienne voulait faire voler en éclat l’impossibilité d’avoir une intimité ? Du dernier film de Jafar Panahi qui sortira bientôt sur les écrans, au poème d’Ahmad Shamloo écrit dès juillet 1979, les artistes ont régulièrement dit cette impasse :

"On vient sentir ta bouche

Que tu n’aies dit je t’aime

On vient sentir ton coeur

Quelle étrange époque vivons-nous, ma toute gracieuse" [1]

Avec pour seules armes leur immense courage et leur soif de liberté, les femmes iraniennes disent un peu partout dans le pays cheveux au vent et tête nue :
« Nous ne voulons pas de la République islamique, nous n’en voulons pas »

Puissent-elles obtenir gain de cause.
Et puissions nous chérir ici notre modèle laïque émancipateur que l’on nous envie tant
et auquel de très nombreuses personnes de par le monde aspirent ardemment.

Vos acquis sont leur quête.

Ne laissons personne les malmener, ils sont beaucoup trop précieux.

[1Ahmad Shamloo, "En cette impasse", juillet 1979. Extrait de Petits Chants de l’exil, Téhéran, 1980, traduit par Reza Afchar Naderi (note du CLR).


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