Remise des Prix le 2 novembre 2016 à la Mairie de Paris

VIDEO Prix de la Laïcité 2016. Manuel Valls : "Faire vivre la laïcité"

Premier ministre 3 novembre 2016


Monsieur le Premier adjoint à la maire, cher Bruno JULLIARD,
Monsieur le président, cher Patrick KESSEL,
Monsieur le président délégué, cher Philippe FOUSSIER,
Madame la présidente du jury, cher Joseph MACÉ-SCARON,
Madame, messieurs les lauréats,
Mesdames, messieurs,

Comme presque chaque année – notez mon assiduité ... – je vous retrouve pour la remise de ce prix.
A chaque fois, je tiens à être présent, car c’est un moment important – pour vos trois lauréats bien sûr : Maryam NAMAZIÉ, Malek BOUTIH et le professeur BAULIEU.

Mais aussi parce qu’il permet aux militants, aux avocats de la laïcité que nous sommes, de redire, comme vous le faites tout au long de l’année, à travers vos différents engagements, notre détermination à ne rien laisser passer, à ne rien céder sur cette valeur qui nous rassemble.

La laïcité, c’est la France. Sa singularité. Son âme. La laïcité, c’est la République. Son unité. Sa flamme.

Elle est la clef de voute de notre Nation ; ce trait d’union entre ce qui nous est si cher : la liberté, l’égalité, la fraternité.

Liberté, car la laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire.

Egalité, car la laïcité ne hiérarchise pas les religions, les convictions, les opinions. Les croyants comme les non-croyants sont les citoyens d’une même Nation, avec les mêmes droits, et les mêmes devoirs. Que l’on soit une femme ou un homme !

Fraternité, enfin, car la laïcité, c’est transcender nos différences, pour adhérer à un projet commun. Comme le dit Henri PEÑA-RUIZ, c’est tout « un idéal laïc qui retentit dans le mot laïcité » ; un idéal d’émancipation et de recherche exigeante d’universalité contre les obscurantismes de toute sorte qui enferment, asservissent, abaissent l’humanité.

Nous devons faire vivre la laïcité ...

La laïcité, c’est la France, notre idéal républicain. Vouloir l’affaiblir, la contester – comme c’est trop souvent le cas – c’est s’en prendre à ce que nous sommes ; c’est revenir sur ce prolongement de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, sur cette grande loi de1905 – dont nous célébrions, l’an dernier le 110 anniversaire...

Une grande loi dont le génie réside dans ce paradoxe apparent : séparer pour rassembler ; séparer le politique du religieux ; séparer pour que ni les religions, ni l’Etat, ne puissent s’immiscer dans les choix de chacun.

J’entends dire, je lis, ici ou là, depuis le discours que j’ai prononcé il y a deux semaines dans ma ville d’Evry, que j’aurais changé ma vision de la laïcité ... qu’elle se serait « adoucie » ...

J’avoue mon désarroi ... car ma laïcité, comme la vôtre, n’est pas une plasticité ! Elle ne s’adapte pas en fonction de l’auditoire. Elle n’est pas à géométrie variable. C’est la même que je porte depuis toujours, notamment depuis que je suis l’élu des quartiers populaires, l’élu d’Evry, cette ville riche de tous ses cultes qui cohabitent en paix ; cette ville où, même si je n’ignore pas les problèmes, les habitants dans leur très grande majorité, vivent pleinement, fièrement leur religion, leur vie intérieure et leur appartenance à la collectivité.

Alors, allons au fond de choses ! Qu’est-ce qui aurait changé dans mes propos ? Parce que j’ai dit que l’Islam de France, les Français musulmans, c’est une part de la France ? Parce que j’ai dit cela – ce que j’ai d’ailleurs déjà dit à maintes reprises – alors je serais moins arc-bouté sur la laïcité ?

Je refuse de laisser dire cela, car c’est laisser croire que la laïcité, c’est une « arme de stigmatisation des musulmans », un « combat identitaire », un « acharnement liberticide contre quelques-uns » !

J’ai le plus grand respect et la plus grande considération pour la religion et la culture musulmanes. Et parce que je la respecte, je la soumets aux mêmes exigences que toutes les autres religions. Je veux qu’elle brille au cœur de la République, c’est-à-dire qu’elle sache aussi se débarrasser du poison salafiste qui la mine. Et l’Etat est là pour accompagner les Français musulmans dans ce combat. Qui est d’abord leur combat !

La laïcité que je défends depuis toujours, c’est un équilibre exigeant entre tolérance et fermeté.
Ce n’est pas la négation du fait religieux ou des religions ; c’est leur donner toute leur place, leur juste place. C’est-à-dire que la religion n’a pas d’emprise sur la société, et que personne ne peut imposer ses pratiques religieuses aux autres.

Nous devons « faire vivre » cette laïcité !

Je sais que cette expression, à force d’être répétée, sonne un peu creux, mais toute l’urgence est là.

Nous devons redonner du sens, de la consistance, à ce mot qui fait l’objet de tant de récupérations, de confusions, d’incompréhensions.

Trop souvent, nous avons détourné le regard, préféré ne pas voir les problèmes là où ils étaient, employé ô combien d’euphémismes pour acheter – Malek BOUTIH l’a si bien dit – je ne sais quelle paix sociale !

Le résultat, quel est-il ?

Une montée en flèche des communautarismes !

L’émergence au cœur même de notre communauté nationale de vrais projets de contre sociétés !
Un essor alarmant des fondamentalismes !

Et finalement une perte de repère pour une partie de notre jeunesse qui, parce qu’on a laissé faire les prêcheurs de haine, parce qu’on a hésité là où il aurait fallu un discours républicain clair et mobilisateur, bascule – même s’il y a toujours bien sûr, la responsabilité personnelle – dans le djihadisme !

Il ne faut jamais transiger avec la vérité des faits. C’est ce que tu as toujours privilégié, cher Malek, ce parler vrai qui parfois fait mal, mais qui réveille les consciences, et je pense notamment à ton travail intitulé « Génération radicale » [1], que chacun doit lire et relire pour comprendre à quel point une part de notre jeunesse se place délibérément hors de la République, hors de la société.

Sur fond de contestation de la laïcité, notre société s’est fissurée, fracturée, avec le retour de l’antisémitisme, la haine des Juifs, la recrudescence des actes antimusulmans et anti- chrétiens.

Une violence qui s’ajoute à d’autres violences, à cette ultra-violence qui vise nos forces de l’ordre, nos sapeurs-pompiers, qui est le fait également de mouvements idéologiques très déterminés, aussi bien à l’ultra-droite qu’à l’ultra-gauche.

Partout, la violence, les comportements extrêmes tentent de déstabiliser notre société, ses fondements.

... la faire vivre concrètement ...

Il faut défendre bec et ongles la laïcité.

La défendre c’est-à-dire l’expliquer, le faire partager, dès le plus jeune âge.

La défendre, aussi, pratiquement, car la laïcité ce sont des questions très concrètes qui surgissent dans la vie de tous les jours. Des questions qu’il faut savoir trancher.

Il y a la question du port de signes religieux, celle des menus dans nos cantines, celle du port du voile intégral dans l’espace public, celle du financement des lieux de culte ... celle de ces quartiers entiers sous l’influence d’un ordre religieux rétrograde excluant purement et simplement les femmes ... et je pense à votre long et courageux combat, chère Maryam NAMAZIÉ.

Il y a aussi ces questions qui se posent tous les jours aux infirmiers, aux travailleurs sociaux, aux agents publics : que faire quand un patient refuse de se faire soigner par une femme, quand on demande des créneaux réservés dans les piscines municipales, quand un collègue refuse de serrer la main à une autre collègue, quand une femme souhaite garder son voile sur son lieu de travail ? Quelles sont les règles ? Qu’est-ce qui est acceptable ? Où finit le choix individuel ? Et où commence la vie collective ? Et il n’y a pas de petits débats : la laïcité a déjà trop souffert des négligences, des petits renoncements.

Sur certaines de ces questions, la loi apporte des réponses, fixe le cadre. Mais la loi n’est pas toujours le seul moyen. Il faut apporter des réponses, ne pas laisser les agents et salariés seuls face à ces questions. Il faut donner des directives, fixer des règles, et surtout enseigner et former.

C’est ce que Régis DEBRAY explique très bien dans son ouvrage La laïcité au quotidien. Pour lui, la laïcité, c’est « permettre à une Cité de se rassembler par-delà ses différences sans les nier ni les brimer ». Ce livre montre qu’entre le renoncement et la rigidité, il y a une voie faite d’exigence et de pragmatisme.

... car la laïcité est au cœur des enjeux de société

Cher Patrick KESSEL,
Vous ne me contredirez pas si je vous dis que la « laïcité est au cœur des enjeux de société » [2].

Et ce qui est en jeu, c’est bien sûr, d’abord, l’autorité, notre capacité à fixer des règles et à les faire respecter.

Cette autorité – c’est une tendance lourde de notre époque – est souvent mise à mal, contestée : ce sont, je l’ai dit, nos policiers, nos gendarmes, nos enseignants que l’on agresse, plus seulement dans les mots, mais dans les actes, de plus en plus violents.

Il y a une attente d’autorité dans notre pays, d’une autorité républicaine ! Et c’est à la gauche de reconquérir cette autorité, comme nous le faisons depuis 2012, car l’autorité est fondamentalement émancipatrice ; elle libère de toute emprise, fait que les citoyens sont libres de leur choix, de la vie qu’ils veulent mener.

L’enjeu, c’est bien sûr aussi notre école, qui doit être ce lieu apaisé de transmission des savoirs.

Apaisé, c’est-à-dire en dehors de toutes les tensions qui traversent notre société. La laïcité est ce rempart qui permet que les revendications, les prosélytismes de toute sorte restent à la porte de l’école.

C’est pour cela que nous avons voulu une Charte de la laïcité affichée dans tous les établissements scolaires, que nous avons réintroduit un enseignement moral et civique.

Nos valeurs communes – la laïcité, la dignité, le respect, la tolérance – doivent être enseignées, apprises par les écoliers et comprises aussi par les parents d’élèves. C’est un point de départ essentiel pour reconquérir le terrain perdu depuis des années, pour reconstruire ce que nos renoncements collectifs ont abîmé.

L’enjeu, c’est également notre jeunesse.

Je disais qu’il avait pu manquer d’un discours républicain mobilisateur. Eh bien justement, face à une forme obscure d’engagement, à ce « néoromantisme moisi » qui pullule sur les réseaux sociaux, sur fond de complotisme, nous devons opposer un contre-discours et dire quel peut être l’engagement au service de son pays.

Il y a une telle énergie parmi nos jeunes, une telle volonté d’être utile ; il faut l’encourager, et lui donner des moyens de s’exprimer. C’est pour cela que je plaide pour un service civique obligatoire qui permette aux jeunes françaises et aux jeunes français d’agir ensemble pour l’intérêt général. Nous devons faire confiance à notre jeunesse, lui ouvrir des horizons, pour qu’elle n’ait pas la tentation du repli et du rejet. Lui donner le goût de l’aventure, une espérance, un horizon.

L’enjeu, c’est aussi la recherche.

C’est ce que vous avez dit en remettant ce prix Sciences et laïcité à Etienne-Emile BAULIEU. Une recherche qui fait progresser les savoirs, et qui n’est pas placée sous la chape de plomb des croyances et des dogmes.

Ne tombons pas dans la caricature : les religions ont toujours été un vecteur d’érudition. De même qu’elles sont un sujet d’étude – la Troisième République est celle qui a vu naître une chaire d’histoire des religions au Collège de France ! Mais le religieux et le scientifique, le religieux et le progrès de la médecine, ce sont deux ordres qui vivent séparément. L’un est porteur de sa propre certitude. L’autre vise un objet de connaissances. Et aucun des deux ne peut être soumis à l’autre.

Mesdames, messieurs,
Dans ce moment où les repères se brouillent, nous avons besoin de clarté.

Tout mélanger tout le temps, voilà ce sur quoi comptent les populistes : laïcité, religion, immigration, question sociale, tout se brouille, pour mieux se résoudre par les amalgames et les outrances.

En remettant tous les ans avec opiniâtreté et régularité ce prix à des personnalités de la vie politique, scientifique, culturelle, vous contribuez à montrer que la laïcité ce sont des visages. Ce sont des vies. Ce sont des engagements au service des autres.

Alors résistons ! Résistons aux simplifications et aux caricatures. Résistons au flot des passions qui envahit le débat public, et choisissons toujours la modération et la raison. Résistons à tous ceux qui voudraient opposer les religions, ou opposer les défenseurs de la laïcité aux croyants. La France a besoin d’apaisement, elle a besoin de se retrouver, et plus que jamais, elle a besoin d’hommes et de femmes tels que vous pour la guider.

Vive la laïcité !

Vive la République !

Vive la France !




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