Edito du Président

Valls à Matignon, la Laïcité au coeur du quinquennat (6 av. 14)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République 6 avril 2014

Laïque exigeant, sous-entendu sectaire, laïcard, républicaniste, sous-entendu conservateur, c’est dans ces termes que les tenants du communautarisme, de droite comme de gauche, ont accueilli la désignation de Manuel Valls comme Premier ministre.

On peut comprendre l’acidité de ces réactions puisqu’il est vrai que l’ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes n’a jamais caché son attachement aux principes républicains et notamment à une laïcité sans qualificatif. Ce qui, dans la confusion idéologique qui pèse sur nos têtes, suffit à en faire quasiment un réactionnaire !

Après cinq ans de mauvais coups continus portés à la laïcité sous la présidence sarkoziste et en dépit des engagements clairs de François Hollande, les tenants du communautarisme se sont employés à peser sur le pouvoir, qu’il s’agisse de l’affaire de la crèche Baby Loup, des propositions sur l’intégration envisageant l’abrogation de la loi sur les signes religieux à l’école, de l’accompagnement des sorties scolaires par des mères voilées.

Un grand quotidien du soir a présenté le nouveau Premier Ministre comme un héritier de Clemenceau, partisan d’une "laïcité exigeante", lui reprochant "un passé lourd avec les musulmans" et des "relations tendues" avec les catholiques ! Une lettre communautariste a écrit que l’homme qui a soutenu les lois sur les signes religieux à l’école et l’interdiction de la burqa dans la rue divise les citoyens ! Quel délicieux remake de l"arroseur arrosé" !

Quels crimes a donc commis le nouveau chef du gouvernement pour mériter un tel opprobre ? Il a indéniablement critiqué les manifestations contre le mariage pour tous, s’est prononcé en faveur de la loi sur le port du voile dans l’espace public et a estimé que les propositions de la mission laïcité de l’ancien Haut Conseil à l’Intégration - dont une sur 12 envisageait l’interdiction du voile dans les salles de travail des universités - méritaient d’être examinées plutôt que d’être jetées aux poubelles de l’Histoire ! Il a eu le courage, et ils n’étaient pas nombreux parmi les élus, de soutenir, dès le début, la crèche Baby Loup afin que soit respectée la liberté de conscience des enfants. Politiquement incorrect pour ceux qui militent afin que les lois s’adaptent aux traditions des communautés plutôt que l’inverse ! A-t-il porté atteinte à la liberté de pratiquer un culte, menacé la paix civile ?

Qui défend la laïcité et l’universalisme des valeurs de la République serait donc irréligieux, liberticide, dangereux ! Bientôt, c’est tout l’héritage des Lumières qu’ils jetteront pas dessus-bord. L’opération est d’ailleurs malheureusement bien engagée !

La modération sur ce sujet nous vient du quotidien catholique La Croix, qui rappelle que le temps de son ministère à Beauvau, le ministre de l’Intérieur et des cultes a inauguré deux mosquées, une synagogue, participé à trois messes, une béatification, une canonisation, une rupture de jeûne du Ramadan et à une cérémonie de Kippour ! Pour un homme suspect de laïcité trop ferme, voilà un bilan qui résonne comme un démenti, ridiculisant ses détracteurs. Qu’eussent d’ailleurs pensé nos anciens à une époque où les élus de la République se faisaient devoir de ne pas participer publiquement à des cultes et réservaient leur présence à titre privé ? Ils auraient estimé que le ministre prenait des libertés avec la neutralité de sa fonction et de la République.

Que signifient donc ces cris d’orfraie sinon la crainte d’un rééquilibrage alors que les réseaux communautaristes pèsent déjà fortement dans les sphères du pouvoir, comme on l’a constaté à l’occasion des débats sur le mariage pour tous, le droit à mourir dans la dignité, les crèches bénéficiant de subventions publiques ou bien les accompagnements scolaires.

Chacun est bien évidemment libre de critiquer le parcours et les orientations politiques ou économiques du nouveau Premier ministre. Le Comité Laïcité République se garde bien d’intervenir sur ce champ, laissant à chacun de ses membres la pleine liberté. Mais il est malhonnête de faire de la défense de la laïcité, vertu républicaine, un acte d’accusation fondé sur des préjugés d’un autre temps.

La France, et c’est sa chance, est de plus en plus diverse. Aussi a-t-elle besoin de plus de laïcité pour vivre réellement ensemble. Elle a besoin de citoyenneté renforcée afin que toutes les femmes et tous les hommes soient libres et égaux en droits, quelles que soient leurs origines, la couleur de leur peau, leurs appartenances. Libres de construire librement leur vie dans le respect de la liberté des autres mais aussi de la loi commune. Libres de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, de n’en avoir aucune, de les critiquer toutes. Elle a besoin de République et la République a besoin de solidarité pour donner sens à la Fraternité. C’est cela aussi la laïcité.

Au lendemain d’une bérésina électorale historique, le moment est venu de prendre la mesure du message adressé par les électeurs. Mécontentements liés à la fracture sociale, à la mondialisation économique, à la communication médiatique qui transforme la politique en mauvais spectacle. Mais la crise est aussi de l’ordre de la déchirure culturelle, de la perte de repères communs, du repli sur des identités différencialistes.

Nos concitoyens ont besoin de repères et de valeurs communes, d’une représentation imaginaire de la société qui fasse sens, d’un projet qui porte l’envie de faire Nation ensemble, avec nos différences mais dans l’égalité des droits et des devoirs. Tel est l’enjeu du ressourcement aux valeurs républicaines que nous appelons de nos voeux.

La gauche, tout particulièrement, a rendez-vous avec sa mémoire, son projet, son identité, sa raison d’être. Combien savent encore que Jean Jaurès n’avait pas d’état d’âme pour affirmer que "le socialisme c’est la République jusqu’au bout" ? Mais peut-être, pour certains, cette citation est-elle devenue politiquement incorrecte ?

Au milieu du quinquennat, la Laïcité constitue un enjeu essentiel pour notre démocratie, pour la paix civile. Elle en est la clé de voûte, le ciment, en même temps qu’elle constitue un des meilleurs outils pour lutter contre toutes les formes de discrimination et de racisme, pour lutter contre la banalisation de l’extrême-droite. Les chantiers ne manquent pas pour une République plus sociale et plus laïque.

Paraphrasant Danton, souhaitons au Premier ministre de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace !

Patrick Kessel
président du Comité Laïcité République


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