Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 30 mars 2018
Ce 29 mars s’ouvre le procès en appel contre Georges Bensoussan, poursuivi parce qu’il a dénoncé dans des termes crus l’antisémitisme qui se diffuse aujourd’hui dans notre société, et spécialement par l’entremise d’un islamisme de plus en plus banalisé. Un terrible hasard veut qu’il ait lieu le lendemain d’une manifestation (marche blanche) contre l’antisémitisme en réaction à l’assassinat d’une femme âgée sans histoire, Mme Mireille Knoll, parce qu’elle était juive. Elle a été assassinée le jour de l’attentat de Trèbes où quatre personnes ont trouvé la mort et fait une dizaine de blessés, commis par un islamiste salafiste se réclamant de Daech. On serait tenté de dire : la boucle est bouclée !
Remémorons-nous les faits. Le 10 octobre 2015, l’historien Georges Bensoussan, invité par Alain Finkielkraut dans son émission Répliques sur France-Culture tient les propos suivants : "Aujourd’hui, nous sommes en présence d’un autre peuple [les personnes de culture arabo-musulmane, Ndlr] au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés. Il n’y aura pas d’intégration tant qu’on ne se sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret". Il ajoutera : "Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : c’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère." Les associations communautaristes de tous poils, demanderont par voie de pétition au Conseil supérieur de l’audiovisuel, de condamner ces propos.
Le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), émanation des Frères musulmans, qui parade régulièrement avec les indigènes de la République pour propager la haine de notre République et de sa laïcité, a porté plainte contre Georges Bensoussan pour incitation à la "discrimination, la haine ou la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine (…) en l’espèce la communauté musulmane". Il a été rejoint alors par la Licra qui s’en est retirée depuis, et par l’association SOS Racisme ainsi que par la Ligue des droits de l’homme et le Mrap, qui se sont là pour le moins égarés.
Alain Finkielkraut a dans ce contexte apporté son soutien à Georges Bensoussan, évoquant "un faux procès". Egalement Elisabeth Badinter, le grand rabbin de France, en passant par la démographe Michèle Tribalat ou l’écrivain Pascal Bruckner. Des intellectuels musulmans, et non des moindres, se sont aussi engagés à ses côtés, tels que Boualem Sansal, Kamel Daoud, Fethi Benslama et Riad Sattouf.
Le 7 mars 2017, la justice a tranché et lavé de toute accusation l’historien Georges Bensoussan. Mais le parquet a décidé, à contre sens de l’histoire, de faire appel. Me Michel Laval, l’avocat de Georges Bensoussan, dans un entretien accordé au site Akadem, s’étonne de la décision du parquet, « c’est assez étonnant de voir le parquet s’aligner dans ce dossier sur la position du CCIF », qu’il qualifie de « suivisme » problématique puisqu’il a été jugé que « le CCIF ne remplit pas les conditions pour pouvoir agir en justice » c’est-à-dire de se constituer partie civile. Il accuse également le CCIF « d’instrumentaliser la justice au service d’une certaine idéologie ». C’est l’évidence, que seul le parquet ne semble pas vouloir voir.
Récemment, c’est Aurélien Enthoven, le fils de Carla Bruni et du philosophe Raphaël Enthoven, qui a été l’objet sur les réseaux sociaux d’un déferlement de haine antisémite, pour avoir posté une vidéo a sa chaîne YouTube « M-Gigantorapteur », en collaboration avec « Penseur Sauvage », intitulée « Le Racisme - IRL », dont l’objet était de démontrer que « les races n’existent pas ». Ce nouvel épisode d’un antisémitisme sans fin, succédait au scandale d’une agression antisémite contre un enfant de 8 ans à Sarcelles.
Il y a une nouvelle forme d’antisémitisme qui monte depuis un certain nombre d’années dans notre pays. Un antisémitisme qui s’est débridé lorsqu’en juillet 2014 on a vu une manifestation pro-palestinienne résonner de mots d’ordre de "mort aux juifs" et de "Allah Akhbar", repris en cœur, avec dans le cortège des manifestants se réclamant d’associations antiracistes, ainsi que d’autres d’organisations gauchistes. Plusieurs synagogues devaient être, à cette occasion, attaquées en fin de manifestation. Dans ce contexte, plusieurs commerces juifs avaient été brûlés ainsi que des voitures à Sarcelles. Aucune pétition ou/et manifestation après de la part de ces associations défendant les droits de l’homme, habituellement promptes à monter au créneau sur les discriminations, pour dénoncer cette dérive qui était un tournant historique de voir sur la voie publique, l’antisémitisme s’exprimer ainsi. On a encore sous-estimé l’événement, vite oublié par les médias.
Pourtant, il y avait déjà eu, "le gang des barbares" avec Youssouf Fofana en janvier 2006, qui avait séquestré pendant trois semaines et torturé à mort, le jeune Ilan Halimi. Un gang qui même après son procès a revendiqué son antisémitisme, ce qui aurait dû faire réfléchir. Mais en réalité, à chaque nouvel acte antisémite, il semble que cela donne des ailes à d’autres, dans un contexte de sous-estimation d’une haine rampante qui fait chaque jour des dégâts, que de simples déclarations d’intention de nos responsables politiques, aussi bienveillantes soient-elle, n’endigueront pas.
Rappelons-nous en mars 2012, la tuerie d’un Mohammed Merah, dont des enfants juifs assassinés par arme à feu à bout touchant. Comme fait social, c’était la manifestation terrifiante d’une haine témoignant d’un mal profond de tous les dangers, se diffusant comme un poison dans certains groupes et dans certains quartiers, qui atteignait là un point de paroxysme. On a vu depuis le nombre de radicalisés s’envoler, au moins 20.000 s’il faut en croire le dernier chiffre publié dans le cadre du "Plan de prévention de la radicalisation" présenté par le gouvernement le mois dernier. Un antisémitisme qui est l’un des ingrédients d’une théorie du complot ayant pour centre la dénonciation d’un pseudo "complot juif mondial", qui serait à l’origine de toutes les oppressions, désignant "le juif" comme ennemi à abattre.
Il y a eu aussi un peu partout en France, en janvier 2015, le refus de jeunes dans des établissements scolaires de respecter une minute de silence pour les morts de Charlie Hebdo et ceux de l’hypercacher de Vincennes. Révélant un état de notre société sur ce sujet, qui ne laissait plus de place au doute, quant à l’existence d’un antisémitisme de masse dans certains milieux. Mais il y a aussi, des signes de banalisation donnés parfois par certaines autorités comme la justice, lorsque par exemple le procès du frère de Mohammed Merah qui a armé idéologiquement le terroriste pour qu’il tue, est lavé par elle de toute responsabilité, donnant un signe d’une extrême gravité à des jeunes de milieux populaires tentés par le piège de la radicalisation et de l’islamisme.
Selon le ministère de l’Intérieur, les actes antimusulmans, racistes et antisémites ont reculé entre 2016 et 2017. Mais la place Beauvau précise que "cette baisse globale ne doit cependant pas masquer l’augmentation des faits (...) d’actions violentes", qui obligent policiers et gendarmes à intervenir, qui concernent essentiellement les actes à caractère antisémite, passées de 77 en 2016 à 97 en 2017. Pour aucune autre catégorie, il ne s’agit d’assassinat, de viol, de séquestration avec torture, alors que c’est le cas pour les actes antisémites !
Selon une enquête d’Europe 1 [1], on constate un déplacement de familles juives des villes où elles se sentent en insécurité vers d’autres plus accueillantes. En l’absence de statistiques officielles, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNCVA), une association communautaire, estime qu’en dix ans, 60.000 Juifs d’Île-de-France ont déménagé. Jérôme Fourquet, de l’Ifop, auteur d’un livre-enquête sur l’antisémitisme en France, y voit un "mouvement de fond". Les départs se font principalement de la Seine-Saint-Denis. À la Courneuve par exemple, on est passé de 300 familles juives en 2000 à 80, selon l’enquête. À Tremblay ou à Aulnay, nous dit-on, les communautés sont en train de s’éteindre, les synagogues sont désertées. Ces familles se rendent principalement vers l’ouest parisien, comme le 17ème arrondissement. Il y a dix ans, le quartier ne comptait que deux restaurants cachers, à présent ils sont plus d’une trentaine. On renforce aussi par cette situation le risque d’enfermement communautaire.
On explique que les enfants juifs, notamment à partir du collège, vont dans des établissements privés en général confessionnels. On fait ainsi le constat d’un mouvement de la société, qui veut que les enfants juifs étudient dans les écoles juives, les catholiques et les membres des classes moyennes largement dans les écoles catholiques, et les autres atterrissent dans les écoles publiques. Ceci avec pour conséquence que les enfants des différentes origines, religions, ne se rencontrent plus, ne vivent plus ensemble. La mixité s’effrite de plus en plus, particulièrement dans des écoles voire les clubs de sport. Comme le souligne encore l’enquête « un gamin de Sarcelles ne sait plus ce que c’est qu’un Juif, il ne le sait que par fantasme. Il faut recréer des passerelles pour que, dès le plus jeune âge, on apprenne à vivre avec les autres. »
On laisse le Parti des indigènes de la République (PIR) continuer à déverser sa haine, dont la porte-parole Houria Bouteldja, qui ne dénie pas son antisémitisme. Cette dernière a récemment été défendue par Mme Obono, député de la France insoumise, sans que cela ne déclenche de tsunami du côté des politiques et des associations de défense des droits de l’Homme, pour rendre impossible que cela ne se reproduise. Tout est banalisé. C’est un climat général sur ce sujet qui est en cause, dont l’appel à la "cohabitation-séparation" en communautés distinctes, au communautarisme, d’une Rokhaya Diallo, partout dans les médias et soutien du PIR, défendant au passage des ateliers non mixtes dont les blancs sont exclus, encourage un état d’esprit délétère dans notre société sur fond de retour d’un discours racial qui donne le frisson.
Si on ajoute à cela le conflit-israélo-palestinien, et la vision antisioniste dominante qui contribue à l’antisémitisme par amalgame, on a une idée assez fidèle de l’évolution de la situation. Une population qui représente moins d’1% de la population totale, focalise à elle seule la moitié des actes racistes en France et l’essentiel des plus violents. Et ça, ce n’est pas de la victimisation, c’est la réalité !
Voilà pourquoi le procès de Georges Bensoussan est si symbolique, parce qu’il représente une sorte d’alarme au regard d’un antisémitisme dont on ne parvient plus à mesurer les limites, ni à le contenir. Notre société est engluée dans bien des confusions à lever, qui laissent libre cours aux marchands de haine qui prolifèrent sur le développement du communautarisme, qui font de l’antisémitisme une sorte d’élément de synthèse de la radicalisation. A défaut de clarifier en étant sans la moindre concession vis-à-vis de ceux qui propagent ce climat, ce ne sont pas que les juifs qui seront en danger, même s’ils restent les premiers visés.
Lire aussi "Procès Bensoussan : la dangereuse judiciarisation du débat d’idées" (B. Lefebvre, J. Tarnero et M. Tribalat, Le Figaro, 29 mars 18), "Procès en appel de Georges Bensoussan : les incohérences du gouvernement" (B. Lefebvre, J. Tarnero, C. Valentin, lefigaro.fr/vox , 28 fév. 18) dans la rubrique Procès en "islamophobie" contre Georges Bensoussan (2017-18) (note du CLR).
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