Revue de presse

Riss : "Un piédestal pour le néant" (édito, Charlie Hebdo, 17 juin 20)

21 juin 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Quelle statue déboulonneriez-vous si vous en aviez la possibilité  ? Car la mode est au déboulonnage des statues de personnalités racistes depuis la mort de George Floyd, Noir américain tué par un policier blanc.

Mais d’où vient cette drôle d’idée de fabriquer des représentations de personnages fameux pour les installer à la vue du public  ? Le cimetière du Père-Lachaise est l’endroit le plus pathétique de Paris. Pendant des décennies, les bourgeois y ont dressé des statues à leur effigie, convaincus que leur destin méritait d’être éternellement rappelé à la mémoire des passants qui flânent dans les allées. On y voit défiler au fil des mausolées verdis par la moisissure des figures de notaires replets affublés de bacchantes démodées, des bustes d’obscurs généraux d’Empire, des poètes aussi calamiteux qu’insignifiants et des comtesses ayant échappé à la guillotine, désormais desséchées comme de vieilles chauves-souris dans leur caisse en bois au fond du caveau familial.

Les allées des cimetières sont un défilé de statues qui exigent de nous de ne jamais oublier les tocards vaniteux qu’elles représentent. Alors pourquoi s’en prendre aux statues de ces crapules racistes qui mériteraient seulement qu’on les oublie et qu’on les laisse disparaître sous le lichen et les déjections de pigeons pouilleux  ? C’est dire si ceux qui les déboulonnent croient en elles. Il faudra donc dresser de nouvelles statues à la mémoire de ceux qui ont déboulonné les anciennes jusqu’à la prochaine génération, qui les déboulonnera à son tour pour d’autres bonnes raisons. Tels les Shadoks qui pompaient, les déboulonneurs de statues déboulonneront pendant des années, jusqu’à ne plus se souvenir pourquoi ils avaient commencé à le faire.

Le régime de Vichy avait démonté les statues des figures de la Révolution française, incompatibles avec la « révolution nationale » fasciste de Pétain. Pendant la Commune de Paris, Courbet et ses complices scièrent la colonne Vendôme pour faire tomber un Napoléon placé en son sommet. Et vous, quelle statue aime­riez-vous démonter  ? Il y a bien celle d’Édith Piaf, dans le 20e arron­dissement de Paris, qui ressemble tellement à une merguez restée trop longtemps sur le barbecue qu’on a envie de lui jeter un seau d’eau. Celle du Centaure, sculptée par César, dans le 6e arrondissement, qui, comme me le faisait remar­quer Cabu, exhibe toute la journée ses deux énormes couilles en bronze aux vendeuses du magasin situé juste en dessous. Par contre, je refuse qu’on démonte Charlemagne et ses leudes, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, car cette statue reste associée à une amie que j’avais entreprise un soir d’hiver, vers 1 heure du matin, quand plus un chat ne circulait alentour, sur un banc situé juste sous les moustaches du célèbre Carolingien. Heureusement, Charlemagne et ses leudes n’étaient pas membres du Ku Klux Klan.

Car en cherchant bien, il y a toujours une bonne raison de démonter une statue. Si demain on en dresse une en l’honneur du président Macron, des associations indignées exigeront sa destruction, car c’est sous son quinquennat que tant de Français furent éborgnés pendant les émeutes des « gilets jaunes ». Même punition pour toutes celles du général de Gaulle, sous le règne duquel furent balancés à la Seine des centaines d’Algériens en octobre 1961. Et pas une pour Giscard, qui, à la fin de sa vie – si l’on en croit la presse –, posait ses mains sur les fesses non consentantes de charmantes journalistes. Ni aucune à la mémoire de Mitterrand, dont l’attitude ne fut pas très claire pendant le génocide des Rwandais, eux aussi non consentants.

Alors, à quoi servent ces statues, puisque toutes sentent le gaz  ? Peut-être à nous faire croire qu’il existe malgré tout des types qui sortent du lot, même si, en réalité, ce sont de belles crapules. Car pendant qu’on les honore, les citoyens oublient leur propre banalité et se persuadent que l’admiration qu’ils ont pour les personnalités statufiées les élève un peu au niveau de leur gloire. Les statues sur les places publiques sont comme les os dans la gamelle du chien. Quand on commence à les ronger, c’est qu’on a besoin d’oublier qu’il n’y a plus rien à manger autour."

Lire "Un piédestal pour le néant".



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