Revue de presse / tribune

Un groupe d’études sur « l’islamophobie » à l’Assemblée nationale ? Le choix du multiculturalisme contre la République ! (Guylain Chevrier, atlantico.fr , 20 nov. 24)

(Guylain Chevrier, atlantico.fr , 20 nov. 24). Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République 21 novembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Demande d’une députée EELV qu’on crée un groupe d’études sur « l’islamophobie » à l’Assemblée nationale : le choix du multiculturalisme contre la République !"

Selon la députée, « pas un jour sans entendre que les musulmans seraient la cause de tous les maux de notre pays » alors que « dans l’Union européenne, près d’une personne musulmane sur deux dit subir des discriminations ».

Guylain Chevrier

Sabrina Sebaihi, députée d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), a lancé une pétition pour demander la création d’un « groupe d’études sur l’islamophobie » à l’Assemblée nationale, qui pourrait se jouer ce 20 novembre. Selon elle, « pas un jour sans entendre que les musulmans seraient la cause de tous les maux de notre pays » alors que « dans l’Union européenne, près d’une personne musulmane sur deux dit subir des discriminations ». Ce groupe d’études permettrait, selon elle, « de mieux les comprendre » et « proposer des solutions concrètes » pour y faire face. Elle en appelle à la cohésion sociale. Ajoutant que « L’emploi de ce terme, (…) reste encore très tabou en France en ce qu’il suscite de nombreux débats, malgré son usage dans les instances internationales et européennes. »

« Islamophobie », un terme qui falsifie le combat antiraciste

Il en suscite inévitablement, car il n’est pas sans poser problème. Tout d’abord parce qu’il procède d’une victimisation qui justifierait un traitement à part, spécifique d’une religion, renvoyant chacun à un combat selon sa différence, alors que la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est à vocation universelle. D’autre part, cette lutte se fonde sur des faits, des discriminations touchant des personnes, et non sur le jugement de la conviction elle-même de ceux qui les subissent, pour défendre telle religion ou telle autre.

Certaines instances internationales, qui ne pensent qu’à travers les notions de communautés et de minorités, utilisent effectivement ce terme, ce qui nous est étranger, et pour cause. A travers le rejet ou l’adoption de celui-ci, s’exprime en réalité la confrontation entre deux modèles : le modèle politique français, républicain, qui est fondé sur le principe d’égalité, et ne connait que des individus de droit, et celui anglo-saxon du multiculturalisme, qui reconnait ou tolère une autonomie des communautés religieuses ou culturelles, qui peuvent disposer de droits particuliers, derrière les murs desquelles s’invisibilise l’individu, le citoyen. Il suffit de voir comment des experts de l’ONU ne manquent pas une occasion de critiquer la laïcité française, jugée discriminatoire, encore récemment à propos de l’interdiction du voile dans le sport. C’est le Comité des droits de l’homme de l’ONU qui avait déjà rejeté toute restriction des signes religieux dont l’interdiction du voile intégral, faisant le procès de la loi du 11 octobre 2010, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. On entend ainsi laisser être enterrées vivantes des femmes derrière le niqab ou la burqa, au nom de la diversité et du droit à la différence ! On autorise de cette façon les pires discriminations, dont, un véritable apartheid sexuel. On aura à l’esprit la campagne pro-voile du Conseil de l’Europe de novembre 2021, largement dénoncée.

D’autre part, on sait combien ce terme fait aussi débat, par sa construction sémantique elle-même, « islamo-phobie », reliant une religion à la notion pathologique de phobie, assimilant ainsi toute critique de celle-ci au mal, rejoignant par-là le délit de blasphème. Le voilà le tabou surtout, ce que propage ce terme, qui porte en lui un projet religieux à résonance politique, contraire à la liberté. Cette demande est une étape sur le chemin de sa reconnaissance fatale devant nos tribunaux. Les plaintes en procès falsificateurs pleuvraient contre la liberté d’expression, et Charlie Hebdo, entre autres, serait condamné pour ses caricatures, et bâillonné. Un terme qui par son intolérance, rejette toute critique et donc toute évolution, adaptation de l’islam, à des principes démocratiques qui portent au-dessus des religions et du croire les droits et libertés communs, dont la liberté de conscience. N’est-ce pas pourquoi il pend aux lèvres des intégristes qui en font leur cheval de bataille, et le procès qui précède la fatwa, au regard d’une charia qui conduit, lorsque le pouvoir religieux est total, à ce qui se passe en Iran ou en Afghanistan ? il y a une sorte d’exhortation dans ce terme, à ne rien accepter qui ne soit conforme au dogme religieux, poussant à la confrontation voire au risque de la radicalisation. On comprend mal comment la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) puisse reprendre ce terme si décrié dans ses rapports, dans la lutte contre les discriminations à laquelle elle est associée.

L’argument de discriminations massives envers les croyants musulmans à revoir

Cette proposition de la députée entend s’appuyer sur l’information selon laquelle un musulman sur deux en Europe se sent discriminé. Argument repris d’un rapport publié par l’Agence européenne des droits fondamentaux, en octobre dernier, titré "Être musulman dans l’UE", poussant comme un cri d’alarme. Elle portait sur 13 pays européens, avec près de 10.000 croyants musulmans interrogés, dont il ressort qu’ils seraient le plus victimes de racisme en Autriche (71%), en Allemagne (68%) et en Finlande (63%), la France se situant à 39%. Selon cette étude, 47% des musulmans affirment avoir été victimes de discriminations au cours des cinq dernières années, contre 36% en 2016. Cela mis en relation avec le fait pour les femmes de porter des vêtements religieux dont un voile islamique, en matière de recherche d’emploi, d’avoir quitté l’école prématurément, le fait d’avoir du mal à finir le mois, de vivre dans des logements surpeuplés, d’être surqualifié pour exercer un emploi, une personne sur deux voyant dans le fait d’avoir été contrôlée par la police un « profilage racial… » Une situation qui aurait été amplifiée après le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël. Le problème est que ces chiffres sont essentiellement basés sur le ressenti. Si on doit considérer qu’aucune discrimination n’est acceptable, on ne saurait faire un tel procès en généralisation selon ce procédé, sans contre-mesures. Si on se réfère au dernier rapport sur ce sujet de la défenseure des droits, Mme Claire Hédon, les réclamations qui lui sont adressées pour discrimination religieuse en France représentent 3 % du total, et pour les actes antimusulmans, selon le ministère de l’Intérieur, 242 recensés en 2023. Rien qui ne reflète cet alarmisme impliquant une mobilisation générale.

Les musulmans représentent le deuxième groupe religieux de l’UE, qui a considérablement augmenté ces dernières années, parce que fuyant les conflits en Afghanistan, en Irak, en Syrie… Ne peut-on s’interroger sur ce ressenti, susceptible d’être biaisé par des difficultés d’intégration, propres par exemple au télescopage culturel entre des personnes venant de plus en plus loin, de pays de plus en plus éloignés de notre modèle démocratique où religion et Etat se confondent fréquemment ? Le fait que parallèlement, on assite à une montée des revendications identitaires communautaires à caractère religieux côté musulman, pour s’imposer par le recul de la loi commune, en témoigne pourtant clairement. Quant à mettre en avant la question du 7 octobre pour expliquer un regain supposé de discriminations envers les croyants musulmans, ce sont les actes antisémites qui ont explosé, tels en France, + 1000 % ! avec 1676 actes en 2023.

Une gauche déboussolée qui choisit le multiculturalisme contre la République

Pour rappel, concernant les rapports des Français musulmans avec notre société, selon une enquête de l’Ifop de décembre 2023, une très large majorité d’entre eux (78%) partagent le sentiment que la laïcité telle qu’elle est appliquée aujourd’hui par les pouvoirs publics est discriminatoire : 20 ans après la loi du 15 mars 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école, une large majorité d’entre eux souhaitent l’abroger. Ils sont 83 % à être favorables à l’introduction de menus à caractère confessionnel (ex : viande halal, viande casher…) à la cantine, revendiquent le droit des jeunes filles « à ne pas assister aux cours de natation pour des raisons religieuses » à 54%, le fait pour des élèves de « ne pas assister aux cours dont le contenu heurterait leurs convictions religieuses » à 50%. Alors que l’interdiction des abayas annoncée à la rentrée de septembre 2023 a fait l’objet d’un quasi-consensus, 81% des Français approuvent cette interdiction, les Français de confession musulmane sont à peine 28% à la soutenir… N’est-ce pas là le problème ?

On s’interrogera encore sur le fait que se prétendant de gauche, on puisse ainsi, à travers cette demande d’adoption du terme « islamophobie » qui est au service d’un absolutisme religieux, nourrir le séparatisme, la mise à part, l’isolement communautaire. A moins que l’illusion de l‘altermondialisme, lorsqu’il portait la voix d’un Tariq Ramadan, ne traine encore dans certaines têtes, qui traduisait son slogan « penser global et agir local » par le fait d’encourager la logique des communautés comme forme de résistance à la mondialisation capitaliste… Tout faux décidément ! Car n’est-ce pas, d’un point de vue de gauche, encourager ainsi avec le multiculturalisme la division des forces sociales, dont l’unité est à l’origine des grandes conquêtes de droits, d’acquis politiques, civils et sociaux du peuple, inscrit dans l’ADN de notre République ? Ne leur demandez pas, ils ne savent plus où ils habitent !


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