par Claude Vaillant, avocat. 16 octobre 2020
[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
A quoi sert la prison ?
La question est fort ancienne et pourtant toujours d’actualité. très peu de sociétés ont trouvé un juste équilibre, protéger ou punir ? Eduquer pour réinsérer ? Qui a les bonnes réponses ?
Claude Vaillant est avocat et la note qu’il nous adresse fait le point sur la situation carcérale en France en 2020. La lecture en sera utile à tous ceux que passionne le fonctionnement de notre société.
Gérard Durand
Le rôle de la peine est défini précisément dans la loi, il s’agit de l’article 130-1 du Code Pénal :
« Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :
1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ;
2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »
Punir répond donc à plusieurs objectifs :
Il ressort des termes de la loi qui demeure l’expression de la volonté générale que les peines doivent parvenir à la conciliation de la répression et de la réinsertion.
La distinction fondamentale entre justice et vengeance est donc expressément actée.
En observant la pratique judiciaire ainsi que les annonces politiques visant à réformer le système pénal nous constatons que les réformes se font dans le sens d’une intensification du recours à la détention, tant en termes de nombre que durée.
Cette augmentation du nombre de peines d’emprisonnement prononcées se fait étonnement sans corrélation avec l’augmentation des crimes les plus graves (atteintes aux personnes).
Au contraire leur recours est de plus en plus systématique concernant les plus petites infractions (infractions aux biens/ trafic de drogue). Preuve d’un durcissement volontaire des décisions rendues par les Tribunaux.
Il convient d’ores et déjà de préciser que cette volonté d’augmenter le niveau de répression ne trouve pas d’explication par un déséquilibre de moyens donnés au profit de la réinsertion.
En effet, cet objectif de favoriser l’amendement du délinquant n’a jamais été la priorité des institutions, les services de réinsertion n’ont jamais obtenu suffisamment de moyens.
La priorité restant l’incarcération comme le démontrent les sanctions adressées par les Instances nationales et européennes eu égard aux conditions de détention des prévenus toujours plus nombreux dans des espaces figés.
Cette volonté d’accentuer la répression ne s’explique pas non plus dans les « chiffres », le niveau de récidive après une incarcération restant très élevé (en moyenne 46% et jusqu’à 63% pour certains délits).
La réinsertion de l’individu sortant de prison n’est pas un impératif, en ce que la loi l’évoque comme un objectif « de favoriser » non comme une finalité.
Or, en plus de séquelles psychiques et physiques générées par les conditions de détention, nous pouvons observer que les difficultés d’insertion socioprofessionnelles sont accrues par un séjour en prison : perte d’emploi, accès à l’emploi plus difficile du fait d’un « trou » dans le CV, interruption des minima sociaux, perte de logement. Les difficultés conjugales sont également accrues. Une union sur trois se termine dans la première année de l’incarcération.
Ainsi, le risque de récidive est très élevé après une condamnation à de la prison ferme : 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont re-condamnées dans les cinq ans.
Le Ministère de la Justice lui-même a estimé en 2014 que « la récidive est toujours moindre après des sanctions non carcérales ».
Des sanctions alternatives devraient donc être privilégiées et cela d’autant plus que l’incarcération du fait de la privation de liberté devrait être utilisée de manière exceptionnelle (car plus grande atteinte aux droits fondamentaux : libre circulation et vie privée).
Toutefois c’est bien la démarche inverse qui est toujours à l’œuvre à ce jour.
Il semble évident qu’outre la sanction que représente la durée de l’emprisonnement les personnes finalement libérées restent profondément marquées par la peine exécutée.
Ainsi, l’impossible réinsertion de l’individu ayant effectué sa peine au sein du corps social ne serait-elle pas une sanction supplémentaire pour « le sortant » ?
Nous pouvons également nous interroger sur la réelle volonté de permettre au détenu de s’amender ou finalement de préférer une ostracisation définitivement.
Des sondages établis à propos de la détention permettent de saisir une certaine évolution dans la vision que la société a de la peine.
L’objectif de protection de la société fixé par la loi n’est pas atteint eu égard à l’important taux de récidive. En effet l’OIP a justement souligné que le risque de récidive est très élevé après une condamnation à de la prison ferme (63%).
Il est donc intéressant de s’interroger de manière objective et dépassionnée sur l’effet de la peine privative de liberté sur l’individu qui la subit et de l’impact de cette dernière sur sa substance.
Il convient également d’observer les moyens mis en œuvre pour assurer la réinsertion du détenu.
En effet, la réinsertion est supposée permettre de donner à la peine tout son sens et pas uniquement celui de sanction en effaçant le détenu du corpus social sans pour autant améliorer la protection de la société.
En outre, l’augmentation des peines privatives de liberté n’est pas sans poser de difficultés juridiquement.
En effet, une privation de liberté ne peut être justifiée que si elle sert à protéger la société.
I. Le choc carcéral
a. Le choc carcéral, les premières ruptures
Les détenus ainsi que leurs proches pour retracer leur expérience avec la détention évoquent spontanément pour débuter leur témoignage l’arrestation dont ils ont fait l’objet.
En effet, ce moment marquera l’irruption de « la peine » de manière apparente dans la vie du futur détenu et de sa famille.
Au traumatisme de la mise en relation du délit et de la sanction s’ajoute souvent l’humiliation d’être menotté publiquement devant familles ou voisins, voir des collègues.
L’arrestation caractérise souvent le premier empiétement de la vie privée des futurs détenus.
Les premiers jours sont souvent marqués par un état de sidération, des symptômes de dépression (amaigrissement) voire des tendances suicidaires.
De nombreux détenus hésitent à prévenir leurs proches de leur détention par honte et pour leur éviter une souffrance agrandissant d’autant plus le sentiment de culpabilité du détenu.
Durant les premiers jours de l’incarcération dans l’attente d’une première lettre et du premier parloir, le détenu appréhende généralement la façon dont ses proches ont appris la nouvelle de sa détention.
Il appréhende un rejet de la part de leurs proches, cette crainte est d’autant plus forte pour ceux qui multiplient les séjours en prison.
Lors du procès les proches peuvent venir témoigner toutefois une désolidarisation peut être observée augmentant encore le sentiment d’isolement et de blessure.
Les procès sont parfois un lieu où l’histoire familiale s’écrit et durant lequel des secrets peuvent être divulgués traumatisant d’autant plus le délinquant.
D’autant plus que certaines fois les proches se joignent au procès non pas par soutien, mais pour observer la chute du prévenu.
Le procès s’accompagne toujours d’un voyeurisme douloureusement ressenti par les détenus.
De plus durant le procès le détenu devra entendre parler de lui par des experts, entraînant un sentiment de solitude et de déshumanisation.
b. L’arrachement en guise de sanction
L’enfermement carcéral est la mesure d’application de la peine privative de liberté qui vise à isoler les détenus du corps social.
Cet enfermement obéit à des exigences spécifiques de séparation et d’organisation sécuritaire, de contrôle et de visibilité du détenu.
Le corps incarcéré devient un objet d’emprise et l’enjeu de procédures.
En effet, le détenu perd la libre disposition de son corps.
Ainsi le détenu est numéroté, enregistré, contrôlé faisant face à un conflit d’appropriation de son propre corps.
Le détenu subit un une perte d’autonomie et de ses identités sociales (notamment s’il travaillait et avait une famille).
Les sociologues ont mis en lumière que le détenu est ainsi en proie à davantage de stress de même qu’à des effets pathogènes de déshumanisation liés à l’enfermement.
Ce stress se traduit notamment par une certaine acculturation, la désocialisation, l’étouffement de l’élan vital, l’altération du rapport au monde et la détérioration du lien à l’autre.
Dans l’enfermement il ne fait nul doute que le corps se retrouve en état de dépendance symbolique économique et institutionnelle.
Il convient de faire observer que les personnes détenues peuvent travailler en prison, si elles le souhaitent. L’administration pénitentiaire n’a pas l’obligation de leur procurer du travail, mais elle doit s’efforcer de le faire.
Toutefois les détenus ne bénéficient pas des règles du Code du Travail ce qui marque une nouvelle fois une volonté de matérialiser leur exclusion par rapport à l’extérieur.
L’angoisse du choc carcéral accentue les vulnérabilités et aggrave les pathologies de type dépression et psychoses ce qui a pour effet d’entraîner : dépersonnalisation, déréalisation, confusion, troubles anxieux, angoisses d’abandon, surconsommation de psychotropes.
Le détenu de par sa condition supporte : altération des rythmes naturels, altération de son image qui s’accompagne une baisse de l’estime de soi, le corps reclus n’est plus l’espace de médiation entre le vivant et soi-même.
La salle de sport qui a pu être considérée comme une école de l’évasion est l’indispensable exutoire des tensions, le sport en prison peut maintenir l’identité, la forme et la survie du détenu, de récupérer l’emprise sur une partie de son corps, une partie de pouvoir sur ce dernier. La pratique du sport permet également de témoigner de la volonté du détenu de résister, conquête d’une marge de liberté symbolique. Toutefois également et surtout un moyen de faire de son corps un moyen de prévenir des agressions.
Idem pour les tatouages, récupérer une parcelle de son corps et en reprendre possession.
c. Exemples de facteurs aggravant la souffrance psychique des détenus
Les études menées auprès de détenues ont permis d’exclure une relation évidente entre le motif de l’incarcération et l’importance de la souffrance psychique liée à la détention.
Des facteurs aggravants l’état psychologique du détenu ont été relevés :
Les conditions matérielles de détention :
Les conditions humaines de détention :
d. Vers une exclusion définitive du corps social
L’emprisonnement augmente les risques de récidive, parce qu’il accroît les facteurs de délinquance recensés
Les fréquentations délinquantes sont favorisées, les personnes détenues sont confortées dans leur « identité de délinquants » par le traitement qui leur est réservé en prison, ce qui vient alimenter un ressentiment envers les institutions.
De plus, de nombreux détenus sont également issus d’une population fragile.
60% des détenus souffrent de conduites addictives et de troubles anxieux, 17% des troubles psychotiques dont 7% une affection schizophrénique, 66% un trouble de l’humeur grave, une bipolarité ou un état dépressif.
La population des sortants de prison a logiquement globalement les mêmes caractéristiques que celles des personnes détenues, cumulant des facteurs de vulnérabilité et de précarité psycho socio économique.
Les conditions actuelles de détention tendent à aggraver ces facteurs notamment la rupture des liens affectifs, familiaux et sociaux.
Ces conditions entraînent une désocialisation du détenu, des ruptures professionnelles et des difficultés matérielles.
Le sortant de prison se trouve donc souvent démuni, peu soutenu, non accompagné et donc particulièrement vulnérable.
Il serait par ailleurs plus vulnérable socio économiquement qu’avant l’incarcération ce qui explique le nombre important de récidives.
II. Des dispositifs de lutte contre l’exclusion, mais dotés de moyens insuffisants
Il existe durant la détention des systèmes pouvant atténuer le choc psychologique du détenu : notamment obtenir un rôle social dans la prison (travail), pouvoir interagir avec les autres, le support social, les formations, le suivi effectif médico psycho social.
Le dispositif existe donc au sein de l’Institution pénitentiaire, quand ce dernier est bien présent il permet au détenu de supporter un peu mieux ses conditions de détentions.
Toutefois, afin de se donner les moyens de réinsérer les sortants de prison et de diminuer la récidive il convient d’insister sur l’accompagnement social des sortants.
(Ce dont la loi pourrait faire un impératif et non un simple objectif).
a. Le service pénitentiaire d’insertion et probation (SPIP)
Ce service intervient durant la détention et dans les milieux ouverts : ses missions concernent les sortants de prison qui font l’objet d’une alternative à l’incarcération.
Les conseillers d’insertion et probation accompagnent les sortants dans leurs démarches administratives, sociales et professionnelles, apportent soutien et surveillance judiciaire et probatoire.
Les 3 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sont les seuls professionnels à prendre en charge l’ensemble des 250 000 personnes sous main de justice.
En réalité, l’immense majorité des CPIP prend en charge entre 100 et 120 personnes sous main de justice.
Pourtant, les recommandations du Conseil de l’Europe comme celles de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) indiquent que les CPIP devraient suivre au maximum entre 40 et 50 personnes – ce qui correspond également à une promesse de campagne du président Macron.
En 2018, les budgets de fonctionnement de ces services ont été sensiblement réduits (-9,8 %), amputant tout particulièrement les moyens dédiés à la prise en charge en milieu ouvert, dans le cadre d’alternatives à l’emprisonnement ou d’aménagements de peine.
Le manque de moyens humains et financiers se traduit essentiellement par des charges et des conditions de travail dégradées, un épuisement des professionnels et des budgets alloués pour réaliser leurs missions en baisse constante.
b. Les structures associatives d’accompagnement social
Des structures associatives existent également (FNARS, FARAPEJ) avec pour objectif en général d’aider les sortants à retrouver un emploi ainsi qu’un hébergement.
Ces associations tout comme le SPIP voient leurs dotations diminuées.
c. Les dispositifs publics de soins
Les centres médico-psychologiques assurent un soutien social auprès des sortants qui font l’objet d’une obligation de soin. Or de nombreux sortants présentent de telles difficultés administratives, financières et sociales qu’ils découragent a priori le service social.
En définitive l’absence de moyens affectés dans le soutien des sortants de prison empêche une juste réinsertion après avoir purgé une peine d’incarcération, dès lors ce constat devrait conduire à n’emprisonner que dans les cas les plus indispensables.
Or, tel n’est pas le cas.
Une autre possibilité de réduire le risque de récidive accru par la détention consiste dans l’utilisation plus modérée de l’emprisonnement et l’utilisation d’alternatives.
III. Les alternatives à la détention
Alors que le nombre de peines de prison et leur durée ne font que croître sans faire diminuer les récidives, des peines alternatives à la détention sont pourtant prévues par le Code Pénal.
Ayant constaté que les peines de prison génèrent le plus de récidives depuis 2014, nous ne pouvons que nous étonner du trop faible recours à ces peines « plus adaptées » car permettant une meilleure réinsertion.
a. La détention provisoire, la privation, la liberté de l’innocent
Au 1er janvier 2019, 20 343 personnes étaient détenues dans l’attente de jugement et donc présumées innocentes (représentant 29% de la population carcérale). Il existe pourtant deux mesures pour éviter la détention provisoire d’une personne n’ayant pas été jugée coupable d’une infraction :
b. Les sanctions alternatives à la prison
En principe, toute personne condamnée pour un délit passible de moins de dix ans d’emprisonnement peut être sanctionnée d’une peine alternative à l’emprisonnement.
L’amende et la prison avec sursis sont les alternatives les plus prononcées par la justice.
D’autres peines prévoient un suivi par les services d’insertion et de probation (SPIP). Parmi celles-ci, on trouve :
c. Les aménagements de peine
Les personnes condamnées à moins de deux ans de prison (un an en cas de récidive) et les personnes en fin de peine, peuvent voir leur peine de prison aménagée par un juge de l’application des peines.
Ces aménagements doivent, en principe, permettre d’éviter les courtes peines d’incarcération, particulièrement socialisantes, et aider à la préparation et à l’accompagnement de la sortie de prisonniers.
Leur recours est malheureusement limité : autour d’un quart des personnes détenues purgeant une peine de moins d’un an de prison et plus de 80% des prisonniers sortent sans avoir pu bénéficier d’un aménagement de peine.
Les principaux aménagements de peine sont :
La réforme pénale du 15 août 2014 a par ailleurs prévu, avec la libération sous contrainte, la possibilité d’alléger les critères d’octroi d’un aménagement aux deux tiers de la peine pour les personnes condamnées à moins de cinq ans de prison.
Mais en pratique, cette mesure est très peu utilisée.
Claude Vaillant
Comité Laïcité République
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