Revue de presse

"Un collège privé musulman entend imposer son passage sous contrat avec l’Etat" (G. Chevrier, atlantico.fr , 20 août 24)

(G. Chevrier, atlantico.fr , 20 août 24). Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République. 23 août 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le collège musulman Avicenne de Nice hors contrat (pas d’aides publiques), créé en 2015, est allé au tribunal administratif en référé, pour tenter d’imposer par la justice son passage sous contrat avec l’Etat (aides publiques), que ce dernier lui a précédemment refusé.

Par Guylain Chevrier

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Lire "Le collège musulman Avicenne de Nice veut passer sous contrat avec l’Etat : quand la logique communautaire entend imposer ce qu’elle veut".

Un collège « hors contrat » peut, au bout de 5 ans d’existence, demander son passage « sous contrat » avec l’Etat. Autrement dit, obtenir un statut impliquant des financements publics, de la prise en charge des salaires des enseignants à certaines dépenses de fonctionnement. Le collège a été dans un premier temps débouté par le tribunal de sa demande de « mariage forcé » avec l’Etat, jeudi 15 août, dans l’attente d’une décision sur le fond. Il y a environ 300 000 élèves qui sont scolarisés dans un établissement « hors contrat », et 2 millions dans des écoles « sous contrat » avec l’Etat. Environ 12 millions d‘élèves sont scolarisés en France.

Une demande de fermeture de l’établissement par la ministre rejetée par la justice

Replaçons cette demande du collège dans son contexte : La ministre de l’Education nationale, Mme Nicole Belloubet, a demandé en février dernier la fermeture de cet établissement privé pour une « opacité » concernant ses comptes, et le préfet des Alpes-Maritimes l’a ordonné en mars par arrêté. La loi dite contre « le séparatisme » de 2021 oblige les établissements hors contrat à informer l’administration de l’origine de leurs financements, et l’association Avicenne, émanation de l’Union des musulmans des Alpes-Maritimes (UMAM) et gestionnaire du collège, a pour le moins tâtonné pour répondre aux demandes. Les tableaux n’ont longtemps pas été dans les formes requises, et les derniers ne mentionnaient que les noms de famille des contributeurs. Les familles paient 200 euros par mois et par élève, l’association dépend aussi fortement des dons pour son budget. L’avocat de l’association, Maitre Guez Guez, qui s’est fait connaitre en défendant le CCIF et BarakaCity, parle d’une décision « disproportionnée et injuste », bien que reconnaissant « des erreurs » venant de l’établissement, en particulier un oubli de 24 000 euros lors de l’annulation d’une reconnaissance de dettes envers un couple qui avait prêté 476 000 euros puis choisi de renoncer au remboursement pour permettre l’achat des locaux actuels. De quoi tout de même interpeller légitimement les pouvoirs publics, alors qu’il est question d’une association communautaire religieuse, même si elle présente l’établissement scolaire qu’elle gère sous un jour ouvert à tous, dans un quartier difficile, avec cours d’arabe et d’éthique musulmane. Un recours a été déposé par l’association Avicenne contre cette décision de fermeture devant le tribunal administratif, qui a décidé le 2 juillet l’annulation de l’arrêté préfectoral qui la prévoyait pour le 6 juillet. Il a conclu que, « Si les tableaux et documents fournis par l’association Avicenne au titre des années 2018 à 2022 comportent des erreurs et imprécisions, ces irrégularités relevées ne sont pas […] de nature à justifier la fermeture définitive de l’établissement ». L’Etat n’a pas fait appel de cette décision.

L’établissement « Avicenne sort renforcé de cette épreuve », s’est réjoui l’avocat du collège, Me Guez Guez, pour faire volte-face, et revenir devant le tribunal administratif pour contester le refus par l’Etat du passage sous contrat de l’établissement. Toute une campagne de victimisation est orchestrée autour par l’association, avec bien des médias ne relayant que le point de vue diffusé par elle et son avocat. A la veille de la tenue de l’audience du 12 août, concernant cette demande visant à imposer à l’Etat ce passage sous contrat du collège, l’association a, pour faire un peu plus pression, expliqué être prête à obtenir celui-ci pour l’euro symbolique. Marchandage à travers lequel il est difficile de ne pas voir une pointe de provocation sinon d’arrogance. Cela étant, cette proposition exprime clairement que cet établissement n’a en rien besoin de l’aide de l’Etat pour son fonctionnement. On s’est même vanté, que le conflit sur la question de la fermeture de l‘établissement a favorisé l’inscription de plus d’élèves l’année prochaine, et ce, au point d’ouvrir une nouvelle classe, et donc, que ce collège privé se porte très bien loin de toute aide supplémentaire publique impérieuse. C’est d’ailleurs le sens de la décision du tribunal administratif de débouter le collège de sa demande de passer sous contrat aux forceps, qui estime que l’urgence nécessaire à une intervention en référé n’était pas caractérisée, dans la mesure où les inscriptions étaient en forte hausse et que la pérennité du collège n’était pas menacée.

« Nous demandons le même traitement que les juifs et les catholiques » affirmait le 6 août dernier le collège Avicenne au quotidien Nice-Matin, criant en quelque sorte à la discrimination. « Ce passage sous contrat, c’est la preuve que l’établissement veut une relation saine avec les autorités publiques ». Certainement pas apaisée en tout cas, selon cette vision d’une égalité de traitement des communautés religieuses, peu respectueuse de notre Etat laïque qui ne connait que des individus de droit. Et ce n’est pas parce qu’il n’existe que 126 établissements scolaires musulmans et que l’école privée est dominée par l’Eglise catholique (96% des écoles sous contrat) que cela peut justifier cette volonté de passage en force.

L’Etat républicain laïque se saurait agir sous la pression des communautés religieuses

Jouant sur la corde sensible, selon l’avocat du collège, « On ne peut pas à la fois reprocher aux musulmans de ne pas vouloir s’impliquer et se conformer aux règles de la République et lorsque ceux-ci demandent un passage sous contrat, leur dire “non, on n’a plus d’argent, on ne veut pas de vous” ». Il surenchérit, "Le représentant de la rectrice a dit que la justice ne pouvait pas ordonner un mariage forcé entre deux parties, c’est extrêmement choquant". Non, rien de choquant, c’est tout simplement la loi, jusqu’à plus ample informé. C’est au financeur de juger si ce passage sous contrat se justifie et selon des critères propres dont, le respect des programmes nationaux, le principe de laïcité à deux titres, la neutralité des enseignements et la liberté de conscience des élèves, etc., ainsi que selon des moyens pas sans fin.

Notons qu’il en va ici de la question même de la liberté de contrat, car il faut deux parties pour sceller un accord, et librement consenti. On ne peut imposer à un établissement privé de passer sous contrat pas plus, espérons-le, qu’à y soumettre contre sa volonté l’Etat. D’autant qu’il n’y a pas ici symétrie entre les deux parties. L’Etat comme financeur ne saurait se voir imposer une obligation de moyens financiers pour faire passer ce collège d’intérêt privé sous contrat, car c’est l’autorité publique qui seule doit déterminer les moyens qu’elle se donne et l‘usage qu’elle en fait, au nom des citoyens qu’elle représente, et les buts poursuivis par l’intérêt public qu’il lui revient de définir. Toute autre option relève d’ouvrir une boite de Pandore, une brèche dans laquelle bien des établissements scolaires religieux ne tarderont pas à s’engouffrer, pour capter des moyens de l’Etat qui manqueront à une école publique qui est loin d’en déborder. Si la liberté de l’enseignement est la règle, scolarisation dans le public ou le privé, on ne saurait laisser porter atteinte à l’indépendance de l’Etat, et donc à son caractère laïque, vis-à-vis des influences religieuses et d’une logique communautaire qui ici battent leur plein. Autre aspect, on ne saurait aussi continuer indéfiniment à financer des écoles privées religieuses pour élargir le nombre d’élèves qui y sont scolarisés, sans voir que c’est créer un régime juridique sur la laïcité à deux vitesses qui, progressivement, l’air de rien, justifie la logique de séparation. Car ces établissements autorisent le port de signes religieux ostensibles, contrairement à ceux du service public, dont on tue l’esprit ainsi à petit feu, celui de la République des citoyens, au risque de la transformer en auberge espagnole."


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