(Marianne, 15 août 24) 20 août 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Le subjonctif imparfait a été largement remplacé par le présent. La langue française perd ainsi son temps aux terminaisons les plus extravagantes.
Par Frédéric Pennel
Se mettre « en mode » subjonctif ? C’est émettre une hypothèse, évoquer l’incertain, esquisser une éventualité. Entrer dans un monde fantasmé, quitte à prendre ses désirs pour des réalités. C’est un mode qui se prête à merveille aux incantations des politiques. « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », rêvait Emmanuel Macron en 2018…
C’est le mode des vœux pieux. Ces mondes parallèles pourraient, un jour, se confondre avec le réel. « L’ère virtuelle a réduit le champ de l’hypothèse, on ne distingue plus le mode subjonctif du réel », craint le poète Alain Borer, qui constate un rétrécissement de l’usage du subjonctif.
En classe, les professeurs de français se battent pour le faire respecter. Ils érigent une digue entre le réel et l’irréel. Pas si simple en ces temps de deepfake. Même les sous-titres d’une campagne télé du ministère de la Santé de 2020 se sont égarés : « Ce serait pas mal qu’on se voit avant la réunion de 16 heures ». N’étant pas sûrs de se voir, il s’agissait du subjonctif : « Qu’on se voie ». Les correcteurs, eux, ne l’avaient pas vu.
Sonorités déplaisantes
En dépit des erreurs, le subjonctif présent tient le coup. En revanche, sa version imparfait a coulé. Déjà, par peur de se tromper. Plus personne ne se risquant à cet emploi, il est remplacé par son cousin du présent. Dès le XVIIIe siècle, on notait que « eusse » laissait place à « aie » pour l’auxiliaire « avoir ». Les derniers courageux le conjuguent à leurs risques et périls…
Auditionné par les sénateurs pour éclaircir l’affaire Benalla, le chef de cabinet de l’Élysée a tenté, devant la commission d’enquête, de revitaliser ce subjonctif imparfait. « J’eusse espéré que M. Benalla soit accompagné », dit-il avant de se faire reprendre par le sénateur Jean-Pierre Sueur, enseignant en linguistique : « fût ».
Ensuite, ce temps suranné semble davantage convenir à une langue de salon, à mille lieues des réalités de la rue. Le film Entre les murs révèle l’état d’esprit qui règne à son propos. Réagissant à la phrase « il fallait que je fusse », les collégiens ridiculisent ce temps qui leur semble tout droit sorti du « Moyen Âge » : « Même ma grand-mère ne parlait pas comme ça », raille une collégienne.
Au temps des hommages
Enfin, ses terminaisons sont si foisonnantes qu’elles semblent sorties de l’esprit d’un grammairien à l’imagination trop débordante. « Ce subjonctif comprend énormément de formes baroques avec des sonorités et des homonymies déplaisantes », sourit le linguiste Gilles Siouffi. Grand défenseur de ce temps déjà en nette perte de vitesse au XIXe siècle, Alphonse Allais a rédigé un poème hommage. « Ah ! fallait-il que je vous aimasse […] Que vous me désespérassiez […] Pour que vous m’assassinassiez ! » Même le plus puriste ne s’y oserait plus.
Le subjonctif imparfait est devenu une sorte de fossile auquel seuls les écrivains rendent encore hommage. Par respect pour la concordance des temps, après un passé simple. Mais il existe un autre imparfait du subjonctif, rare et précieux, qui s’accorde avec le présent, et qui possède un sens unique dans notre langue.
« Dans “je voudrais qu’elle soit là”, on espère encore, il y a une possibilité qu’elle vienne, compare Gilles Siouffi. Alors que dans “je voudrais qu’elle fût là”, elle ne viendra pas. Il existe là une vraie nuance sémantique. » Une forme de subjonctif au carré. Celui qui exprime des choses impossibles. À la limite de ce qui est exprimable. Au-delà, les mots ne suffisent plus."
Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne "Disparu du français" (été 24) dans Langue française dans Être Français (note de la rédaction CLR).
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