Note de lecture

Th. Porcher : Le discours économique libéral passé à la moulinette (G. Durand)

par Gérard Durand. 24 septembre 2020

Thomas Porcher, Traité d’économie hérétique, éd. Fayard, 2018, 240 p., 18 e.

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Docteur en économie de l’université Panthéon Sorbonne, Thomas Porcher est professeur associé à la Paris School of Business et membre des Economistes atterrés. Il passe à la moulinette les grands thèmes du discours économique libéral dominant avec un style particulièrement mordant, et, cela, dès les premières pages. « La grande force des économistes libéraux est d’avoir réussi à convaincre l’opinion qu’ils ne faisaient pas d’idéologie. Ce qui est complètement faux ».

L’économie n’est pas une science. Il suffit pour s’en convaincre de constater l’ampleur des désaccords sur presque tous les sujets, la monnaie, le travail, l’organisation sociale et même les résultats de telle ou telle politique, chacune ayant ses supporters inconditionnels. Tout est brouillé par les interventions sur les grands médias d’experts parfois auto-proclamés mêlés aux prix Nobels dont certains sont plus militants que scientifiques. Milieu mélangé aux compétences diverses mais où personne n’a vu venir la crise de 2008-2009. Au centre et grand vainqueur le libéralisme et son bras armé, le FMI dont les recommandations sont un véritable massacre pour la plupart des pays contraints de solliciter son aide. Seuls ceux qui se sont bien gardé de les suivre, comme la Corée du Sud, la Chine où le Portugal ont réussi à sortir du sous-développement. Il aura fallu quatre décennies pour que l’économiste en chef du FMI admette que ses recommandations étaient parfois excessives.

La pensée dominante a défini un cadre dont elle se révèle incapable de sortir et bloque tout action sur les sujets essentiels comme le réchauffement climatique. Les « grand messes » internationales ne sont qu’un bal des hypocrites. Le plus bel exemple en est l’accord de Paris conclu lors de la Cop 21. Alors que chacun mesure l’urgence de la question et connaît les mesures à prendre pour relever le défi, il apparaît très vite que la plupart de ces mesures sortent du cadre libéral et sont tout simplement écartées parce qu’elles imposent des contraintes fortes au monde industriel et financier. Dans cet accord, célébré par tous ne figure pas le terme « énergies fossiles » le transport aérien et maritime n’y figurent pas d’avantage et aucune obligation n’est imposée aux états. Les organisateurs, dans la recherche d’un succès à tout prix ont simplement écarté tout ce qui pouvait gêner les énormes intérêts financiers. Triomphe du cadre de la pensée dominante et tant pis pour les populations qui auront à souffrir de ces faux semblants.

L’un de mythes de cette pensée dominante est celui de la réussite individuelle. La science économique a beaucoup œuvré pour glorifier l’individu seul responsable de son destin. C’est la pensée dite « néo-classique" apparue à la fin du XIXe siècle. Pour elle les agents économiques sont rémunérés en fonction de leur productivité marginale. Le salaire ne dépend plus d’une lutte des classes fantasmée mais du seul mérite de l’individu. Combien d’articles, de livres ou de films consacrés à Steve Job, mark Zuckerberg ou Elon Musk parlant toujours du même conte de fée. Un jeune patron réussit parce qu’il montre des qualités exceptionnelles et les fait valoir au prix d’un travail acharné, mais rien sur les infrastructures qui leur ont permis cette réussite. Cette citation de Warren Buffett est la bonne réponse : « Personnellement je pense que la société est responsable d’un pourcentage significatif de ce que j’ai gagné. Plantez-moi au milieu de Bangladesh, du Pérou où d’ailleurs, et vous verrez ce qu’est réellement capable de produire mon talent dès lors qu’il lui faut s’exercer sur le mauvais type de sol ! Dans trente ans je serai encore en train de lutter. »

A l’inverse il faut culpabiliser le chômeur, celui qui refuse de traverser la rue pour trouver du travail, celui qui préfère paresser chez lui, nourri par ses indemnités au lieu de travailler pour un salaire de misère. Alors il faut rogner, contrôler, car le chômeur avec ses 1200 euros par mois (et souvent moins) doit rendre plus de comptes que les entreprises arrosées de milliards par dizaines sans avoir à fournir la moindre contrepartie. Mais le chômeur doit aussi consommer et cela génère parfois des politiques de folie totale comme aux Etats-Unis quand on leur accorda des prêts impossibles à rembourser, avec pour résultat la crise des subprimes. En fait la persistance du chômage chez la masse des individus n’est due qu’au système, et faire croire que « vouloir c’est pouvoir » n’est que l’un des instruments de domination.

On observera cependant que la frénésie de contrôle ne s’applique pas aux puissants. Lors de la campagne présidentielle de 2017, personne, et surtout pas les journalistes, n’a songé à demander à Emmanuel Macron pourquoi, après quatre années de pouvoir économique et politique, il n’avait réussi à faire baisser ni le chômage, ni la dette.

La France est un pays irréformable, on nous le dit sur toutes les antennes, Surtout quand il s’agit de droit du travail. Alors qu’il n’a cessé d’être réformé. Citons-en quelques exemples. En 1972 l’Intérim entre dans le droit du travail, suivi en 1979 par les CDD. Depuis l’année 2000 c’est 165 réformes que l’on peut compter dont la création du statut d’auto-entrepreneur aujourd’hui totalement détourné de son objectif initial qui ne prévoyait ni le cycliste livreur et encore moins la caissière du supermarché.

Thomas Porcher continue par des chapitres courts et bien argumentés à démonter le discours ambiant. L’épouvantail de la dette que nous allons laisser à nos enfants, alors que l’actif net de l’Etat est largement positif et que la dette publique est sensiblement inférieure à la dette privée. C’est la volonté féroce de casser le modèle social. C’est la multiplication des accords de libre échange qui se révèlent être des instruments de domination massive etc…

Ce petit opus d’a peine plus de 200 pages enrichit nos connaissances économiques mieux que beaucoup d’ouvrages savants. Surtout quand il se termine par une liste des dix principes d’autodéfense contre la pensée dominante.

A lire pour ne pas se laisser manipuler.

Gérard Durand


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