Revue de presse

Surnotation au lycée : "une lanceuse d’alerte à l’Education nationale ?" (Marianne, 2 juil. 21)

Par Gabriel Libert 4 juillet 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Que l’on demande désormais aux professeurs de se montrer bienveillants avec leurs élèves et de parfois remonter leurs notes, la chose est connue. Mais Sabine Cuni, professeur de philosophie à Corte, elle, ne l’entend pas de cette oreille. Au point de se lancer dans une bataille avec l’institution, en saisissant notamment un juge des référés. Une démarche rare. Récit.

Par Gabriel Libert

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Pour Sabine Cuni, tout avait bien commencé. Après un lycée à la Réunion puis deux autres dans les environs de Lyon, une mutation en Corse. « Je m’étais dit naïvement confie la discrète agrégée de philosophie de 39 ans, que les élèves ici seraient plus en lien avec la nature, moins obnubilés par les réseaux sociaux. En plus, l’établissement était bien classé au niveau national. » La voici donc devant les quatre classes de terminale du lycée Pascal-Paoli de Corte. Dès octobre, la carte postale perd de ses couleurs. « J’ai découvert des élèves qui, pour la plupart, étaient incapables de prendre des notes, refusaient de faire des efforts, menaçaient de téléphoner à leurs parents depuis la classe si tel ou tel sujet ne leur convenait pas. Certains mangeaient en cours, fumaient dans les couloirs, jetaient des boulettes de papier… » Sans que les sanctions suivent, assure-t-elle.

Les semaines passant, sa perplexité grandit. Lors d’un devoir surveillé, des élèves dégainent leur portable, lui lançant, affirme-t-elle : « Qu’est-ce ça peut vous faire qu’on triche ? » Une autre fois, après la menace verbale d’un zéro si le devoir était copié sur Internet, un élève lui aurait assené : « Dans ce cas, on ramène les parents et vous serez à quatre pattes. » Propos rapportés à la proviseure qui ne serait jamais intervenue. Dur à encaisser. Mais elle tient bon.

En janvier, la potion devient amère. Deux élèves soupçonnés de ne pas avoir rédigé eux-mêmes un devoir maison et estimant sa notation trop dure s’inscrivent au cours par correspondance du Centre national d’enseignement à distance (Cned). L’organisme n’accepte pourtant que des élèves dont la matière n’est pas enseignée dans l’établissement ou pour raisons médicales. En revanche, l’attestation du chef d’établissement suffit… C’en est trop pour l’exigeante prof de philo. D’autant que, désormais, d’autres élèves menacent de filer au Cned si elle ne distribue pas de bonnes notes. Devant ce qui lui paraît relever d’une injustice, Sabine Cuni écrit au médiateur académique, soulignant la rupture d’égalité, ces élèves étant évalués sur des devoirs uniquement faits à la maison et pouvant être « aidés » par un tiers. Surtout quand les notes de contrôle continu donnent le bac. Sans oublier la rupture d’égalité entre ceux qui peuvent débourser 289 € pour l’année et les autres.

Lors d’un entretien officieux, un émissaire du rectorat aurait alterné, assure-t-elle, propositions (« Par quel type de poste seriez-vous intéressée ? ») et mises en garde (« Ne faites pas de courrier au rectorat, ce n’est pas dans votre intérêt, pensez à votre carrière. »). Un inspecteur général de philosophie missionné depuis Paris déboule en mars. Son rapport pointe une leçon « vivante, informative ». Mais il lui conseille aussi de ne pas insister si un élève refuse de rendre un devoir en classe, et de ne pas lui coller un 0…

« Effectivement confirme l’inspecteur général Paul Mathias, prof durant trente ans. On ne met pas des sales notes : des 0, 4 ou 5. Cela n’a pour seul effet que d’accabler psychologiquement l’élève. Pour ma part, je ne suis jamais descendu en dessous de 7, même dans mes classes prépas à Henri-IV. Je préfère expliquer plutôt que sanctionner. C’est notre rôle de guider. Prendre sur soi lorsqu’on est fatigué, faire la part des choses. Une note va rester dans le bulletin. Mieux vaut secouer ses élèves avec une bonne engueulade. Mme Cuni ne cesse de pointer compromissions et abandons de valeurs des uns et des autres. À la fin à l’écouter, cela fait beaucoup de monde qui renonce, non ? » Mais qui renonce vraiment ? Les textes officiels de notation en philosophie précisent bien dans quels cas on doit mettre entre 0 et 5, entre 6 et 9. Un passage précise même explicitement qu’un devoir non rendu sans excuse valable ou une copie blanche justifient le recours au 0.

Toujours en mars, la prof écrit au rectorat afin de signaler ce souci du Cned. Pour seule réponse, un courriel du directeur des ressources humaines l’invitant à prendre d’urgence rendez-vous avec un médecin « en regard des inquiétudes vous concernant dont nous avons été informés ». L’intervention de son syndicat, Action et Démocratie, s’étonnant d’une « telle sollicitude » mettra un terme à cette demande très inhabituelle.

Au début du mois d’avril, nouveau courriel. L’inspection générale de philosophie l’informe d’une remontée mécanique de ses notes sur Parcoursup, ses moyennes étant inférieures à celles… de lettres et d’histoire-géo, « disciplines présentant quelques similitudes intellectuelles avec la nôtre ». Cuni réplique pied à pied : « J’ai fait remarquer que j’enseignais et corrigeais le bac sans aucun problème sur mes notes depuis quinze ans. Et qu’il m’arrivait d’attribuer des 15, 16 ou 17 à de bonnes copies. Je m’étonnais aussi que des élèves caracolent à 12 de moyenne en histoire-géo alors que, dans mon cours, ils confondaient Espagne et Brésil. »

Sollicitée par Marianne, la proviseure s’est retranchée derrière le rectorat. Celui-ci nous a précisé qu’il n’y avait jamais eu de modifications « aléatoires ou arbitraires » des notes mais que la visite d’inspection avait constaté « une notation exceptionnellement sévère de cette professeure au préjudice de ses élèves qu’elle privait ainsi de toute chance de voir leurs candidatures sur Parcoursup examinées avec équité ». Dans le rapport de l’inspecteur général Paul Mathias, que nous avons pu consulter, il n’est pourtant jamais question de notation.

« Oui, mais cela n’était pas le but premier de ma venue précise son auteur. Deux éléments étaient remontés à l’inspection générale : des difficultés relationnelles avec l’établissement ainsi qu’avec ses collègues et ses élèves. J’ai découvert une personne avec une grande exigence et une vision monolithique de la perfection de ses enseignements, d’où un système de notation très dur. Et, dans le même temps, une prof au cours correct : j’ai vu pire, j’ai vu mieux. Notre entretien a été exceptionnellement long : un peu plus d’une heure, tandis qu’il dure habituellement une trentaine de minutes. Je ne suis pas psychologue, mais le rythme rapide de ses propos, leur abondance m’ont troublé. Il me semble que c’est quelqu’un qui aurait besoin d’être aidé. »

Du côté des associations de parents d’élèves, pourtant concernés au premier chef, méfiance. Interrogée, une de ses membres nous a répondu que l’association PICC (Parents indépendants centre Corse) ne souhaitait pas s’exprimer sur le sujet. Défiance aussi côté enseignants. La condamnation de 2013 en correctionnelle d’un prof de maths du lycée reconnu coupable de fraude au bac pour avoir surnoté des élèves après avoir été approché par leurs familles – et la suspicion visant d’autres de ses collègues – aurait-elle laissé des traces ?

Le jeudi 8 avril, date de la fermeture du serveur Parcoursup, un message avertit Sabine Cuni du changement de son mot de passe. « Toutes mes notes et appréciations avaient été modifiées ! Et pas de manière équitable : certains élèves avaient 3 points en plus, d’autres 4, une élève en demande d’une classe prépa aux grandes écoles littéraire a vu sa moyenne passer de 11,5 à 17,25 ! Une autre baisser d’un point… » Elle réagit aussitôt, demandant à l’inspection générale et au rectorat de préciser de combien de points les moyennes devaient être améliorées afin que celles-ci s’effectuent dans la transparence. « Personne ne m’a répondu. Quant à la médiatrice de l’Éducation nationale, elle m’a fait savoir que ce n’était pas de son ressort mais de celui du médiateur académique. Lequel n’a jamais pris contact avec moi. », jure-t-elle.

Écœurée, Sabine Cuni décide d’un recours en référé-liberté devant le tribunal administratif de Bastia le 13 avril pour atteinte à la liberté d’accéder à des formations post-bac selon des critères équitables. Demande jugée irrecevable par le juge des référés car la jurisprudence considère que le principe d’égalité n’est pas une liberté fondamentale. René Chiche, vice-président du syndicat Action et démocratie (CFE-CGC), lui aussi prof de philo, se félicite du courage de son adhérente : « L’expérience de Sabine Cuni cristallise tous les manquements de l’Éducation nationale. Cette femme n’a pas été défendue par l’institution qu’elle sert. Alors qu’elle a tout fait pour avertir en interne, personne ne lui a répondu. En plus, on a tenté de la faire passer pour folle, en des termes scandaleux. Et il y a ce document de l’inspection générale. Pour la première fois, on met noir sur blanc la remontée mécanique des notes d’un professeur supposé trop dur. D’habitude, ces propos sont tenus à l’oral. Dans ce contexte, comment continuer à maintenir des exigences ? Vais-je devoir en venir à : “Cher élève, dites-moi la note que vous voulez et après on lit Platon” ? Normal qu’il y ait de plus en plus d’enseignants démissionnaires. À ceux qui ne plient pas, on impose soit des sanctions disciplinaires soit de la médicalisation… »

Sabine Cuni a demandé sa mutation. En septembre, elle enseignera dans le Sud-Ouest. Avec une pensée émue pour ses anciens élèves victimes, selon elle, du système. À force de remontées stratosphériques des notes, les dossiers provenant de l’île de Beauté ne seraient plus pris au sérieux. Même si l’Association des proviseurs de lycées à classes préparatoires aux grandes écoles et le rectorat le contestent vigoureusement, des professeurs constateraient que, à excellente moyenne égale, les jeunes Corses se retrouveraient loin sur les listes d’attente. Une autre et paradoxale rupture d’égalité ?"

Lire "Surnotation au lycée : en Corse, le combat d’une enseignante face à l’Éducation nationale".


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