23 décembre 2013
"Le Conseil d’Etat a autorisé lundi le port du foulard par les accompagnatrices lors des sorties scolaires. Des restrictions peuvent être appliquées en cas de prosélytisme.
Une mère voilée peut accompagner des enfants lors d’une sortie scolaire, mais des restrictions restent possibles. Telle est en substance la teneur de l’avis rendu sur ce sujet par le Conseil d’Etat lundi. Une décision tout en nuances qui ne va pas clore les polémiques sur un sujet sensible. La haute juridiction administrative avait été saisie en septembre par le Défenseur des droits, Dominique Baudis, lui-même sollicité par des mères voilées s’estimant discriminées.
Les mères voilées peuvent-elles accompagner les enfants ?
Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat a procédé à une analyse fine du statut juridique de ces parents qui donnent un coup de main pour les sorties des élèves. Ils ne sont ni « agents » ni « collaborateurs occasionnels » du service public, mais de simples « usagers ». La nuance est de taille, car « les exigences de neutralité religieuse » s’appliquent aux « agents » (enseignants, surveillants, etc.), alors que « l’usager du service public n’est pas soumis à [cette] exigence ». Il n’y a donc a priori pas de devoir de laïcité pour les mères voilées accompagnatrices. A priori « la liberté reste la règle ».
Mais dans un souci d’équilibre, le Conseil d’Etat admet des restrictions. Il laisse une porte ouverte à une éventuelle interdiction pour garantir le « bon fonctionnement du service public » et éviter toute forme de prosélytisme. « S’agissant des parents d’élèves [accompagnateurs, ndlr] » « l’autorité compétente » peut leur demander « de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ». Cet avis constitue « une base pour trouver des solutions raisonnables à partir de la législation actuelle », analyse l’historien Alain Bergounioux, membre de l’Observatoire de la laïcité.
Quid de la circulaire Chatel ?
L’avis du Conseil d’Etat vient entériner juridiquement une situation que la circulaire avait laissée floue. Dans ce texte datant du 27 mars 2012, Luc Chatel, alors ministre de l’Education nationale, indique qu’il est « recommandé de rappeler dans le règlement intérieur » que les principes de laïcité et de neutralité sont « pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics ». Sur ce point, la circulaire ne diverge pas de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école. Elle indique dans son énoncé que l’objectif est « d’empêcher que les parents d’élèves ne manifestent leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ». Problème : la loi de 2004 concerne les élèves et non les parents accompagnateurs dont le statut juridique restait flou. Pour Dominique Baudis, la circulaire comportait « des zones grises ». Sur la forme, ce n’est qu’une recommandation sans caractère obligatoire. Libre à chaque école de rappeler ou non ces principes dans son règlement intérieur. D’où les différences d’application de cette mesure selon les établissements.
Une règle à géométrie variable…
Parmi les directeurs d’école, certains considèrent, comme le Conseil d’Etat l’a affirmé lundi, que les parents d’élèves ne sont pas concernés par la loi, d’autres se montrent plus fermes et interdisent aux mères voilées de participer aux sorties scolaires.
L’application à géométrie variable de la circulaire entraîne des situations parfois aberrantes, comme à Torcy en novembre 2004. Une mère a été privée de sortie après douze ans d’accompagnement bénévole. Souvent, les situations s’arrangent d’elles-mêmes. A Chelles (Seine-et-Marne) en 2008, des mères non voilées ont fait plier un directeur d’école qui avait refusé à une l’une d’elles d’accompagner une classe de maternelle au zoo. Mais parfois, ça se crispe : des manifestations de soutien aux femmes qui n’ont pu accompagner leurs enfants ont lieu à Echirolles (Isère) et Nanterre (Hauts-de-Seine).
En octobre 2010, l’association de mères d’élèves Mamans toutes égales avait saisi la justice. Elle jugeait discriminatoire et contraire à la liberté religieuse la modification du règlement intérieur d’une école primaire. Le tribunal administratif de Montreuil a donné raison à l’établissement et au rectorat, considérant les parents comme des « agents publics » soumis à la loi de 2004. L’avis du Conseil d’Etat est plus nuancé : les parents sont des « usagers du service public ».
Quelles suites politiques et réglementaires ?
Au gouvernement, on poussait hier un ouf de soulagement. Matignon renvoyait prudemment au ministère de l’Education nationale pour l’explication de texte. Lequel, se basant une lecture restrictive de l’avis, martelait que « c’est une clarification de dire que les parents accompagnateurs sont des usagers de service public. Mais le Conseil d’Etat dit aussi qu’on peut leur demander de faire preuve de neutralité. La circulaire ne dit pas autre chose, on n’a pas besoin de la changer », notait-on dans l’entourage de Vincent Peillon.
En clair, pas question pour le gouvernement de bouger d’un poil sur ce dossier inflammable : le statu quo reste de mise. « On a une solution qui passe bien, elle permet une souplesse tout en faisant la pédagogie de la laïcité et en évitant le prosélytisme sur le terrain. On a une trentaine de mauvaises remontées sur 12 millions d’élèves », relativisait-on au ministère de l’Education. [...]"
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