Revue de presse

"Séparatisme, ce que va changer la loi" (La Croix, 19 nov. 20)

19 novembre 2020

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Le gouvernement a transmis au Conseil d’État son avant-projet de loi destiné à lutter contre les séparatismes, désormais appelé « projet de loi confortant les principes républicains ». Riche de 57 articles, il vise à renforcer le contrôle des associations, des cultes, des établissements scolaires et réformer, à la marge, la loi de 1905.

Nathalie Birchem, Laurent de Boissieu, Bernard Gorce et Denis Peiron

Ne plus parler de projet de loi « contre les séparatismes ». Le texte que le gouvernement a transmis au Conseil d’État et dont il a communiqué le contenu, mardi soir 17 novembre, s’appelle « projet de loi confortant les principes républicains ». C’est à la fois plus juste – la loi de 1905 n’instaurait-elle pas une « séparation » des Églises et de l’État ? – et plus constructif.

D’ici à sa présentation en conseil des ministres, le 9 décembre, le texte sera encore amendé, peut-être pour y ajouter de nouvelles mesures en matière de lutte contre la menace terroriste. Mais le document, qui est plus qu’une simple version de travail, compose un large éventail d’une soixantaine d’articles sur des sujets sensibles. Ainsi, les volets de la loi qui renforcent le contrôle des associations, des cultes, des établissements scolaires, posent la question de l’équilibre entre liberté et sécurité. La mobilisation de la société contre l’influence de l’islam radical passe désormais par une extension du contrôle des pouvoirs publics sur des forces vives de la société civile. Autre sujet délicat, celui de la loi de 1905 que le projet ambitionne de réformer, certes à la marge. Une chose semble acquise, le gouvernement ne passera pas en force.

À la mosquée de Paris, le 18 septembre, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin assurait aux responsables musulmans : « Nous n’engagerons pas la procédure d’urgence, on aura les quatre lectures. » Le texte doit arriver en février au Parlement.

► Affirmer la neutralité des services publics

Fort du constat que les services publics n’échappent pas au prosélytisme islamiste, l’avant-projet de loi entend réaffirmer en leur sein la neutralité politique et religieuse. Sur le modèle de ce qui existe déjà pour les agents publics, ces principes seraient inscrits dans la loi pour les employés des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public : chauffeurs de bus, facteurs, contrôleurs de la SNCF, etc.

Il s’agit néanmoins davantage d’une confirmation que d’une nouveauté, puisque la jurisprudence va déjà dans ce sens. L’idée est donc consensuelle. La droite souhaitant toutefois aller plus loin en considérant que la neutralité politique et religieuse devrait également s’appliquer aux parents accompagnateurs de sorties scolaires des établissements publics, en particulier les mères portant le voile islamique.

L’ambition du gouvernement est en outre de protéger des pressions religieuses les personnes chargées d’une mission de service public ou les élus locaux. D’une part, avec l’application d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende, éventuellement assortie d’une interdiction du territoire français, pour les usagers qui chercheraient à obtenir une « exemption » ou une « application différenciée » de la règle commune en usant de menaces, de violence ou d’intimidation. Sur le site d’actualité juridique Dalloz, Pierre Januel s’inquiète cependant d’« une rédaction alambiquée pour une peine lourde ».

D’autre part, avec la possibilité pour le préfet de se substituer aux élus locaux si le fonctionnement d’un service public local, qu’il peut immédiatement suspendre, « est de nature à porter gravement atteinte au principe de neutralité des services publics ». L’objectif, d’après l’exposé des motifs du texte, en est surtout de protéger les élus de pressions communautaristes.

► Contre le terrorisme, des mesures à la marge

Durant son discours aux Mureaux (Yvelines) du 2 octobre, dans lequel il présentait les grands enjeux du projet de loi, le président Emmanuel Macron avait insisté sur le lien entre l’islam radical et le terrorisme, le premier pouvant « créer les conditions » du second. Mais la lutte contre ce terrorisme n’était pas au cœur de son intervention, essentiellement consacrée à ce qu’il appelait alors la lutte contre le séparatisme. De fait, dans l’avant-projet de loi, le terrorisme n’est abordé spécifiquement qu’à trois reprises.

Un article modifie le champ d’application du fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait) en y intégrant « les délits relatifs à la provocation et à l’apologie d’actes terroristes ». Un deuxième interdit à toute personne condamnée pour terrorisme de diriger une association cultuelle pendant dix ans. Enfin, une mesure élargit le droit d’opposition de Tracfin, le service de renseignement de Bercy, qui peut s’opposer à l’exécution d’une opération en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et de lutte contre le terrorisme. « Pour la première fois, on va savoir qui finance qui sur notre sol, et nous allons donner plus de moyens à Tracfin pour s’opposer à tous les flux indésirables », déclare Gérald Darmanin au Figaro.

Mais depuis les attentats contre l’enseignant Samuel Paty et les paroissiens de Nice, la question du terrorisme est redevenue brûlante. Le gouvernement n’exclut donc pas de compléter ce projet de loi d’ici à sa présentation en conseil des ministres, le 9 décembre. Les ministres de l’intérieur et de la justice travaillent en particulier sur la question des sortants de prison. Dans un projet de loi voté avant l’été, la majorité voulait multiplier les mesures de sûreté (interdiction de certaines activités, pointage au commissariat…) visant les détenus condamnés pour terrorisme ou ceux radicalisés en prison.

Mais le Conseil constitutionnel avait jugé au mois d’août le dispositif trop attentatoire aux libertés et invitait le législateur, dans le cas de la réécriture du texte, à respecter un cadre. Le gouvernement pourrait ainsi compléter le présent projet de loi. Pour le magistrat et ex-député LR Georges Fenech, cet ajout est nécessaire mais insuffisant : « Notre parti s’est prononcé pour l’instauration d’une rétention de sûreté comme cela se fait pour certains grands criminels qui représentent un danger pour la société. Après la prison, ils doivent être placés dans des établissements sociaux-médico-judiciaires qui évaluent leur dangerosité. »

► Combattre la haine

Conforter les principes républicains, c’est aussi pour le gouvernement renforcer l’arsenal juridique de lutte contre la haine. En réponse directe aux faits ayant abouti à l’assassinat par décapitation de Samuel Paty, le texte crée un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui.

« Révéler, diffuser ou transmettre » dans un but malveillant, même si aucun acte n’est commis, « des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser » serait puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Et même cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende s’il s’agit d’une personne chargée d’une mission de service public ou dépositaire de l’autorité publique (policier, militaire, magistrat…). Cette volonté de protection des agents publics n’est pas sans lien avec la question du floutage des visages des forces de l’ordre, soulevée à l’occasion de l’examen parlementaire de la proposition de loi sur la sécurité globale.

Logiquement, l’avant-projet de loi se préoccupe également de la problématique spécifique de la haine en ligne. Le gouvernement s’en était déjà saisi avec la loi dite Avia, mais le mécanisme retenu avait été pour l’essentiel censuré, en juin 2020, par le Conseil constitutionnel.

L’objectif est encore de faciliter la procédure et de raccourcir les délais afin de rendre inaccessibles des contenus illicites, à travers leur déréférencement par les moteurs de recherche ou le blocage des sites « miroirs » les dupliquant. Plus globalement, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, a confirmé, mercredi 18 novembre, sur RTL, qu’il réfléchissait à rendre les hébergeurs « enfin responsables du contenu » qu’ils mettent à la disposition du public.

Enfin, de façon plus implicitement tournée vers la lutte contre l’islamisme, le texte cherche à réprimer et à empêcher les prêches haineux des imams islamistes. D’une part, il alourdit la peine pour provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence lorsque ce délit est commis dans ou aux abords d’un lieu de culte : jusqu’à sept ans de prison et 75 000 € d’amende au lieu d’un an et 45 000 €. D’autre part, une nouvelle peine d’interdiction de paraître dans un lieu de culte est créée pour les personnes ainsi condamnées. Des sanctions qui pourraient bien entendu s’appliquer aux discours haineux des extrémistes de toute religion.

►La police des cultes renforcée

La partie du projet de loi qui concerne les cultes (et retouche, pour ce faire, la loi de 1905) est importante et peut se résumer par un renforcement du contrôle des associations ainsi que de la police des cultes.

Sur le premier volet, comme l’avait expliqué Gérald Darmanin, l’enjeu de la réforme est d’inciter fortement les communautés musulmanes à adopter le régime juridique d’association cultuelle (loi 1905), alors qu’elles sont le plus souvent organisées sous le régime plus souple et moins contrôlé d’association loi 1901. Il s’agit aussi d’instaurer de nouvelles règles de contrôle des financements étrangers (au-delà de 10 000 €, l’administration peut s’y opposer) et de gouvernance. Ainsi, afin d’éviter que des personnalités radicalisées prennent le pouvoir dans une mosquée, la loi impose une délibération pour l’adhésion de tout nouveau membre.

Concernant la police des cultes, la majorité veut d’une part renforcer l’échelle des peines lorsque des infractions sont commises. La provocation à la haine ou à la violence sont désormais susceptibles d’une peine de sept ans de prison. Les sanctions sont aussi renforcées en cas de réunion politique dans un lieu de culte. Le projet de loi met d’autre part en place un nouveau régime de fermeture administrative. Ces dernières années, les pouvoirs publics l’ont obtenu pour certaines mosquées, mais ces procédures restent rares car il est difficile, hors cas d’appel au terrorisme, de qualifier juridiquement les faits. Le texte précise que le préfet peut fermer un lieu dans lequel les activités, les idées diffusées ou les propos tenus provoquent la haine ou la violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine, de leur sexe, de leur appartenance à une ethnie, à une religion.

La question se pose de savoir jusqu’où peut aller un tel contrôle. Le juriste Pierre-Henri Prélot souligne que la loi de 1905 était sur ce volet police d’esprit très libéral. « J’ai coutume de dire que la police des cultes, c’est la police de droit commun appliquée aux cultes, rien de plus. Là on peut se demander si l’on n’instaure pas un régime spécifique pour les cultes », interroge-t-il. Le ministère de l’intérieur parle au contraire d’un « alignement » sur le droit commun et la jurisprudence européenne. La fermeture serait en outre limitée à deux mois, le temps de laisser les responsables religieux remettre de l’ordre, précise-t-on au ministère de l’intérieur.

► Mieux contrôler les associations

Dans son discours du 2 octobre, Emmanuel Macron avait fait le constat que si « les associations sont un pilier de notre pacte républicain », un certain nombre, en « proposant des activités sportives, culturelles, artistiques, linguistiques ou (…) qui ont pour raison d’être l’accompagnement des plus précaires ou l’aide alimentaire, déploient en réalité des stratégies assumées d’endoctrinement ». Deux semaines après la dissolution de l’ONG Barakacity, l’avant-projet de loi accentue donc le contrôle sur les associations.

D’abord, il s’agit de renforcer les conditions de délivrance d’agréments, sport ou jeunesse par exemple. Surtout, le texte vise à obliger les associations qui demandent une subvention à s’engager, par un « contrat d’engagement républicain », à respecter les valeurs de la République, en particulier « la dignité humaine », « le principe d’égalité, notamment entre hommes et femmes », « le principe de fraternité », « le rejet de la haine », ainsi que la « sauvegarde de l’ordre public ».

D’ores et déjà, un certain nombre de collectivités locales ou d’administrations, comme la Caf, imposent des chartes de la laïcité aux associations financées. Avec quelle utilité ? « Toute association a bien sûr déjà l’obligation de respecter la loi et peut être poursuivie si elle ne le fait pas, rappelle Frédérique Pfrunder, déléguée générale du Mouvement associatif. Et la subvention n’étant pas un droit, l’administration ou la collectivité peut tout à fait la refuser. » Certes, mais « il est toujours utile de rappeler aux associations subventionnées les principes républicains, qui ne sont pas toujours bien compris », estime de son côté Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. De plus, avec ce cadre nouveau, le préfet aura désormais la possibilité de mettre fin à une subvention octroyée à une association qui ne respecterait pas ces principes, voire de lui demander de la restituer.

Toutefois, la plupart des associations suspectées ne demandent ni agrément ni subvention. L’avant-projet de loi s’intéresse donc aussi aux dons, en permettant au fisc de vérifier si l’association dont les donateurs bénéficient de réductions fiscales correspond bien à des missions d’intérêt général. Il renforce aussi le contrôle sur les fonds de dotation, aux règles moins strictes que les fondations.

Enfin, le texte rend possible la dissolution d’une association du fait « des agissements commis par ses membres et directement liés aux activités de cette association », ou la suspension de ses activités « en cas d’urgence ».

► L’instruction à domicile et les écoles hors contrat dans le viseur

Le projet de loi intervient aux marges du système scolaire en encadrant plus étroitement la liberté de l’enseignement, confirmée par le Conseil constitutionnel à plusieurs reprises. Le texte prévoit le basculement d’une obligation d’instruction – qui jusqu’ici pouvait se faire dans la famille – vers une obligation de scolarisation, de 3 à 16 ans, dans un établissement scolaire, public ou privé.

Le gouvernement part du constat que « l’école à la maison » cache parfois la participation à des cours collectifs, plus ou moins formels, au sein de structures non déclarées. Des écoles « clandestines » qui ne séparent pas toujours clairement enseignement religieux et enseignement scolaire. Plus largement, il estime que ce mode d’instruction risque d’exposer l’enfant aux valeurs exclusives de la famille, potentiellement en rupture avec celles de la République.

Seule exception : « Lorsque sa scolarisation dans un établissement scolaire est impossible pour des motifs tenant à sa situation ou à celle de sa famille, l’enfant peut recevoir l’instruction à son domicile, sous réserve d’y avoir été autorisé, pour une durée qui ne peut excéder l’année scolaire, par l’autorité compétente en matière d’éducation. » Cela peut concerner par exemple un enfant atteint d’une maladie l’empêchant de se rendre en classe.

Annoncée début octobre par Emmanuel Macron, cette suppression de « l’école à la maison » a provoqué l’ire des familles des 50 000 enfants recourant à ce mode d’instruction, notamment celles qui s’appuient sur les cours du Centre national d’enseignement à distance, sous tutelle de l’éducation nationale.

Également dans le viseur du gouvernement, les écoles hors contrat, qui scolarisent un nombre limité d’élèves (51 000 dans le primaire, notamment) mais ont vu leurs effectifs croître ces dernières années. Des établissements très divers (confessionnels ou non, souvent centrés sur une pédagogie alternative), déjà censés faire l’objet de contrôles réguliers. La création de ces écoles continuera de relever d’un régime de déclaration (pas d’autorisation préalable), dans des conditions renforcées par la loi Gatel de 2018.

Enfin, le projet s’attaque à la principale difficulté rencontrée ces dernières années : obtenir la fermeture des établissements présentant des dérives, notamment lorsque l’enseignement n’est pas conforme à l’objet de l’instruction obligatoire. Pour y parvenir, il ne sera plus nécessaire de saisir les juges. Même en cas de refus de se soumettre à des contrôles, il sera possible de recourir à une fermeture administrative, temporaire ou définitive, par arrêté préfectoral.

Par ailleurs, un identifiant national sera attribué à chaque enfant pour qu’il soit plus facile de s’assurer qu’il est scolarisé.

Réaffirmer l’égalité entre les femmes et les hommes

Plusieurs dispositions de l’avant-projet de loi protègent la dignité humaine face à des « pratiques coutumières dégradantes ». Un premier article entend lutter contre les mariages forcés, dont sont essentiellement victimes des jeunes femmes, à travers un entretien individuel en cas de doute sur un consentement. Un deuxième article interdit, et sanctionne d’une peine d’un an de prison et 15 000 € d’amende, l’établissement d’un certificat de virginité. D’autres articles défendent le droit des femmes dans le cadre d’une succession. Enfin, l’égalité des sexes est également réaffirmée avec des mesures contre la polygamie, pratique qui s’opposera en toute situation à l’obtention ou à la conservation d’un titre de séjour en France.

Du séparatisme aux principes républicains

♦ 18 février. En déplacement à Mulhouse (Haut-Rhin), le chef de l’État affiche sa fermeté face au « séparatisme islamiste ».

♦ 17 mars. Face à la crise sanitaire et la mise en place du confinement, le dossier est reporté.

♦ 15 juillet. Jean Castex annonce dans son discours de politique générale qu’un projet de loi sur la lutte contre les séparatismes sera présenté à la rentrée.

♦ 2 octobre. Emmanuel Macron se rend aux Mureaux (Yvelines) pour prononcer un discours dans lequel il exhorte au « réveil républicain » face au « séparatisme islamiste ».

♦ Novembre. Examen de l’avant-projet de loi « confortant les principes républicains » par le Conseil d’État.

♦ 9 décembre, jour de l’anniversaire de la loi 1905. Présentation en conseil des ministres.

♦ Février 2021. Débat au Parlement (selon une annonce faite par Gérald Darmanin en septembre).

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