11 février 2019
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Le mouvement estampillé Manif pour tous est dans la tourmente depuis que son président n’a pas exclu un rapprochement avec Marion Maréchal-Le Pen. Ce dernier se verrait bien rassembler la droite qu’on dit "hors les murs"...
Le signal envoyé est loin d’être anodin. Mardi 24 octobre, le bureau politique des Républicains s’est prononcé pour l’exclusion des transfuges passés chez Emmanuel Macron, à commencer par le Premier ministre, Edouard Philippe. En revanche, il s’est bien gardé de statuer sur le sort du mouvement Sens commun, créé dans la foulée de la Manif pour tous en 2013 avec l’ambition affichée de faire de l’entrisme à droite. Seule représentante de Sens commun à la table du bureau politique, sa porte-parole, Madeleine de Jessey, a juré ses grands dieux que jamais, au grand jamais, son mouvement ne fricoterait avec l’extrême droite. « Aucune alliance avec le FN ni aucun de ses cadres ou de ses élus, a-t-elle martelé. Notre place a toujours été et demeure au sein des Républicains. »
Une opération de sauvetage pour sortir de la tourmente, alors qu’une partie de la droite s’interroge ouvertement sur le jeu trouble de Sens commun. A l’origine de la polémique, une petite phrase lâchée par le président du mouvement, Christophe Billan, dans un entretien à l’Incorrect, un mensuel que viennent de lancer des proches de Marion Maréchal-Le Pen. Plaidant pour « l’élaboration d’une plate-forme réunissant toutes les bonnes volontés d’une droite véritable », Billan explique tranquillement qu’il n’exclut pas de travailler un jour avec l’ex-députée frontiste : « Si Marion Maréchal-Le Pen vient demain avec ses idées rejoindre une plate-forme, cela ne me posera aucun problème. Mais, si elle est plus Le Pen que Marion, j’aurai un souci. »
Tollé immédiat chez les ténors LR. Certes, bon nombre d’entre eux ne peuvent plus encadrer Sens commun depuis que le mouvement a soutenu avec acharnement François Fillon jusqu’au bout de sa campagne présidentielle. Mais le malaise est aussi palpable chez ceux qui ne regardent pas leurs idées conservatrices d’un mauvais œil. Il faut dire que même un Laurent Wauquiez, qui fait à peine mystère de sa volonté de siphonner l’électorat FN, a exclu toute alliance avec des élus frontistes. Sens commun a beau invoquer « une maladresse de communication » de son président, le mouvement a été contraint d’annuler sa rentrée à Asnières, dans les Hauts-de-Seine. Il devait accueillir le 15 octobre plusieurs conférenciers et élus, dont Laurent Wauquiez, pour une « journée de la France silencieuse ». « Finalement, c’est la journée du silence ! » rigole sous cape un ténor LR.
La veille, environ 150 cadres et élus de Sens commun se sont tout de même retrouvés à Asnières. Une réunion à huis clos prévue de longue date, mais qui s’est transformée logiquement en cellule de crise. « Ça a permis à tout le monde de s’exprimer à chaud », raconte un participant. Qui déplore « une hystérisation complètement disproportionnée ».
Un ton victimaire que l’on entend dans une large frange du mouvement. « L’interview de Billan est un épiphénomène, [elle] n’est reprise que par le microcosme parisien pour créer une fausse polémique », s’agace ainsi un jeune adhérent francilien.
A droite, ils sont pourtant nombreux à instruire un procès en amateurisme. « Christophe Billan savait très bien que cette phrase allait ressortir de son entretien. Il est tombé sur la seule peau de banane dans un couloir de 100m », tacle un élu LR, ancien du mouvement. Même le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, proche des idées de Sens commun dont il a déjà regretté la « diabolisation », y va de son avertissement : « La politique, c’est la clarté. Nous devons être très exigeants là-dessus. »
Difficile, de fait, d’y voir clair dans la stratégie de Sens commun. « La ligne n’a pas bougé, assure un responsable du mouvement. Nous n’avons pas d’autre projet que de participer à la reconstruction de la droite au sein des Républicains. » Il suffit pourtant de visionner l’interview intégrale de Christophe Billan sur le site de l’Incorrect pour déceler de tout autres intentions. Évoquant l’élection pour la présidence du parti LR, prévue en décembre, le patron de Sens commun détaille l’avertissement qu’il compte adresser aux candidats : « L’idée, c’est de leur dire : “Vous avez devant vous quelques mois pour revoir doctrinalement ce qu’est la droite et mettre en place un nouvel appareil plutôt que de faire du suivisme et du cynisme.” Si, au mois de février, de mars, on s’aperçoit que ces deux points ne sont pas pris en compte, alors Sens commun doit revoir son idée maîtresse originelle. » Autrement dit : mettez le cap à droite toute ou nous quittons le navire !
Au fond, Christophe Billan traduit le véritable état d’esprit d’une bonne partie de ses militants. Ces ex-fillonistes « radicalisés », pour reprendre une expression signée Alain Juppé, ont bien plus de considération pour une Marion Maréchal-Le Pen que pour les caciques des Républicains, accusés d’avoir trahi la vraie droite. C’est le cas de l’homme d’affaires Charles Beigbeder, élu de Paris et adhérent de Sens commun, pas du tout traumatisé par la perspective d’un divorce avec LR. « Ce serait l’occasion de lancer un appel à tous les Français qui ne se reconnaissent plus dans ce que sont devenus Les Républicains, ni dans ce que devient le FN, plaide-t-il. Sens commun pourrait alors servir de plate-forme à un grand mouvement de droite. » La fameuse droite « hors les murs », ces électeurs qui se baladeraient à mi-chemin entre LR et le FN, mais que personne n’a jamais réussi à fédérer en un mouvement.
Une dérive, aux yeux de Sébastien Pilard, qui a présidé Sens commun pendant deux ans, avant d’être poussé vers la sortie en 2016. « Aujourd’hui, Christophe Billan semble vouloir que Sens commun devienne un parti, sans en référer aux fondateurs », peste le conseiller régional LR des Pays de la Loire. Pour lui, « soit Sens commun revient à sa vocation initiale, soit il part. Mais, si Sens commun n’est plus chez Les Républicains, ce n’est plus grand-chose ». Même sévérité chez Anne Lorne, conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes et autre ex de Sens commun : « Les dirigeants sont en train d’en faire un think tank plutôt qu’un mouvement politique. Avoir des profs de philo et des anthropologues, c’est très bien, mais j’aimerais mieux que Sens commun soit dirigé par des gens qui ont les pieds dans la glaise et du sens politique. » Diagnostic d’un élu LR francilien : « Ils sont dans une situation impossible. Entre ceux qui en ont marre d’ être pointés du doigt et ceux qui crient constamment au complot, ça risque d’imploser. »
En attendant, le psychodrame embarrasse Laurent Wauquiez, grand favori pour devenir le patron des Républicains en décembre. Car, si Sens commun s’attire le ressentiment de la droite modérée, le mouvement reste un noyau de forces vives dans un parti en pleine apoplexie. « A Paris, on les donne pour mort, mais en province, c’est encore un vrai vivier de militants », assure une figure des milieux catholiques conservateurs. Même si des informations contradictoires circulent sur le nombre d’adhérents.
« Ils sont 3 000, pas plus », assure le député Daniel Fasquelle, trésorier de LR, en s’appuyant sur les cotisations reversées au parti. Ce qui lui permet d’affirmer que « ce n’est pas Les Républicains qui tiennent grâce à Sens commun, c’est l’inverse ». Faux, rétorque le mouvement, où l’on revendique précisément « 6 875 adhérents à jour de cotisation en septembre 2017 ». Autant de personnes en droit de voter pour l’élection à la présidence des Républicains, et donc susceptibles de peser sur le scrutin.
Surtout, les positions de Sens commun sont très peu éloignées de la droite « vraiment de droite » vantée par Wauquiez. L’homme tente donc de rassurer tout le monde par un numéro d’équilibriste : « Sens commun fait partie de notre famille politique, mais ce ne sont pas eux qui décident. » Commentaire d’un député qui l’a parrainé pour la présidence du parti : « Ils représentent un courant de la société et c’est une bonne chose qu’ ils soient chez nous. Mais on a tendance à les surestimer : il faut les remettre à leur place. »
Pour l’instant, l’avenir de Sens commun chez LR reste en suspens. Le secrétaire général du parti, Bernard Accoyer, doit rencontrer ses responsables pour en discuter. Mais en interne aussi l’orage a laissé des traces. Alors que les cadres du mouvement ont désavoué leur président, un remaniement de l’équipe dirigeante est dans les tuyaux. « Il faut y aller pas à pas. Pour l’ instant, on éteint les incendies », temporise un cadre. Il ajoute que le mouvement « est en train d’auditer les troupes pour savoir comment elles ressentent les choses ». Un « comité stratégique » est prévu courant novembre pour évoquer « la structure et la gouvernance de Sens commun ». Et éviter de s’enfoncer un peu plus dans le brouillard.
Louis Hausalter"
Lire "Sens commun / Les Républicains : les coulisses d’un psychodrame".
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