par Bruno Renoul. 16 janvier 2020
Riss, Une Minute quarante-neuf secondes, Actes Sud-Les Echappés, oct. 19., 320 p., 21 €
Il faut lire le cri de douleur et de colère de Riss, le directeur de Charlie Hebdo, pour mieux comprendre les ressorts du drame du 7 janvier 2015. J’avais beaucoup aimé Le Lambeau, de Philippe Lançon, dans lequel ce survivant de l’attentat raconte la reconstruction physique et mentale d’un journaliste rescapé de cette tuerie abominable. Après cette tragédie, il n’était tout simplement plus le même. Avec 1 minute 49 secondes, soit la durée du massacre, Riss livre son regard sur cette histoire qui nous concerne tous.
Touché à l’épaule par une balle de kalachnikov, il a survécu en faisant le mort. Son livre traite moins de la douleur physique que de violence et de mort. Riss hurle son chagrin d’avoir perdu ses compagnons de route, avec qui il avait participé à la relance de Charlie en 1992. Il raconte Charb, Cabu, Wolinski, Bernard Maris, Elsa Cayat, Honoré et Mustapha Ourrad, assassinés par deux fous d’Allah : leurs fantômes le hantent encore.
Il évoque aussi les difficultés qu’a eu Charlie Hebdo à se relever de l’inimaginable, sans faire mystère des inévitables dissensions internes.
Moins littéraire que celui de Lançon, son livre est aussi plus engagé : Riss, qui n’a pas l’intention de céder un pouce sur le terrain de la liberté d’expression, ne se prive pas de dézinguer ceux qu’il appelle des « collabos ». Tous ceux qui n’ont pas soutenu Charlie Hebdo sur le fond, et qui continuent de s’en dispenser malgré l’hécatombe du 7 janvier, considérant que ce journal était allé trop loin. Qu’on ne peut pas attaquer une religion ou blesser les convictions des croyants. Pour lui, l’élan du 11 janvier n’a pas empêché cette petite musique anti-blasphème de continuer à faire son chemin dans la sphère politico-médiatique. Difficile de lui donner tort.
Son coup de colère est plus que jamais d’actualité, alors que les unes de Charlie Hebdo continuent, à intervalle régulier, de susciter l’indignation des bien-pensants qui s’émeuvent dès que ce journal touche à l’islam, et vont parfois jusqu’à le ranger à l’extrême droite. Ceux-là font mine d’oublier qu’il a toujours mis toutes les religions dans le même panier. Et qu’il existe toujours, à gauche, un courant d’idées qui continue de croire que la laïcité, l’universalisme et l’émancipation sont des valeurs cardinales.
Bruno Renoul
Voir aussi la note de lecture Philippe Lançon – Comment passe-t-on de vivant à survivant ? (E. Marquis), dans la Revue de presse la rubrique Une minute quarante-neuf secondes, de Riss (2019) dans Massacre à Charlie Hebdo (7 jan. 15) (note du CLR).
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