Revue de presse

Riss : « L’esprit Charlie est plus subtil qu’il n’y paraît » (La Tribune Dimanche, 5 nov. 23)

(La Tribune Dimanche, 5 nov. 23). Riss, directeur de "Charlie Hebdo". 5 novembre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Huit ans après l’attentat qui a décimé son journal, le directeur de la rédaction de « Charlie Hebdo », reste l’un des hommes les plus protégés de France. Cette vie en suspension n’altère pas l’acuité de son regard sur l’actualité.

Pauline Delassus

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LA TRIBUNE DIMANCHE- Vous exposez vos dessins du procès de Maurice Papon, condamné pour complicité de crimes contre l’humanité pour avoir organisé la déportation de Juifs à Bordeaux. Cette exposition au Mémorial de la Shoah à Paris résonne cruellement avec l’actualité...

RISS- L’antisémitisme traverse les époques, malheureusement. Ceux qui aujourd’hui crient « mort aux Juifs » se rendent-ils comptent de ce à quoi ça les renvoie ? Ceux qui taguent des étoiles de David comprennent-ils la portée de leurs actes ? Connaissent-ils l’Histoire ? Peut-être que oui. Peut-être qu’ils assument leur haine, sans se soucier des conséquences, au nom du ressenti. Sans morale. Notre époque est désinhibée. [...]

Quels liens peut-on faire entre ce grand événement de l’histoire judiciaire de notre pays et les procès des attentats islamistes, comme celui du frère de Mohammed Merah, que vous avez suivi en 2012, et celui des attentats de janvier 2015, notamment contre Charlie Hebdo, où vous étiez témoin ?

Papon a prêté assistance au régime nazi, mais je ne suis pas certain qu’il adhérait à son idéologie. Il s’est tenu à distance des mouvements collaborationnistes. Ce sont ses actions qui ont été jugées, car il y avait des preuves matérielles. Il est plus difficile de criminaliser une adhésion idéologique. Lors du procès du frère de Merah, on a compris quel rôle il a joué dans la radicalisation du terroriste. Mais l’aide matérielle qu’il lui a fournie était plus difficile à prouver, or elle était nécessaire pour concrétiser son implication dans l’attentat. Le même problème va se poser lors du procès des complices de l’assassin de Samuel Paty. Ce qu’ils ont fait suffira-t-il à les condamner ? La déportation et l’extermination des Juifs sont des crimes complexes qui font intervenir des quantités de gens à diverses étapes. C’est un système pervers qui donne l’illusion à chacun de ne pas être responsable. Les attentats islamistes sont des crimes plus directs. Les terroristes assument leurs actes. Ils les revendiquent et se filment parfois. Il y a là un parallèle à faire avec ce qui s’est passé le 7 octobre en Israël. Les assaillants du Hamas se sont filmés déclarant « j’ai tué dix Juifs de mes mains ». La désinhibition, encore.

Selon vous, pourquoi certains élus de LFI refusent de qualifier le Hamas de terroriste ?

La direction de ce parti semble se calquer sur des schémas qui datent des années 1950, des vieilleries de la lutte anti-coloniale, caduques. Le massacre du 7 octobre m’a fait penser à celui de Philippeville, en Algérie, en 1955, qui fut alors une fracture dans la guerre. LFI reprend cette logique. Ils attendent des événements une rupture, une nouvelle situation politique. Ce n’est pas une dérive, c’est même cohérent. On ne le voyait pas avant car on voulait croire que l’alliance de la Nupes allait fonctionner, mais c’était bancal depuis le début. Il y avait trop de non-dits. Une crise comme celle-ci les met en lumière. [...]

Que pensez-vous de la phrase de Guillaume Meurice sur France Inter comparant Benyamin Netanyahou à « un nazi sans prépuce » ?

Comment peut-on encore utiliser des termes si puérils... Ce sont des raccourcis. Bien sûr que l’on peut rire de tout, mais il y a une manière de le faire. Depuis l’offensive israélienne sur Gaza, il y a un déferlement de propos visant à inverser les choses. On en arrive presque à oublier ce qui s’est passé le 7 octobre. Dire que les massacres du Hamas sont comparables à ceux des nazis pendant la guerre, ça devient inaudible. Je ne sais pas si dans un an on en parlera encore car la propagande joue en faveur des terroristes palestiniens. Ils ont des relais dans les médias et jusque dans les universités américaines. Le rôle des intellectuels est à interroger. Quand on voit ce que déclarait la philosophe américaine Judith Butler sur le Hamas, mouvement qu’elle qualifiait de gauche parce qu’anticapitaliste, c’est effrayant. Or elle a formé toute une génération. Certains à gauche nous bassinent avec la dialectique dominant-dominé comme si c’était le summum de la pensée complexe... C’est le niveau zéro, et il y a des pans entiers de la réflexion fondés sur cela.

Guillaume Meurice s’est revendiqué de l’esprit Charlie : que lui répondez-vous ?

L’esprit Charlie a bon dos. L’esprit Charlie, ce n’est pas une poubelle qu’on sort du placard quand ça vous arrange, pour y jeter ses propres cochonneries. Cette semaine, Charlie a consacré sa couverture à Netanyahou. On n’a pas eu besoin de dire que c’était un nazi ni de préciser qu’il était circoncis pour faire comprendre aux lecteurs ce qu’on en pensait. C’est ça, l’esprit Charlie. C’est plus subtil et plus difficile à maîtriser qu’il n’y paraît.

Comment expliquer que les djihadistes qui passent à l’acte en France restent obnubilés par Charlie et les caricatures ?

Ils détestent toutes les valeurs qui nous semblent des évidences, la République, la liberté d’expression, l’humour, la caricature des religions, parce qu’eux obéissent à une idéologie fasciste, totalitaire et théocratique. Charlie est un élément parmi d’autres.

Est-il encore possible d’avoir un discours laïque auprès de la jeunesse ?

Tout dépend de la méthode. Il faut leur faire comprendre les vertus et le gain de la laïcité, que c’est un contrat social qui protège. À Charlie on a monté une association qui va dans les collèges et les lycées faire de la pédagogie auprès des élèves pour leur expliquer ce qu’est la caricature. Les retours sont bons. C’est le rôle d’un journal d’aller vers les gens, d’ouvrir les horizons. À chaque génération, il faut tout réexpliquer. Mais nous devons rester optimistes, sinon on devient nihiliste et il ne reste plus qu’à se flinguer. [...]"


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