Revue de presse

Richard Malka : « Peter Cherif est accusé d’avoir joué un rôle déterminant dans l’attentat contre Charlie » (Charlie Hebdo, 11 sept. 24)

(Charlie Hebdo, 11 sept. 24). Richard Malka, avocat, Prix national de la Laïcité 2021 16 septembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Le 16 septembre prochain s’ouvrira le procès de Peter Cherif, un des derniers djihadistes d’al-Qaida suspecté d’avoir participé à la préparation de l’attentat qui a frappé notre rédaction le 7 janvier 2015. Cadre de l’organisation terroriste au Yémen, celui qui aujourd’hui dit s’être rangé et pratiquer un islam modéré se trouvait opportunément avec Chérif Kouachi, son ami d’enfance, au moment de la planification de la tuerie. Entretien avec l’avocat de Charlie, Richard Malka.

Propos recueillis par Jean-Loup Adénor

Charlie Hebdo : Pour que nos lecteurs comprennent l’enjeu de ce procès, peux-tu nous expliquer qui est Peter Cherif ?

Richard Malka : Peter Cherif est un ressortissant français membre d’al-Qaida. Il l’a lui-même reconnu, la justice sait qu’il est allé faire le djihad au Yémen, qu’il est parti combattre en Irak, où il a été arrêté. Il y a fait de la prison, il n’est revenu en France qu’après son évasion, c’est là qu’il a été condamné dans le cadre de l’affaire dite de la filière des Buttes-­Chaumont – une filière de recrutement de jeunes djihadistes français qui visait à les faire combattre durant la guerre d’Irak. Il a fui la France avant que le tribunal ne rende sa décision. Il s’est d’abord réfugié en Tunisie, avant de rejoindre le Yémen et al-Qaida.

Dans les faits, Peter Cherif est notamment accusé d’une part d’avoir participé à l’enlèvement de trois humanitaires français et, d’autre part, d’avoir joué un rôle déterminant dans l’attentat qui a frappé Charlie, le 7 janvier 2015. Que savons-nous de ce rôle ? Nous savons que Peter Cherif était un ami de Chérif Kouachi, l’un des deux tueurs. Nous savons qu’ils se sont retrouvés tous les deux au Yémen. Ce que nous savons avec certitude, c’est que Chérif Kouachi a mené l’attentat contre Charlie sur ordre d’al-Qaida au Yémen. Et nous savons aussi que Peter Cherif était justement un cadre de cette branche de l’organisation terroriste.

L’enjeu, c’est de déterminer si Peter Cherif a eu un rôle dans le passage à l’acte des frères Kouachi ?

C’est exact. Quand Chérif Kouachi va au Yémen pour prendre ses ordres et 20 000 dollars, il retrouve Peter Cherif. Celui-ci assure qu’il n’a pas eu la moindre influence sur le djihadiste, qu’il n’a pris part à aucune discussion ni aucun projet préparatoire de l’attentat du 7 janvier. C’est donc tout l’enjeu de ce procès, oui : il doit démontrer que Peter Cherif a bien joué un rôle dans l’organisation de la tuerie et déterminer son implication réelle.

Ce n’est donc pas un nouveau procès qui s’ouvre, mais la suite du procès de l’attentat contre Charlie ?

Pour toutes les raisons que je viens d’exposer, Peter Cherif est renvoyé devant la cour d’assises pour « association de malfaiteurs terroriste ». En réalité, il aurait dû être jugé au moment du procès de l’attentat contre Charlie (qui s’est déroulé de septembre à décembre 2020), avec les autres complices des Kouachi, mais sa femme, ses enfants et lui n’ont été arrêtés à Djibouti qu’au moment où l’instruction de l’affaire du 7 janvier se terminait. Son cas a donc été dissocié du reste du dossier. S’il avait été arrêté plus tôt, il aurait été jugé au même moment.

Que dit Peter Cherif depuis qu’il a été arrêté et rapatrié en France ?

Il n’a pas toujours eu la même stratégie. Quand il est arrivé en France, il a d’abord accepté de parler. Il a raconté qu’il avait abandonné l’islam salafiste et rigoriste pour pratiquer un islam plus modéré, qu’il avait compris ses erreurs. À ­l’entendre, l’islam salafo-djihadiste se fourvoyait, ce n’était pas vraiment l’islam. Ensuite, il a tout simplement décidé de se murer dans le silence. Pendant le procès Charlie, en 2020, il a été auditionné à plusieurs reprises. À chaque question qui lui a été posée, il a répondu en citant le Coran.

En fait, Peter Cherif n’est pas ce qu’on peut appeler un « idéologue ». Il est bien suspecté d’avoir pris une part active dans la préparation opérationnelle de l’attentat du 7 janvier…

Peter Cherif n’est pas un idéologue, non. Ce qu’on lui reproche, c’est bien d’avoir participé à l’instigation de l’attentat, il se trouve donc bien dans la partie opérationnelle, pas seulement dans le discours qui a conduit au passage à l’acte des Kouachi. L’idéologue, dans cette histoire-là, c’est plutôt le fameux Farid Benyettou. C’est lui qui était derrière la filière des Buttes-Chaumont, lui qui va former Peter Cherif, les Kouachi et une flopée d’autres personnes.

On a tendance à oublier que Farid Benyettou a même témoigné au procès de l’attentat du 7 janvier. Il a été condamné dès 2011 à quelques années de prison, mais, à l’époque, on était encore trop souple avec ce type d’affaires et les peines n’étaient pas à la hauteur. Benyettou jure, depuis, qu’il s’est repenti, il dit qu’il a abandonné le salafisme et la prédication. Aujourd’hui, avec du recul et tout ce qui s’est passé en France depuis 2015, on peut vraiment dire qu’il s’en est tiré à bon compte.

Pour toi qui défends Charlie depuis le début et qui as traversé tous ces procès de terroristes, comment considères-tu l’évolution de la justice, de la police ? Et comment ressens-tu l’évolution de la société française sur ce sujet-là ?

Pour ce qui est de la justice et de la police, il y a eu beaucoup de progrès en dix ans. Les autorités ont une bien meilleure connaissance du sujet, une meilleure justesse d’appréciation et une sévérité légitime, que ce soit de la part de la justice ou de la police. Ils disposent aussi de moyens d’action largement enrichis.

En revanche, il faut comprendre que l’idéologie islamiste est, par nature, très difficile à appréhender pour la justice. Et pourtant, au début, avant tout passage à l’acte, il y a toujours le verbe. Avant que les armes ne parlent, il y a des lèvres qui viennent préparer idéologiquement ceux qui vont tuer. Mais on ne répond pas à ça par la police et la justice, dans un État de droit. C’est à nous de leur répondre, c’est à nous de mener ce combat-là. Et c’est parfois difficile en France, face à ceux, et je pense notamment aux responsables politiques, qui sont complaisants à l’égard de l’islamisme. C’est là que la bataille se mène pourtant, c’est le premier combat, le plus important.

Je dois dire que, dans le débat intellectuel, ça a été très compliqué depuis 2015. Je ne vois une amélioration des choses que depuis quelques années. Depuis le procès Charlie de 2020, peut-être, ou depuis la prise de conscience qui a suivi l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Je sens vraiment dans la société française une exaspération de plus en plus importante face à l’idéologie victimaire et culpabilisante qui est développée sans cesse par les terroristes et leurs complices intellectuels.


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