Note de lecture

Retours sur Janvier 2015

par Philippe Foussier, président délégué du CLR. 29 janvier 2016

Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet, Prendre dates, Verdier, 140 p., 4,50 €.
Denis Crouzet, Jean-Marie Le Gall, Au péril des guerres de religion, PUF, 100 p., 12 €.
Jérôme Fourquet, Alain Mergier, Janvier 2015 : le catalyseur, Fondation Jaurès, 128 p., 6 €.

Les attentats barbares des 7, 8 et 9 janvier dernier ont donné lieu à une grande production éditoriale. Il avait été rendu compte dans ces colonnes des très bons livres d’Alexandra Laignel-Lavastine et de Caroline Fourest, notamment.

On pourra, de même, lire avec profit Prendre dates, co-rédigé par l’historien Patrick Boucheron et l’écrivain Mathieu Riboulet (Verdier, 140 p., 4,50 €). Entre deuil personnel éprouvé par les deux auteurs, émotion collective, vision de l’écrivain et analyse de l’historien, ce petit livre fait émerger une crainte, celle de la guerre civile. « Les mots du déni n’ont plus de prise sur le réel : c’est nous, c’est la guerre, c’est ici. Tout, dès lors, se resserre inexorablement comme un piège, puisque c’est du proche que viendra désormais le danger. Ce retournement des choses constitue la logique même de guerre civile. Elle passe par une conversion urbaine. La géographie familière, d’un coup, se laisse gagner par la topographie de la peur ».

En retraçant la vie des tueurs de Janvier, Riboulet et Boucheron soulignent qu’on est loin de la misère sociale qui a parfois été complaisamment mise en avant les concernant : « Voici pourquoi c’est un jour de guerre civile. Voici pourquoi, ce jour là, tous les idéaux, tous les discours, toutes les justifications, tous les réflexes, toutes les habitudes de la gauche antiraciste se trouvent à terre ». L’historien et l’écrivain en appellent à la lucidité : « Il faut se faire à l’idée qu’il y a aussi des Français, de souche comme les autres, pour penser et dire ouvertement de nous, blancs de peau et de peur : « Sale Français ». Guerre civile, disons-nous ».

Les auteurs avouent avoir été longtemps insensibles à la thématique de la laïcité, renvoyant pour eux comme pour beaucoup à des débats datés. Le réveil n’en est que plus douloureux. « Cette année, Mein Kampf tombe dans le domaine public, allez-y voir : généralement, les grands criminels de l’histoire ne surprennent pas leur monde. Ils annoncent ce qu’ils vont faire à l’avance, avec franchise. C’est le cas pour les djihadistes d’aujourd’hui ».

Ce sont aussi deux autres auteurs qui reviennent sur ces événements en les replaçant dans une perspective plus longue à travers Au péril des guerres de religion (PUF, 100 p., 12 €). Denis Crouzet et Jean-Marie Le Gall, tous deux professeurs d’histoire moderne à la Sorbonne, en prenant appui de manière très rigoureuse sur les conflits qui ont traversé la France et l’Europe au nom de Dieu et en récusant ce qu’ils appellent une histoire « guimauve », interrogent : « Faut-il du sang pour secouer l’indifférence, faut-il souffrir à ce point pour sortir de l’apathie, faut-il du malheur pour retrouver le sens du collectif ? ». Crouzet et Le Gall mettent aussi en garde contre une tentation à laquelle ont cédé de nombreux médias en faisant des tueurs des « monstres » comme pour mieux les éloigner de notre quotidien : « Ce ne sont pas des illuminés enturbannés et barbus et ils ont tous les traits du mâle moderne plus que du mal. Jeunes, photogéniques, connectés, mobiles, « modernes », l’identification risque d’être facile pour un certain nombre de semi–adolescents et de jeunes à qui ces « barbares » ressemblent. Des dizaines de milliers de personnes ont tweeté et tweetent sans doute encore « Nous sommes Kouachi ». Le mal –le mot doit venir qualifier ces actes – a le visage d’un homme « normal », banal, médiocre, et non d’un « barbare » ou d’un « monstre ». Ne l’oublions jamais ».

Autre livre, fort utile au décryptage des conséquences politiques des attentats de janvier : celui que proposent le spécialiste de l’opinion Jérôme Fourquet et le sociologue Alain Mergier. Avec force tableaux et cartes, les auteurs de Janvier 2015 : le catalyseur (Fondation Jean Jaurès, 128 p., 6 €) mettent de manière éloquente en lumière comment la France qui n’a pas défilé lors des manifestations des 10 et 11 janvier est celle qui vote le plus en faveur du Front national, contredisant ainsi les assertions douteuses d’Emmanuel Todd, d’ailleurs démontées par tous les analystes sérieux [1]. Ce n’est donc pas une France raciste, de « catholiques zombies » hostiles à l’islam, qui a défilé ces jours-là mais au contraire une France généreuse, ouverte, qui clamait la fraternité et la laïcité comme des valeurs de rassemblement humaniste et d’universalisme. Mais l’originalité principale du travail de Fourquet et Mergier est de démontrer aussi comment les attentats de Janvier viennent s’inscrire dans une sorte de continuum dans lequel l’insécurité, sociale, économique, civique, culturelle a pris une place considérable, générant une anxiété très largement partagée. « Les questions du multiculturalisme, de l’immigration, de l’islam, de la laïcité se trouvent durablement au coeur de tout débat politique », constatent Fourquet et Mergier, qui redoutent qu’à les laisser traiter par le Front national, les partis du champ républicain confirment qu’ils sont en réalité incapables d’y apporter des réponses conformes à la tradition démocratique et sociale de la France. La réponse viendra de là, et uniquement de là car, l’affirment les deux auteurs, « l’attaque du porte-voix ne tarira pas la voix. Bien au contraire ».

Philippe Foussier


Ce texte est paru dans Humanisme n°309, nov. 2015 (note du CLR).


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