8 octobre 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Tandis qu’une centaine de médias signaient une tribune commune pour défendre la liberté d’expression et le droit au blasphème, le New York Times et le Washington Post, entre autres, continuaient de faire montre de lâcheté, de compromissions et de semer la confusion, alors que la chaîne de télé Al Jazeera, elle, poursuivait sa propagande.
Par Inna Shevchenko
« Provoquer les extrémistes n’est pas un geste courageux, si votre manière de le faire offense des millions de gens modérés. Et dans un climat où la réponse violente – bien qu’illégitime – est un risque réel, adopter une telle posture sur un principe que pratiquement personne ne conteste est pire qu’inutile : c’est inutilement une question d’ego », a écrit le rédacteur en chef et producteur exécutif d’Al Jazeera English, Salah-Aldeen Khadr, dans un courriel qu’il a envoyé le 8 janvier 2015 à ses collègues journalistes, leur suggérant la façon de couvrir l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo. Dans ce message destiné au personnel de la chaîne qatarie qui a fuité, le rédac chef insistait pour que les journalistes présentent le massacre de la rédaction française comme un « affrontement des franges extrémistes », renvoyant dos à dos les fondamentalistes islamistes et les collaborateurs de Charlie.
L’appel de la direction d’Al Jazeera a été entendu bien au-delà de sa rédaction. Si, cinq ans après, à la suite des nouvelles menaces contre Charlie émises par al-Qaida et plusieurs États religieux, une centaine de médias français se sont réunis dans un acte de solidarité sans précédent et ont publié une déclaration commune en faveur de la liberté d’expression, nombre de médias étrangers, eux, ont préféré adopter la ligne « pas de vagues ».
« Charlie Hebdo réimprime des caricatures incendiaires » ; « Provocation inutile » ; « Moquerie insultante » ; ou encore cet infantilisant « Charlie Hebdo, une fois de plus ». Voilà les gros titres des médias anglo-saxons qu’on pouvait lire ces dernières semaines. Les appels à republier les caricatures de Charlie Hebdo dans la presse internationale, ou à se solidariser, après les dernières menaces, ont été éclipsés par le silence des uns et les tentatives des autres de conjurer la peur en lançant des accusations et des reproches.
Le New York Times, coutumier du fait, affirme à plusieurs reprises que les caricatures de Charlie Hebdo peuvent être « considérées comme un engagement en faveur de la liberté d’expression » ou « comme une provocation téméraire ». Et le même de souligner également que la décision de republier les caricatures de Mahomet arrive au moment « où la France est marquée par des manifestations contre le racisme ». Bref, le journal estime que le moment est malvenu ; il n’a visiblement pas entendu parler de la tenue du procès des attentats de janvier 2015. De plus, le grand quotidien progressiste semble avoir du mal à faire la différence entre les religions et la « race ». À une autre occasion, une de ses journalistes a fait remarquer que les caricatures de Charlie Hebdo « ont provoqué la colère de certains musulmans », citant en exemple de ces « musulmans offensés » les extrémistes du Pakistan et d’al-Qaida. Qui a parlé de stigmatisation ?
Quant au Washington Post, il n’a rien à lui envier. Il a peut-être même réussi à être à la pointe du journalisme « responsable » en faisant l’apologie de la violence face à des dessins. Dans un de ses articles, il affirme ainsi que « Charlie Hebdo n’est peut-être plus tout à fait ce qu’il était » et suggère péremptoirement que ses dessinateurs prennent « un plaisir particulier à cibler non seulement l’islam en tant que religion, mais aussi les citoyens ordinaires qui sont musulmans ». Selon le quotidien, « le gouvernement a donné carte blanche aux rédacteurs de Charlie Hebdo en raison de l’attentat ». Curieuse conception de l’indépendance de la presse dans une démocratie. Le Washington Post, qui a choisi comme slogan officiel « La démocratie meurt dans l’obscurité », ne publie-t-il que les articles autorisés par le gouvernement américain ? Enfin, il affirme que la « laïcité française » est fréquemment utilisée contre la présence de l’islam dans la vie publique et que Charlie Hebdo « est un acteur régulier, voire principal, de cette guerre culturelle en cours ».
Ce manque de solidarité et cette conception peu regardante de la liberté de la presse exprimée régulièrement dans certains médias outre-Atlantique seraient juste grotesques s’ils n’étaient pas dangereux. Les idéologies extrémistes n’apparaissent pas du jour au lendemain, et personne ne naît fanatique, prêt à tuer pour un personnage mythologique. Pour que le radicalisme s’épanouisse, il faut une certaine forme de permissivité, comme par exemple un environnement médiatique où les actes extrémistes s’expliquent par la « provocation » ou des « sentiments offensés ». Malheureusement, trop de médias défendent encore la liberté d’expression et la liberté de la presse assorties de grands « mais », jouant souvent la même partition que ceux qui prêchent la censure ou des idéologies totalitaires.
Quant à Al Jazeera, propriété de l’État qatari, elle instrumentalise depuis l’attaque terroriste de 2015 le cas de Charlie Hebdo pour promouvoir explicitement son programme politique. Sa couverture de la question allant de la remise en question de la notion et de l’existence même de « l’islam radical » en tant que tel jusqu’à l’affirmation que « les caricatures alimentent les tensions sectaires », en passant par l’éternelle rengaine sur la révélation de la manière dont « l’Occident alimente l’islamophobie ». Ils en sont même arrivés à la dernière extrémité : encenser le pape, lorsqu’il prêche que « la liberté d’expression sans limites est une invitation à céder aux pires pulsions négatives qui opéreront alors comme des virus détruisant les organes vitaux du corps politique ».
Tout en choisissant de ne pas faire état des nouvelles récentes menaces d’al-Qaida contre Charlie Hebdo, Al Jazeera a publié un curieux texte d’opinion, dans lequel l’auteur affirme que « la réimpression des caricatures n’avait pas pour but la liberté d’expression », mais « l’utilisation de ce discours pour réaffirmer la domination occidentale sur les musulmans ». Cette déclaration a été reprise sur les réseaux sociaux d’Al Jazeera English, après l’attaque à l’arme blanche du 25 septembre, rue Nicolas-Appert… "
Lire "Republication des caricatures : les médias anglo-saxons sur la même ligne qu’Al Jazeera".
Lire aussi "Lettre ouverte à nos concitoyens : Ensemble, défendons la liberté" (Charlie Hebdo, 23 sept. 20) dans la rubrique Procès des attentats de janvier 2015 dans Attentats de janvier 2015 (Paris) (note du CLR).
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