Charles Coutel, professeur émérite des universités en philosophie politique, vice-président du Comité Laïcité République. 16 septembre 2015
Quelques constats critiques
Oser parler d’instruction publique et d’élitisme républicain peut paraître suranné si l’on en croit les apprentis sorciers du pédagogisme dominant. Car le pédagogisme diffère sans cesse le moment libérateur de l’instruction. Certains esprits pensent avoir triomphé avec une « réforme du collège » que le ministère de l’Education nationale entend mettre en place en 2016 et qui ne verra sans doute jamais le jour. De plus, quelques discours programmatiques sur l’École tenus par des candidats à l’élection présidentielle de 2017 ajoutent à cette confusion, la doublant d’une approche ultra-libérale et purement gestionnaire. Avec cette conception, c’est l’idée même d’institution scolaire nationale et publique qui s’éteindrait.
Mais nous pouvons et devons réagir car toutes ces réformes précipitées (formation des maîtres, rythmes scolaires, réforme du collège) suscitent la colère des principaux acteurs de l’École publique. La tradition républicaine, avec Jules Barni, fait de la République « l’institutrice du peuple » ; elle est tous les jours bafouée. Or, pour les républicains et les humanistes, l’École, définie comme instruction publique, est le cœur battant de la République. Grâce à elle, chacun peut s’approprier les savoirs et les mots qui vont permettre de continuer ensemble le récit national qui contribue à la grandeur de la France. Il nous faut donc refonder l’élitisme républicain qui entend donner le meilleur à tous en respectant la diversité des talents et des choix de vie. L’élitisme républicain c’est l’exigence et l’effort intellectuel pour tous. Ces évidences héritées des Lumières sont marginalisées et caricaturées par des experts qui s’auto-proclament volontiers pédagogues voire psycho-sociologues.
Que faire ?
Devant le fossé qui se creuse entre le ministère et le Peuple, notamment sur la question des finalités de l’École dans une République, que faire ?
Montesquieu, au cœur des Lumières, est un guide fort sûr : il nous invite à accomplir deux tâches :
Ce travail critique indique pourquoi plus que de « réforme » ou encore de « refondation », l’École républicaine a besoin d’une réinstitution.
Réinstituer, c’est refonder en voulant durer et en mobilisant toute la nation.
Depuis plus de quarante ans, l’École est devenue la chasse gardée de quelques experts inamovibles qui ont totalement investi les cercles du pouvoir politique. Ils ont imposé des réformes catastrophiques généralement rythmées par le calendrier électoral, comme on le voit avec la dramatique « réforme du collège ». Chaque réforme, partielle et précipitée, aggrave la crise et désespère un peu plus les acteurs de terrain que l’on se garde bien d’écouter. Récemment, ce fut le cas pour la réforme de la formation des maîtres qui exige en même temps le suivi d’un master et la préparation d’un concours de recrutement ! À part une période correspondant au milieu des années 1980, des réformes absurdes ont vidé de leurs contenus les programmes d’enseignement. Le tout nouveau hochet de l’interdisciplinarité ferait encore reculer les exigences intellectuelles et disparaître des disciplines (comme le grec et le latin au collège). On amuse la galerie avec un vernis nommé « socle commun », tandis que le système laisse de côté chaque année près de 150 000 jeunes sans qualification et sans vraie maîtrise de la langue française.
De nouvelles urgences
Trois nouvelles urgences géopolitiques et intellectuelles rendent cette réinstitution indispensable.
Alors, l’École publique peut presque tout, comme le confirment, par exemple, les témoignages d’un Péguy ou d’un Camus, admirateurs de leurs instituteurs et de leurs professeurs. Il nous appartient de sortir ensemble de ce long sommeil sociologique qui n’a pas épargné la formation des maîtres et qui commence à gagner l’Université.
S’engager maintenant pour réinstituer
Après Montesquieu, Condorcet est ici un guide avisé. Ce philosophe des Lumières eut en effet à concevoir une instruction publique digne de ce nom, lors de l’institution de la République en septembre 1792. Il nous donne trois conseils pour mener à bien notre tâche de salut public.
L’École de la République nous apprend la République pour la faire progresser. En cela, elle s’ouvre à l’amour de l’humanité, véritable horizon de l’amour des lois et de la Patrie. Condorcet conclut : « Il s’agit d’éclairer les hommes pour en faire des citoyens. »
S’engager pour la République et son École
Nos constats et les perspectives ouvertes par la Révolution de 1789 nous invitent à ne plus nous résigner et à laisser les choses suivre leur cours actuel. Ecoutons une dernière fois Condorcet qui, en 1791, nous appelle à l’action :
« Généreux amis de l’égalité, de la liberté, réunissez-vous pour obtenir de la puissance publique une instruction qui rende la raison populaire, ou craignez de perdre bientôt tout le fruit de vos nobles efforts. »
Face à ces avertissements et ces constats, tous les amis de la République et de l’École doivent agir et se mobiliser, en demandant aux élus un débat solennel de la représentation nationale, et pourquoi ne pas envisager un referendum, précédé d’une grande manifestation populaire exigeant la réinstitution de l’École de la République ?
Faites connaître cet Appel à tous les républicains et dans tous les partis démocratiques.
Ce texte est paru dans Marianne (9 oct. 15) (note du CLR).
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