Revue de presse

R. Glucksmann, J.-P. Le Goff : « En finir avec la gauche la plus bête du monde » (L’Obs, 4 oct. 18)

Raphaël Glucksmann, essayiste, auteur de "Les Enfants du vide" (Allary Editions) ; Jean-Pierre Le Goff, philosophe, sociologue, auteur de "La Gauche à l’agonie   ? 1968-2017" (Perrin). 20 octobre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"DISSENSUS. Pour "l’Obs", l’essayiste et le sociologue ont débattu des vices et des vertus du progressisme. Ils sont tombés d’accord sur un point : l’espoir ne renaîtra que si la gauche se réconcilie avec le réel.

C’est tout un symbole : le Parti socialiste rend les clés, vendredi 12 octobre, de son immeuble historique de la rue de Solférino, dans le 7e arrondissement de Paris, pour emménager en banlieue sud. Ivry-sur-Seine, nouvelle base d’une future reconquête ? L’avenir le dira, mais tous ses sympathisants le savent : la route sera longue. On a suffisamment répété que la gauche de François Mitterrand avait eu le tort de ne pas assumer le tournant de la rigueur, et qu’elle n’avait jamais fait son aggiornamento, son "Bad Godesberg" à l’instar des sociaux-démocrates allemands, et qu’elle avait trop longtemps maintenu dans sa doctrine la référence au marxisme. Que dire alors de l’après-2002 ? Le séisme qu’a constitué l’élimination dès le premier tour de Lionel Jospin et la qualification de Jean-Marie Le Pen aurait dû conduire le PS à une analyse en profondeur de ses causes. Il n’en a rien été.

On connaît la suite. A force d’entretenir la confusion idéologique, faute d’avoir su mettre son discours en cohérence avec la réalité de sa pratique au pouvoir, la gauche est aujourd’hui éclatée, et son identité en lambeaux. Il n’y a pas une ligne de partage, mais plusieurs : sur les causes de la montée des populismes (conséquences de la crise financière ou crispations d’ordre identitaire ?), sur la place du marché et celle de l’Etat, le social, l’écologie, l’universalisme républicain, le communautarisme, sur l’Europe enfin…

Il faudra bien dire pourquoi et comment on en est arrivé là. Le nouveau patron du PS Olivier Faure réclame du reste – en vain ? – un "inventaire du quinquennat" de François Hollande. Jean-Pierre Le Goff, compagnon de route de la "deuxième gauche", et l’essayiste proche de Benoît Hamon, Raphaël Glucksmann, s’emploient à dresser ce bilan et esquisser quelques pistes pour l’avenir. Ce dernier se livre du reste dans son ouvrage "les Enfants du vide" (Allary Editions) à quelques courageux mea culpa. Bref, il faut d’abord en finir avec la gauche la plus bête du monde pour aborder le temps de la reconstruction.

Jean-Pierre Le Goff, dans votre livre La Gauche à l’agonie   ? 1968-2017 [1], vous détailliez les raisons de l’effondrement de la gauche de gouvernement, notamment du Parti socialiste. En est-on toujours au même point   ?

Jean-Pierre Le Goff. C’est la fin d’un cycle historique. Le PS subit le sort qu’a connu le Parti radical après la Seconde Guerre mondiale. Ni la synthèse mitterrandienne ni la "gauche plurielle" de Lionel Jospin ne pouvaient durablement masquer ses incohérences idéologiques internes. Les piliers de la gauche – l’horizon du progrès, la mission historique de la classe ouvrière, l’appropriation collective des moyens de production et la vision rousseauiste de l’homme – se sont désintégrés. Elle s’est alors largement rabattue sur ce que j’ai appelé le "gauchisme culturel", comme un facteur central d’identité, juxtaposé à la question sociale dans la plus grande confusion.

Raphaël Glucksmann. Je suis globalement d’accord, mais je présenterais les choses différemment. Ce que vous appelez le "gauchisme culturel" n’est qu’une des facettes du triomphe de l’individualisme. La révolution néolibérale des années 1980 a façonné un individu se prenant lui-même comme horizon de toute chose. Thatcher l’a dit très clairement en 1981 : "L’économie est la méthode ; l’objectif est de changer le cœur et l’âme." Le logiciel idéologique de la gauche n’échappa pas à la révolution individualiste. La politique fut remplacée par la morale, le souci du bien commun par la quête des droits individuels et de l’épanouissement personnel. Privée d’horizon de transformation sociale, la gauche s’est mise à ressembler au perroquet empaillé de Félicité dans "Un cœur simple" de Flaubert : un totem vidé de toute substance, rongé par les vers. Une machine qui tourne à vide.

J.-P. L. G. Nous ne sommes pas en désaccord sur ce point. La conjugaison de "l’Héritage impossible de Mai-68" [2] avec un chômage de masse a généré une déstructuration anthropologique, à la fois sur le plan social et individuel. Mais la gauche a pris sa part dans la déstructuration de nos sociétés. Précisément parce que le "gauchisme culturel" ne se réduit pas au triomphe du néolibéralisme économique.

R. G. La gauche a pris sa part, mais lui faire porter le chapeau de l’individualisme exonère le libéralisme…

J.-P. L. G. Vous minimisez la responsabilité de la gauche. Non seulement elle n’a pas su résister de manière efficace à la vague néolibérale, mais elle a été à l’avant-garde d’une "révolution culturelle" dans le domaine des mœurs, de l’école et de la culture qui a produit des effets déstructurants et développé la rupture avec les couches populaires. Les générations contestataires de l’après-68 ont été élevées dans un champ de ruines et tentent de se construire une colonne vertébrale qui a des allures de patchwork. Le repli sectaire et la dénonciation réitérée des "réacs" ou des "fachos" masquent mal le vide de la doctrine. Il faut en finir avec la gauche la plus bête du monde.

R. G. Je suis d’accord. Vous remarquerez que j’ai écrit un livre qui explore notre responsabilité à gauche dans cette crise de sens, et refuse justement de dresser des listes d’ennemis à abattre pour justifier notre existence…

J.-P. L. G. Je salue ce progrès   !

R. G. Mon constat est simple : le succès des idées et des livres de Zemmour et de Villiers est moins dû à leur talent qu’à notre propre vide. C’est ce vide qui m’importe, plus que leur propos.

C’est une critique récurrente : la gauche aurait abandonné le social au profit du sociétal, les classes populaires au profit des minorités, et c’est ce qui aurait causé sa perte. Votre avis   ?

J.-P. L. G. La gauche s’est emparée des questions anthropologiques avec la même vision dite "progressiste" d’une marche en avant inéluctable de l’Histoire et un même dédain pour les récalcitrants. Les nouvelles formes du féminisme reposent sur des philosophies de la déconstruction qui sont problématiques : l’être humain n’est pas une "construction sociale" et une pâte à modeler. Il existe bien une condition humaine qu’on ne peut manipuler à loisir, sauf à verser dans le fantasme de la toute-puissance.

R. G. La gauche a eu tort de réduire la politique à des questions sociétales. Je pense à ce responsable socialiste qui confiait dans "Marianne" : "Notre vrai problème, c’est que, dans nos réunions internes, on s’engueule pendant deux heures sur la GPA, et on évacue le smic en cinq minutes." [3] Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’emparer des questions sociétales.

J.-P. L. G. La critique de l’hubris et le "principe de précaution", qu’on invoque tellement en faveur de la nature, me paraissent tout aussi impératifs dans le domaine anthropologique, particulièrement pour ce qui concerne les enfants. Les questions de la place du père et de la filiation sont des questions incontournables. L’intervention de la politique, de l’Etat et de la loi dans des domaines qui engagent la conception de la vie humaine ne me paraît pas, pour le moins, de bon aloi.

R. G. Mais l’Etat se mêle déjà des questions anthropologiques   ! Il affirmait, il n’y a pas si longtemps, que seuls un homme et une femme pouvaient se marier ou avoir des enfants. La loi Taubira n’instaure pas le mariage homosexuel, mais le mariage "pour tous". Elle rétablit la neutralité anthropologique de l’Etat. Même chose sur la filiation.

J.-P. L. G. Je crois au contraire que l’Etat et ses représentants se sont comportés en militants. Autre problème fondamental pour la gauche : le passage d’un antiracisme universaliste à un antiracisme communautariste et ethnique. Le moment "black, blanc, beur" m’est resté en travers de la gorge. On a été jusqu’à exposer un moulage du crâne de Lilian Thuram à côté de celui de Descartes ! C’était une sorte de réponse inversée aux expositions racistes de jadis qui utilisaient la morphologie comme preuve de l’existence de races inférieures.

R. G. L’antiracisme ne peut pas en effet remplacer la question sociale. On confond trop souvent le cosmopolitisme, qui cherche à construire un corps politique uni à partir d’origines sociales, ethniques ou religieuses différentes, et le multiculturalisme, qui valide et entretient le morcellement de la République. Notre objectif doit être de recréer un récit commun, non pas une multitude de récits séparés. En ce sens, je suis profondément cosmopolite et le resterai contre vents et marées, tout en récusant la tentation différentialiste.

Au fond, votre désaccord porte sur le rôle accordé à la politique...

J.-P. L. G. La gauche a fait porter une mission prométhéenne à la politique. Dans ce domaine, je me sens plus proche d’Albert Camus, l’un des rares intellectuels français antitotalitaires de gauche, qui écrivait : "Le grand malheur de notre temps est que justement la politique prétend nous munir en même temps d’un catéchisme, d’une philosophie complète, et même quelquefois d’un art d’aimer"…

R. G. C’est la grande différence. La politique vise à transformer la société, à inverser l’ordre des choses. Cette idée, longtemps le cœur de la promesse républicaine et le moteur de la gauche, est en crise. Le progressisme des années 1990 et 2000 s’est contenté d’accompagner les évolutions du monde. La gauche doit rompre avec le progressisme d’accompagnement qui fut hier celui de Blair ou Clinton, aujourd’hui celui de Macron, qui réduit la politique à un discours de VRP sur les évolutions technologiques et sociales. Mais, pour cela, nous avons besoin d’un horizon tragique. Pour ébranler les intérêts établis, il faut être habité par l’idée que la politique est une question de vie ou de mort.

Il nous faudrait "une bonne guerre" ?

R. G. D’une certaine manière, oui. Il faut un horizon tragique pour changer les choses. Les grandes avancées progressistes sont intervenues dans des périodes de troubles ou de conflit. Aujourd’hui, c’est le réchauffement climatique qui redonne ce sens du tragique. Tout peut prendre fin. Prendre au sérieux l’écologie, c’est reprendre au sérieux la politique. Comme disait le poète Hölderlin : "Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve."

J.-P. L. G. Cela me fait penser au titre du livre de René Dumont, le premier candidat écologiste : "l’Utopie ou la Mort   !", paru en 1973. Mieux vaut "un avenir positif discernable et la vie" !

R. G. En fait, notre désaccord est générationnel. Mes parents sont nés dans un univers saturé de sens et de dogmes, ils devaient se libérer des mythes révolutionnaires ou nationalistes. Devenir libéral, comme vous, quand on a été cerné par les idéologies collectivistes, est un acte d’émancipation. Le monde dans lequel je suis né, moi, n’est pas saturé de sens, il en est vide. Si je veux réfléchir librement, de quoi dois-je me libérer   ? Pas des dogmes ou des mythes de jadis, mais de mon enfermement en moi-même. Je dois réapprendre à m’oublier. C’est un mouvement de balancier : au XXe siècle, la politique a souvent pris trop d’espace, aujourd’hui, elle n’en prend pas assez. Elle laisse la société se désagréger, le lien civique s’effacer.

Comment redonner ce goût de la politique lorsque la défiance à l’égard des institutions est si grande   ?

R. G. Aujourd’hui, les électeurs se révoltent et votent pour "reprendre le contrôle". C’était le mot d’ordre des brexiteurs, mais aussi de l’AfD en Allemagne ou de Matteo Salvini en Italie.
Pour éviter de basculer dans l’autoritarisme, il est nécessaire de renforcer la conception active de la citoyenneté, de résorber la coupure entre les institutions et les citoyens. C’est l’objectif d’une démocratie participative. Dans "la République moderne", Pierre Mendès France disait en substance : être citoyen, ce n’est pas seulement déposer un bulletin dans l’urne…

J.-P. L. G. Oui, mais Mendès France écrit son livre en 1962, alors qu’il existait un cadre solide : une conception de la République, une vision positive de l’avenir, et des "forces vives de la nation" représentées par les syndicats et les associations d’éducation populaire. Nous sommes aujourd’hui dans une situation inversée. Et la gauche n’y est pas pour rien. Dans les années 1970, les intellectuels de gauche ont projeté sur de nouveaux acteurs sociaux leurs rêves messianiques : les étudiants, les lycéens, les femmes… Dans une France morcelée, la gauche a valorisé, de fait, une légitimité "d’en bas" supposée plus "authentique" que la représentation élue au suffrage universel. Depuis un demi-siècle, on nous répète que mille initiatives éclosent dans la société et qu’il faut partir de là pour régénérer la politique. On se paie largement de mots et on attend toujours… Vos propos sont proches de ceux de Benoît Hamon, mélange de radicalité et de restes autogestionnaires de la deuxième gauche, ce qui aboutit à un méli-mélo entre la société civile et l’Etat. Nous vivons dans une société bavarde où l’on croit que l’on a transformé le monde quand on a beaucoup parlé.

R. G. Certaines expériences de démocratie participative fonctionnent comme à Kingersheim, en Alsace. Il faut élargir cela. Le gouvernement sans le peuple ne fonctionne pas.

J.-P. L. G. La prise en compte de l’intérêt général par les élus de la nation ne se confond pas avec la démocratie locale, aussi importante que soit cette dernière. L’Etat doit retrouver sa verticalité et sa cohérence, et arrêter d’invoquer sans cesse la "société civile" ou le "désir de participation" comme pour mieux se défausser de ses responsabilités.

R. G. Je suis d’accord sur un point : une gauche cotonneuse a entretenu l’idée que tout peut se résoudre par la concertation. Or, il faut assumer le conflit. Oui, la politique doit retrouver son autorité, mais ce sont davantage les lobbys économiques qui la minent que la démocratie participative, qui n’a rien d’un bavardage…

La désaffection des citoyens vient aussi de leur sentiment que les décisions sont prises par une Union européenne sur laquelle ils n’ont guère de prise…

J.-P. L. G. Là aussi, la gauche a pratiqué la fuite en avant. Pour moi, la nation insérée dans l’Union européenne et ouverte sur le monde reste le lieu central de la démocratie et d’une histoire commune. Une "identité narrative" en changement permanent épouse ce monde fluide et renforce le désarroi des peuples européens.

R. G. Il en va de l’identité comme de la souveraineté. On peut parfaitement ressentir des identités multiples et exercer une souveraineté qui se décline à différentes échelles : au niveau local, national et européen. A supposer, bien sûr, que l’Europe soit plus démocratique.

J.-P. L. G. Le multiculturalisme invertébré noie tout dans l’indistinction et les différents niveaux de citoyenneté ne sont pas équivalents. Quant à une Europe plus démocratique, qui est contre   ?

R. G. Tous les prétendus "souverainistes", qui pensent qu’il n’y a de souveraineté qu’à l’échelle nationale, sont contre. Or la lutte contre le réchauffement climatique, le terrorisme et les abus des multinationales ne peut pas se mener dans un seul pays. On a trop souvent défendu l’Union européenne avec des arguments qui ne sont plus opérants, du type "souvenez-vous des tragédies passées". Or, ce sont les tragédies à venir, ou déjà en cours, qui redonnent un sens au projet européen.

Autrement dit, les conséquences du réchauffement climatique   ? L’écologie politique est centrale dans votre livre…

R. G. Oui, l’écologie refonde la politique comme entreprise de transformation sociale. Les libéraux nous accusent d’être de doux rêveurs. Mais le rêve le plus fou est le leur : penser que le marché va résoudre le problème qu’il a créé.

J.-P. L. G. Il faut distinguer les problèmes écologiques réels (réchauffement climatique, énergies, biodiversité, déchets) de l’"écologisme" et du bricolage écolo-religieux-identitaire. L’écologisme porte un messianisme inversé, annonçant la grande catastrophe. Comme les marxistes avant eux, les pratiquants de cet écologisme ont un système global d’interprétation du monde et sont persuadés de détenir les clés de la marche de l’Histoire. Ils ne cessent d’en appeler à un "changement d’imaginaire" radical. Certains sont fascinés par des spiritualités diffuses qui ramènent l’homme à un "élément d’un grand tout" et "une espèce parmi d’autres", en rupture avec l’idée d’une dignité première de l’être humain comme être d’interrogation et de liberté, doté de raison, élément central de notre héritage civilisationnel européen. Les effets de l’hubris ne doivent pas nous le faire oublier.

R. G. Le véritable écolo, ce n’est pas un mystique benêt   ! Il prend la mesure du risque en s’appuyant sur des données scientifiques. L’écologie suppose d’abandonner le mysticisme d’un progrès linéaire et inévitable.
Vous avez posé la question du changement de paradigme par rapport à la civilisation occidentale. La vision de l’homme séparé de la nature et de l’ensemble du vivant a permis un développement culturel et social pendant cinq siècles, mais aboutit aujourd’hui à une aporie. Tout l’enjeu de l’écologie est de réinscrire l’homme dans son environnement. Vous parlez de raison, mais ce qui est irrationnel, c’est de penser qu’on peut continuer à vivre sans changements radicaux.

J.-P. L. G. Où placez-vous le seuil de cette radicalité   ? La question est celle de la décroissance. Parler de "crise" et des "dégâts du progrès" est une chose, mais je ne jette pas par-dessus bord les idées de croissance et de progrès qui ne se confondent pas nécessairement avec la démesure.

Raphaël Glucksmann, un chapitre de votre livre [4] s’intitule "l’Archipel des ghettos" dans lequel vous constatez le "vivre-séparé". Faites-vous un lien entre cette situation et l’immigration   ?

R. G. Je récuse le lien direct établi par beaucoup entre le morcellement de la République et l’arrivée des migrants. C’est notre conception de la société qui est en question. Si une société exprime clairement un bien commun, parvient à dégager un horizon collectif et à proposer des structures collectives, l’intégration se fera. Dans le cas contraire, on court à l’implosion sociale, qu’on accueille, ou non, l’"Aquarius". Le migrant est aujourd’hui le bouc émissaire d’autres problèmes. Mais la gauche doit sortir de l’illusion qu’on peut faire de l’affirmation de la différence une nouvelle défense du prolétariat mondial et rétablir un questionnement sur toutes les forces centrifuges de la société. Je dis bien toutes, pas seulement l’islamisme. Ce qu’il faut, c’est rétablir un récit commun.

J.-P. L. G. Dans un récit commun, il y a des dominantes qui sont liées à un héritage dont la laïcité est partie intégrante. Or la gauche, qui a versé dans une vision noire et pénitentielle de notre histoire, a été à l’avant-garde de la mésestime de soi. Des hommes de gauche se sont assis sur leurs idéaux d’émancipation et il existe bien un islamo-gauchisme. La gauche a tendance à considérer les représentations et les croyances comme de simples effets de l’infrastructure économique et sociale. C’est aussi pour cette raison qu’elle est largement demeurée aveugle sur les dangers de l’islamisme.

R. G. La gauche post-idéologique ne parvient plus à identifier la force des idéologies. Nous avons déduit de l’horreur communiste qu’avoir la moindre idée allait produire le goulag et nous avons cessé d’en avoir. Il était dangereux de croire que la politique pouvait tout refonder et créer un homme nouveau. Mais il est tout aussi dangereux de penser aujourd’hui qu’elle ne peut plus rien. De ce point de vue, je pense que vous n’êtes plus de gauche. Vous ne croyez plus que la politique puisse inverser les structures de domination dans la société. Je ne me résoudrai jamais à cela. Sinon, l’idée républicaine s’éteindrait à mes yeux. Mais après tout, personne n’est obligé d’être de gauche.

J.-P. L. G. Je suis républicain et je ne comprends pas qu’on puisse en douter. La vérité et la morale n’appartiennent pas à un camp. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les défis civilisationnels auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Je n’ai plus de "surmoi" de gauche, mais j’ai toujours une sensibilité de gauche en matière sociale. Mon parcours, comme formateur en milieu ouvrier, ainsi que mon engagement militant qui n’étaient pas simplement intellectuels et idéologiques en témoignent.

Propos recueillis par Carole Barjon, Sylvain Courage, Rémi Noyon et Timothée Vilars."

Lire ""En finir avec la gauche la plus bête du monde" : le débat Raphaël Glucksmann - Jean-Pierre Le Goff".

[1Editions Perrin, 2017.

[2"Mai 68, l’héritage impossible", La Découverte, 1998. Le dernier ouvrage de Jean-Pierre Le Goff, "la France d’hier", a paru aux éditions Stock en février 2018.

[3Lire "Gauche GPA et France Nutella" (Renaud Dély, marianne.net, 1er fév. 18) (note du CLR).

[4"Les Enfants du vide. De l’impasse individualiste au réveil citoyen", Editions Allary, 2018.


Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques "Gauchisme culturel", Chasse aux “nouveaux réacs” (note du CLR).


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