par Thierry Martin 26 décembre 2022
[Les échos "Culture" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
N’écoutez pas, Mesdames !, de Sacha Guitry, mise en scène de Nicolas Briançon, avec Michel Sardou, Nicole Croisille, Lisa Martino, Carole Richert, Patrick Reynal, Eric Laugerias, Jacques Marchand, Laurent Spielvogel et Dorothée Deblaton, théâtre de La Michodière Paris (IIe), du 12 sept. 2019 au 5 jan. 2020.
Daniel est seul en scène au lever de rideau au milieu d’un décor qui ressemble à une boutique d’antiquaire. S’étant assuré qu’il est bien le seul en scène, il s’adresse résolument au public. (C’est ce qu’on appelle le quatrième mur.)
Peut-on encore monter une pièce de Sacha Guitry après #MeToo ? Michel Sardou a pris le risque de revenir sur scène au théâtre, dans la comédie de boulevard "N’écoutez pas mesdames" de Sacha Guitry, mise en scène par Nicolas Briançon. Pur divertissement certes, mais le texte est plus fin qu’on pourrait le penser, parce qu’avec Guitry c’est du GRAND Boulevard. Misogyne ? « Oui, je suis contre les femmes, tout contre. »
La première tirade se poursuit ainsi :
"N’écoutez pas mesdames", monté à partir du 12 septembre 2019 sur la scène du Théâtre de la Michodière à Paris avant la pandémie, a été diffusé dernièrement à la télévision.
Le rôle principal, incarné par Guitry lui-même lors de la création de la pièce en 1942, revient donc à un autre artiste connu pour son parlé sans filtre : Michel Sardou. Le chanteur populaire a raccroché le micro pour les planches, et campe le personnage de Daniel Bacheley, antiquaire jaloux, qui soupçonne sa deuxième épouse de l’avoir trompé.
Les quiproquos, malentendus et manipulations s’enchaînent, et le public accroche à la dramaturgie bien ficelée. Au fond, il ne se passe pas grand-chose dans cette pièce (la principale tension se met en place et se démêle dans le dernier acte – le dernier acte justement, nous y venons), et pourtant on s’amuse tout de même.
Guitry écrit dans Théâtre je t’adore : « Jules Renard disait que tout auteur dramatique était responsable de ses actes – et je me permettrai d’ajouter : surtout le dernier acte.
La plupart des sujets que nous portons à la scène, en effet, ne sont pas de nous. Ils nous ont été suggérés par quelque événement qui s’est produit, jadis ou récemment, dont nous avons été témoin, ou bien le confident, et nous devons en imaginer l’issue.
D’ordinaire c’est là que les ennuis commencent.
Les drames, dans la vie, ne se terminent pas par un rideau qui tombent, et rien, en vérité, n’est fini tout à fait.
Là, nous devons finir, nous devons même en finir. Il nous faut engager notre responsabilité, prendre part coûte que coûte, donnant tort ou raison au personnage principal d’une pièce qui devient nôtre tout à coup. (…) Ne pouvant plus laisser agir [nos] personnages, [nous sommes] contraints de les faire penser. »
Souvent l’auteur s’échine en vain à tout vouloir expliquer et met sur le compte du cœur tout ce qui lui paraît inexplicable. Un sentiment, une lettre reçue dont on n’avait pas fait état, un élan spontané, des aveux murmurés ne sont que malices cousues de fil blanc.
« Oh ! Vers minuit moins…, que de crimes littéraires sont commis en ton nom, soudaine sensibilité de nos personnages ! »
Le personnage central de "N’écoutez pas mesdames", cet homme si méprisant envers les femmes, n’est-il pas finalement le seul dindon de la farce ? Il est à la fois celui qui essaie de manipuler par excès de zèle, et celui qui se trouve trompé par son propre orgueil. La pièce montre qu’à aucun moment les personnages féminins, tant décriés par le personnage campé par Sardou, ne méritent les critiques qui leur sont faites.
Sur scène, le rythme emporte tout. Nicolas Briançon fait virevolter les personnages autour d’un Michel Sardou moins bougon que dans ses rôles précédents, qui se frotte à un classique qui avait connu Sardou père, après des comédies de boulevard de Eric-Emmanuel Schmitt ou Eric Assous, et qui maîtrise parfaitement le rythme de ce texte ardu, marqué par un long monologue d’entrée en scène dont, avec l’extrait qui suit, vous n’en connaitrez que le premier tiers.
Daniel toujours à l’adresse des spectateurs poursuit son monologue : « Je profite en ce moment du fait que je suis seul pour vous dire ces choses – confidences de personnage à spectateurs – et rien de plus. Mais sitôt que quelqu’un paraîtra, je cesserai brusquement de m’adresser à vous. Vous ne m’en voudrez pas, je pense – et vous comprendrez que je ne veuille pas leur donner à tous, ici, le mauvais exemple – car je les connais : ils ne manqueraient pas de le faire à leur tour – ils en abuseraient peut-être – et je préfère en tout cas m’en réserver le privilège. (…) »
« M. René Benjamin a eu bien raison de dire qu’il était notre Molière, écrit Paul Morand dès 1922. Il y a longtemps que je voulais le dire. J’hésitais. Est-ce bête ? je savais pourtant bien que je dirais juste. M. Benjamin n’a pas hésité. Il l’a dit. Il a dit juste. Si le théâtre (…) a pour objet d’intéresser en amusant, de faire rire en peignant la vie, de faire réfléchir en montrant les travers et les ridicules, cela sans discours, sans tirade, sans pathos, sans thèse, par le jeu des répliques et le caractère des personnages, avec clarté et vérité – et le vrai théâtre est cela sans conteste -, M. Sacha Guitry est le premier auteur dramatique d’aujourd’hui. »
Nous courons tous après la définition de l’identité française, trop abstraite, trop universaliste, trop purement républicaine, à tel point qu’on serait tenté par un retour à la terre, au localisme, à l’écologisme même si le fédéralisme des provinces de France de Maurras n’est jamais loin. Or avec Sacha Guitry nous l’avons l’identité française.
Sans même aller chercher chez Charles Maurras une terre qui ne ment pas dont même nos écologistes, sinistres peines-à-jouir, se sont emparés ; avec le parti d’en rire de Sacha Guitry nous touchons ce je ne sais quoi, ces riens qui prennent sous sa plume la fantaisie la plus plaisante, une cocasserie qui paraît inventée et qui apparaît tout de suite pris dans la vie même.
Partant de Molière en passant par Marivaux, dans les textes de Sacha Guitry nous retrouvons l’âme de l’identité française qui s’appelle dans le monde entier l’esprit français.
Thierry Martin
Comité Laïcité République
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