Inna Shevchenko, militante féministe ukrainienne, Prix international de la Laïcité 2017. 4 décembre 2020
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Fausses nouvelles et désinformation semblent être devenues les deux mamelles d’un certain journalisme américain « progressiste ». C’est particulièrement flagrant dans la façon dont les médias anglo-saxons ont couvert les récents attentats terroristes en France, vus à travers le seul prisme de leurs propres obsessions « culturelles ».
par Inna Shevchenko
L’expression « culture wars » (« guerres culturelles ») est entrée dans le vocabulaire politique aux États-Unis au début des années 1990 et, depuis, a été utilisée pour décrire la polarisation politique spectaculaire sur des questions culturelles clés, telles que la religion, les droits des femmes et des LGBTQ, la censure, etc. Les « guerres culturelles » américaines ont pris une importance particulière ces dernières années, avec la montée du trumpisme d’une part, et celle de l’extrême gauche obsédée par le politiquement correct d’autre part. Ce phénomène s’est maintenant emparé des médias anglo-saxons, les forçant à l’homogénéité idéologique et, par conséquent, à la censure des voix dissidentes.
« Les histoires sont choisies et racontées de manière à satisfaire le public le plus restreint, plutôt que de permettre à un public curieux de lire sur le monde et de tirer ensuite ses propres conclusions », a écrit la journaliste Bari Weiss dans sa lettre de démission du New York Times. La « cancel culture », affirme-t-elle, a pénétré les salles de rédaction des médias progressistes aux États-Unis, réduisant au silence les journalistes qui osent exprimer des idées contraires au politiquement correct. Le départ de Weiss fait suite à celui d’un autre rédacteur en chef du New York Times, James Bennet, qui a été prié de quitter le journal après avoir publié une tribune d’un sénateur républicain appelant à l’intervention de l’armée pour arrêter les violents manifestants du mouvement Black Lives Matter.
Ces guerres culturelles ont traversé l’océan Atlantique pour atteindre le Royaume-Uni. Ce phénomène a déjà touché l’un des plus importants journaux britanniques, le Guardian. Suzanne Moore, journaliste primée et pionnière féministe, a récemment été contrainte de quitter son poste sous la pression de 338 collègues, qui ont signé une lettre contre un article dans lequel elle déclarait que, si le genre est une construction sociale, le sexe biologique ne l’est pas. Cela a provoqué une protestation de la rédaction, et certains ont même affirmé que ce « contenu transphobe » interférait avec leur travail dans le journal. « Qu’ai-je donc fait de si terrible ? » écrit Suzanne Moore. Et d’expliquer les raisons de sa démission : « Je suis sortie de l’orthodoxie. »
L’orthodoxie idéologique, la propagande et la censure appartenaient autrefois aux médias de droite, qui cherchaient à satisfaire leur lectorat. Aujourd’hui, ceux de gauche, perçus comme « progressistes », commencent eux aussi à les pratiquer. Avec une sensibilité particulière sur des sujets spécifiques : la race, la religion et la sexualité. Toute opinion qui remet en question le discours dominant des militants d’extrême gauche concernant ces questions risque d’être prohibée. Cette nouvelle tendance met de nombreux progressistes dans une position difficile : alors que nous sommes tous prêts à soutenir les voix antiracistes, LGBTQ et les minorités, il reste impossible pour beaucoup d’entre nous d’approuver la censure des voix critiques, car nous comprenons le danger et les dommages durables que de telles options représentent pour la démocratie et la liberté d’expression.
Ce militantisme outré de la part de ces rédacteurs vire parfois à l’absurde, puisqu’ils deviennent eux-mêmes victimes de ces méthodes. C’est le cas par exemple de Glenn Greenwald. Ce journaliste américain d’extrême gauche – qui est surtout connu pour avoir publié les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse par le gouvernement américain – a dû démissionner début novembre du magazine en ligne The Intercept, le média qu’il avait cofondé en 2014. « Les éditeurs de The Intercept, en violation de mes droits contractuels de liberté éditoriale, ont censuré un article que j’ai écrit […], refusant de le publier à moins que je ne supprime tous les passages critiques à l’égard du candidat démocrate à la présidence Joe Biden […] », explique Greenwald sur son blog. Il souligne que le problème n’était pas spécifique à The Intercept et a reconnu que les médias américains sont maintenant « pris dans une guerre culturelle polarisée qui force les journalistes à se conformer à des récits tribaux, de pensée de groupe, qui sont souvent déconnectés de la réalité […] ».
Si l’on peut voir dans cette tendance de la presse américaine une tentative de réparer les dommages causés par le racisme et la misogynie de Donald Trump, ces journalistes n’hésitent toutefois pas à regarder le reste du monde à travers le prisme de leurs propres obsessions culturelles. C’est ce que révèle la couverture particulièrement troublante dans la presse anglo-saxonne des récents attentats terroristes en France et de l’assassinat de Samuel Paty. Refusant de comprendre le principe de la laïcité française et de reconnaître l’idéologie dangereuse de l’islamisme, ces médias ont soit blâmé les victimes, critiquant par exemple la décision du professeur de montrer des caricatures en classe, soit suggéré que ces attentats sont une conséquence directe de l’« islamophobie institutionnelle » du pays, tout en privilégiant leurs opinions personnelles par rapport aux faits réels.
Ainsi, Karen Attiah, du Washington Post, a annoncé à ses 200 000 followers sur Twitter que la France était sur le point d’adopter une nouvelle loi qui attribuerait des numéros d’identification spéciaux aux enfants musulmans. Ces élucubrations sur le « néonazisme français » se sont répandues en quelques minutes, forçant certains responsables français, dont l’ambassadeur de France au Pakistan, à nier publiquement ces fausses informations. Quelques heures plus tard, Karen Attiah s’est « excusée », en déclarant que ces informations étaient « incorrectes », tout en précisant qu’il est insensé d’ignorer la discrimination et la souffrance des musulmans en France… Et, comme preuve de l’« islamophobie d’État » dans l’Hexagone, elle a partagé des extraits de la chaîne de télé Al Jazeera, propriété du Qatar, et a fait référence aux écrits de Rokhaya Diallo.
« La démocratie meurt dans l’obscurité » est le slogan officiel du Washington Post, où travaille donc Karen Attiah. Oui, la démocratie meurt dans l’obscurité créée par l’ignorance des faits, le tribalisme idéologique et la censure des idées impopulaires."
Lire "Politiquement correct : quand la presse américaine ressemble à la Pravda".
Voir aussi dans la Revue de presse les rubriques Presse anglo-saxonne, New York Times (note du CLR).
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