21 janvier 2016
"La polémique autour de l’Observatoire de la laïcité ne désenfle pas. Elle est même en train de prendre au sein du PS. Il fallait s’y attendre. Depuis les attentats de janvier 2015, alors même que dans les rangs socialistes montait une volonté de débattre, la discussion n’a jamais été possible. Le socialistes en payent aujourd’hui le prix. Retour sur une année de perdue.
C’est une polémique qui ne cesse d’enfler et en dit long des divergences sur le principe de laïcité au sein du Parti socialiste. Déclenché il y une semaine par les critiques de Nicolas Cadène (le bras droit de Jean-Louis Bianco à la tête de l’Observatoire de la laïcité) contre les propos de la philosophe Elisabeth Badinter qui défendait une laïcité sans concession, le débat continue de faire rage. Après les appels à la démission contre Jean-Louis Bianco, le soutien affiché de Manuel Valls à la philosophe, c’est Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement qui a apporté dernièrement sa contribution, dénonçant au sujet des agressions de Cologne, une gauche traversée par "un féminisme d’origine anglo-saxonne, qui exalte l’idée du communautarisme dans la société". Au sein du PS, certains se sont offusqués de ces différentes prises de position. Le député des Français de l’étranger Pouria Amirshahi s’est ainsi ému dans le Monde des propos de Manuel Valls,"un scandale absolu", qui traduisent selon lui un "glissement de Manuel Valls vers l’identitaire". Une confrontation de ligne qui ne date pas d’hier. Loin de là.
"Au Parti socialiste, ils ont effectivement un sacré examen de conscience à faire sur leur engagement laïque", tançait ainsi Jean-Luc Mélenchon, une semaine après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, dans un entretien accordé à Marianne. Et de préciser sa critique : "Ils ne savent plus comment on articule les idées, quel rapport il y a entre la laïcité, la République, la laïcité et l’égalité sociale. Le Parti socialiste est passé entièrement sur la ligne "démocrate" de déconflictualisation de la politique. En fait c’est un déni des conflits qui travaillent la société. S’ajoute à cela, une récupération émotionnelle des concepts religieux que l’on peut qualifier de "socialisme compassionnel", expliquait-il. Simple peau de banane adressée à ses anciens "camarades" ? Pas vraiment. Au sein même des rangs socialistes, les attentats de janvier avaient agi comme un électrochoc. On s’interrogeait aussi.
Jérôme Guedj, alors encore président du Conseil Général de l’Essonne, que nous avions rencontré fin janvier, encore sous le coup de l’émotion - Amedy Coulibaly avait grandi dans son département - était particulièrement troublé. "Et moi maintenant au conseil général, je fais quoi ?", répétait-il, sans cesse, lors de cet entretien. Une chose était sûre pour lui, il fallait opérer un véritable réexamen de conscience des élus locaux "pour en finir avec les complaisances locales avec la laïcité pour éviter des conflits". Mais il constatait aussi, désemparé, qu’il serait impossible d’agir avant de se mettre d’accord sur une ligne claire et précise : "Il faut qu’il y ait un socle commun on est d’accord ? Et que l’on soit intransigeant. Sauf que le problème aujourd’hui, c’est que la laïcité, c’est un peu l’auberge espagnole". Terrible aveu.
Malek Boutih, le 25 janvier 2015, au micro de France Inter y allait, lui, plus franco : "La gauche doit se remettre en cause profondément (…) Il faut arrêter la délégation à des autorités locales qui sont, soit au mieux débordées, soit complices. [Les élus locaux] s’arrangent avec la réalité ou ils participent de cette réalité pour avoir un petit paquet de voix aux prochaines élections" [1]. Une dénonciation sans gants de ce "socialisme municipal" que brocardait aussi, sous le couvert de l’anonymat, un membre du bureau national du PS. Une critique également partagée par Razzy Hammadi, député de Seine-Saint Denis, qui nous confiait, en cette période post-attentat que "certains ont flatté le communautarisme pour les objectifs électoraux" avec la volonté de récupérer un hypothétique "vote musulman". S’il s’empressait de préciser que ce débat "ne concerne pas que le PS", cet ancien proche de Benoît Hamon passé dans l’écurie Bartolone, en appelait pourtant "à une véritable réflexion" au PS sur certains sujets comme la question de l’organisation et le manque de représentativité du CFCM, le Conseil français du culte musulman.
Sauf qu’au lieu de s’emparer de ce débat, le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, fit de son mieux pour le passer à la trappe. Le 21 avril, à la suite d’un communiqué du PS qui avait jeté le trouble chez les élus socialistes - il encourageait "le développement de l’enseignement privé confessionnel musulman" (sic) - un bureau national extraordinaire avait été convoqué. Résultat, des discussions très convenues, sans aborder le fond, débouchant sur cette réflexion aussi bateau que possible du patron du PS : "Nous sommes convenus de revenir au texte de ce qu’est la laïcité, à savoir la capacité de croire ou de ne pas croire et d’être respecté pour cela". C’est un peu court jeune homme… Quelques semaines plus tard, les divergences éclataient de nouveau au grand jour à l’occasion de l’examen du projet de loi déposé par les Radicaux de gauche sur l’extension du principe de laïcité dans les crèches et les centres de loisirs subventionnés par l’Etat.
Philippe Doucet, député socialiste du Val d’Oise et ancien maire d’Argenteuil, lui-même décrit dans un reportage d’Envoyé spécial comme faisant partie de ces élus fâchés avec les principes de la loi de 1905 [2], avait eu cette formule auprès du Monde pour résumer la situation au PS : "Aujourd’hui, il y a trois lignes au PS : d’un côté les laïcards historiques, francs-maçons, qui considèrent que les religions nous emmerdent ; de l’autre ceux qui considèrent que la laïcité est un prétexte pour stigmatiser les musulmans ; et au milieu, la ligne Aristide Briand, qui tente d’incarner un consensus." Ce terme de "laïcards", utilisé dans le temps par l’extrême-droite, avait provoqué des remous.
Lors de la fameuse réunion du 21 avril à Solférino, le député Jean Glavany, défenseur infatigable de la laïcité, avait par ailleurs voulu alerter ses camarades sur l’OPA opérée par le parti de Marine Le Pen, en contradiction totale avec son histoire d’ailleurs, sur cette pierre angulaire de l’édifice républicain : "Face à cette offensive, la gauche est souvent trop désemparée et donc inefficace, parce qu’elle n’est pas sûre de ses valeurs, qu’elle n’a pas toujours les idées claires et qu’elle est soumise à des courants internes qu’elle n’a pas su arbitrer". Sinon, comment expliquer que des socialistes, comme le parlementaire Pouria Amirshahi, se retrouvent à manifester le 31 octobre dernier à cette "Marche de la dignité", chapeautée indirectement par le PIR, le Partie des indigènes de la République, ces obsédés du philosémitisme d’Etat dont le projet politique et idéologique est de provoquer au sein de la gauche un remplacement du concept de la lutte des classes par celui de la lutte des races ? Une participation qui avait gêné jusqu’à l’entourage du député. "Le PIR est totalement infréquentable. C’est un adversaire comparable au FN, réagissait ainsi un élu socialiste de l’aile gauche du PS. On ne doit rien avoir à faire avec le PIR." [...]"
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