Remise des Prix le 2 novembre 2016 à la Mairie de Paris

Prix de la Laïcité 2016. Discours du Pr Étienne-Émile Baulieu, lauréat du Prix Sciences et laïcité

3 novembre 2016

C’est mon activité de « médecin qui fait de la Science » qui me vaut ce prix assez particulier de la Laïcité. J’en suis heureux et fier et je voudrais, en quelques mots, dire le pourquoi de ma gratitude.

Mes deux champs de recherche principaux s’attaquaient à 2 phénomènes naturels, la grossesse et le vieillissement. Comme médecin mon désir a toujours été de soigner, comme chercheur mon ambition a toujours été de comprendre et de maîtriser la matière vivante. Dans les deux cas il s’agit de refuser la fatalité de la nature pour donner à chacun la possibilité de choisir, choisir le moment de sa grossesse, choisir de conserver ses facultés mentales jusqu’à un âge avancé.

Les hormones, et en particulier les hormones sexuelles, ont été mon objet et mon outil de travail, pour mettre au point une méthode médicale plutôt que chirurgicale du contrôle de la grossesse, qui soit à la fois sûre et facile, protectrice de la femme et de son intimité. S’en sont suivies des polémiques parfois violentes, pour des motifs qui n’étaient jamais médicaux. L’invention du RU 486 qui mettait par une simple pilule à la disposition des femmes et d’elles seules, la décision de poursuivre ou non une grossesse a heurté les religions pour qui le projet de vie d’un futur enfant doit d’emblée être sacré. La vision scientifique du début de la vie est celle d’un continuum dont la fécondation n’est qu’une étape. La religion contre la Science ? Dans ce domaine comme dans d’autres, la Science n’impose pas, elle permet. Elle ne dit pas ce qui est bien, seulement ce qui est possible. Mais, et c’est sans doute à mes yeux la première et la principale caractéristique de la laïcité, c’est de laisser à chacun son libre arbitre. Chaque religion veut imposer sa vérité à tout l’ordre social. La laïcité c’est d’abord une confiance en l’Homme, l’homme ou la femme bien sûr.

Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au vieillissement, notamment à travers la DHEA, j’ai de la même manière, été critiqué par la Ministre de l’époque, de vouloir lutter contre le vieillissement alors que selon elle il fallait l’accompagner socialement plutôt que vouloir éviter ses effets. Rien de directement religieux sauf une référence à un ordre immuable et sacré, un état de nature préférable à une intervention de l’homme. Une sorte de principe de précaution généralisé, méfiant a priori vis à vis du progrès.

Aujourd’hui je travaille sur une méthode originale pour prédire, prévenir et je l’espère soigner la maladie d’Alzheimer et autres démences séniles liées à l’âge. Et c’est dans les choix collectifs de notre pays que je remarque que la priorité est celle de l’accompagnement social des malades et de leur famille. Aucun projet de recherche Alzheimer, ni le mien ni ceux de mes confrères et compétiteurs n’a été retenu pour le financement de la recherche publique par l’ANR cette année. Les plans Alzheimer vont au social pas à la recherche pour éviter ou résoudre le problème. Cette soumission à la fatalité et ce refus implicite du volontarisme scientifique me paraîssent du même ordre que l’opposition à la laïcité.

La Science est souvent une révolte, que j’appellerais volontiers laïque, contre les limitations subies par les hommes.

Est ce que pour autant il faut considérer que la Science ne doit rencontrer aucune limite et ne se confronte jamais à rien de sacré ? Est ce que pour autant le type de promesse et de recherche incroyablement osées du Transhumanisme doit être dénoncé ou encouragé ?

Oui selon moi il y a du sacré et la Science peut et doit rencontrer des limites. Mais ces limites ne peuvent être que celles de la Société des Hommes, Société démocratique, qui à chaque moment de son histoire établit des normes et des limites. Des limites peuvent être fixées non pas à la connaissance mais à l’usage des découvertes, comme par exemple les limitations aux manipulations génétiques ou au clonage. C’est sans doute aussi à la communauté des savants qu’il revient de réfléchir aux limites à poser à ses propres travaux.

Oui la vie est sacrée et des limites doivent être posées à la Science. La laïcité est une liberté responsable et elle accompagne le progrès et la Science.



Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris

Tous droits réservés © Comité Laïcité RépubliqueMentions légales