Président du Comité Laïcité République. 2 novembre 2016
Monsieur le Premier Adjoint à la Maire de Paris, cher Bruno Julliard,
Mesdames, Messieurs les anciens ministres, parlementaires, élus, préfets, recteurs, ambassadeurs, présidents et représentants d’associations amies, militants, citoyennes et citoyens, chers amis,
Vous êtes 845 à vous êtes inscrits à cette cérémonie, originaires de toutes les régions de France mais aussi de Belgique, du Royaume-Uni, de Suisse, du Maroc, d’Uruguay, d’Algérie, d’Iran. Par votre présence aussi massive, vous témoignez mieux que de longs discours de la vitalité de la famille laïque.
Vous êtes si nombreux qu’il n’est plus possible de citer toutes les personnalités et associations ici représentées. Leurs noms défileront sur l’écran. Que nous pardonnent, par avance, ceux qui auront échappé à notre sagacité ! A vous tous, je souhaite la bienvenue.
Comme j’aurai l’honneur de le faire dans un petit moment en recevant le Premier ministre.
Mes premiers mots s’adressent à vous cher Bruno Julliard pour vous remercier d’accueillir la XI° cérémonie de remise des prix de la Laïcité, organisée par le Comité Laïcité République. Nous connaissons votre engagement en faveur de la laïcité. A travers vous, nous souhaitons également remercier Mme la Maire, Anne Hidalgo, qui en nous recevant à nouveau dans ce haut lieu chargé d’histoire confère à cette manifestation une dimension toute particulière. Nous y sommes très sensibles.
En votre nom à tous, je souhaite saluer particulièrement les parents de Charb. Charb, le directeur de Charlie Hebdo, notre ami, qui présida le jury du Prix de la laïcité en 2012. Charb qui, à cette tribune, avait prononcé ces mots d’une étonnante actualité : “J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent.”
L’an dernier, avec audace, le jury avait distingué le pianiste turc Fazil Say, condamné à la prison dans son pays, et Samuel Mayol, le directeur de l’IUT de Saint-Denis. Depuis, tous deux ont été blanchis des accusations que certains entretenaient parfois méchamment contre eux. Nous nous en réjouissons avec eux.
Nous formons des vœux pour la démocratie en Turquie et nous saluons Samuel Mayol qui a surmonté avec courage une rude épreuve.
Cette année, sur proposition de l’ancien président du jury, Jean-Pierre Changeux, que je salue, il a été décidé, à côté du “Grand Prix international” et du “Grand Prix national” de créer un troisième prix, intitulé ”Sciences et laïcité” rappelant que, dans la lignée des Galilée, Copernic, Giordano Bruno, la laïcité, c’est aussi le combat pour l’émancipation des savoirs.
Le jury du prix a travaillé avec rigueur. Je souhaite remercier tous ses membres et les féliciter pour la qualité de leurs travaux. Cette année, le jury est présidé par Joseph Macé-Scaron, président du comité éditorial de Marianne. Je veux le remercier pour le temps, l’énergie et la gentillesse dont il a fait preuve. Je ne résiste pas au plaisir de le féliciter pour son dernier ouvrage, un livre fort intitulé L’horreur religieuse qui sort aujourd’hui aux éditions Plon.
La laïcité est de retour. Mais elle a retrouvé sa place dans le débat politique au prix d’une telle confusion qu’on peut craindre pour la paix sociale comme pour les principes qui fondent la République.
Sous l’influence d’une certaine extrême gauche, la laïcité est accusée d’être « colonialiste », « raciste », « islamophobe » dès lors qu’elle postule que la République garantit les mêmes droits et exige les mêmes devoirs pour tous les citoyens, quelles que soient leurs appartenances religieuses ou philosophiques.
La confusion est si dense qu’un grand quotidien national du soir a publié récemment une tribune intitulée « le fondamentalisme laïque menace la France » [1] ! Quelques mois après les massacres dont la France a été à nouveau la cible, le 14 juillet à Nice, à Saint Etienne du Rouvray avec l’assassinat de Jacques Hamel, prêtre de 86 ans...
Quelle perverse version de l’arroseur-arrosé !
Du côté de l’extrême droite, on a assisté à un véritable détournement de la laïcité [2]. L’Histoire témoigne que ce mouvement politique a toujours défendu une identité française bien peu laïque : blanche, catholique, apostolique et romaine. Il s’agit, pour elle, de stigmatiser les musulmans, d’instrumentaliser les peurs pour récupérer l’électorat populaire. Et d’exercer une pression idéologique sur les partis conservateurs.
Entre les deux, des intellectuels ont voulu affubler la laïcité de qualificatifs, soi-disant pour la moderniser, l’adapter aux temps nouveaux, mais qui ne visaient qu’à la vider de sa substance. Ainsi fut-elle invitée à devenir « moderne », « nouvelle », « ouverte » et, plus récemment, « inclusive », « apaisée » voire même, « concordataire ». Un superbe oxymore papiste !
La confusion intellectuelle a gagné le monde politique et la laïcité divise désormais la Gauche et la Droite. Alors que la laïcité doit s’appliquer à tous, la mise en scène de faux débats conduit à opposer ceux qui voudraient interdire le voile sans toucher à la croix à ceux qui s’en prennent à la croix mais ne veulent surtout pas toucher au voile !
Une partie de la droite file le train à l’extrême-droite dans la stigmatisation des musulmans. Une partie de la gauche dérive d’accommodements dits « raisonnables » en renoncements coupables.
On oublie que la Laïcité ne se réduit pas à un débat juridique sur le domaine d’application de la loi. Elle est fille des Lumières et cristallise quatre grands principes plus que jamais d’actualité : l’émancipation des êtres humains et des savoirs, la liberté de conscience, l’égalité des droits – en premier lieu entre hommes et femmes – , l’universalisme. Ces principes ont pris corps avec la Révolution française. Ils ont pris forme juridique dans la loi de 1905 de séparation des églises et de l’Etat. Ils sont inscrits dans le préambule de la Constitution qui stipule que « la France [toute la France et non pas seulement les services publics] est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Ils ne sont pas négociables.
La laïcité est le fruit d’une longue suite de combats qui ont nécessité courage et détermination. Elle ne fut pas l’aimable synthèse d’un dialogue courtois avec l’Eglise mais le compromis d’un dialogue complexe entre républicains. Une telle audace serait-elle impossible aujourd’hui pour préserver la laïcité ?
L’école publique, laïque est le lieu « sacré » de la République. Depuis Condorcet, c’est le creuset où l’on instruit les enfants, non à devenir des blancs, des noirs, des jaunes, des rouges ou des verts, mais des citoyens libres et responsables, capables de penser par eux-mêmes.
La laïcité à l’école a été conquise de haute lutte. Mais, de loi Debré en loi Carle, quel bond en arrière ! Sa mission d’instruction est désormais soumise à la pression de plus en plus vive des communautarismes que relevait, avec gravité, le rapport Obin dès 2004. Politiquement incorrect, on l’enterra ! C’est pourquoi, réinstituer l’école de la République [3] constitue désormais la priorité des priorités.
Depuis, les revendications différencialistes ont franchi le seuil des écoles, des crèches, des universités, des hôpitaux, des entreprises, des prisons et ont gagné des quartiers de nos cités.
S’opposer au communautarisme, ce n’est pas contester la liberté d’individus à se retrouver par affinités électives, de langues, de cultures, de religions, de convictions philosophiques et à se rassembler en associations ! Mais c’est refuser que l’égalité en droit et la liberté de conscience, principes fondateurs de la République, soient remis en cause par des revendications différencialistes qui exigent de plus en plus de dérogations à la loi commune, des accommodements puis des droits différents.
La prophétie de Régis Debray se réalise : le droit à la différence enfante du retour à la différence des droits.
Les premières victimes en sont toujours les femmes. C’est pourquoi la situation des femmes constitue partout le baromètre le plus sûr de la démocratie. Et c’est pourquoi les femmes ont pris la succession des instituteurs dans le combat laïque. Les femmes sont les nouveaux « hussards noirs » de la laïcité.
Mais la confusion est telle que, détournant le combat des féministes historiques, certaines militantes communautaristes revendiquent un droit à porter le voile partout alors que des millions de femmes dans le monde risquent leur vie pour le droit à ne pas le porter !
Que quelques jeunes femmes mises en avant, souvent fraichement converties, y voient l’expression d’une singularité choisie est vraisemblable. Mais cet arbrisseau cache la forêt d’un prosélytisme identitaire de grande envergure qui voudrait prendre en otage tous les musulmans et renégocier avec la République ses principes constitutionnels, en particulier la loi de séparation. Alors que l’objectif de la République laïque est de faire en sorte que les musulmans soient traités comme des citoyens parmi les citoyens, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que tous les autres.
A ceux qui pratiquent le déni et affirment qu’il n’y a pas de problème de laïcité en France [4], à ceux qui réduisent mécaniquement la déchirure culturelle à sa seule dimension sociale, qui légitiment les revendications communautaristes les plus rétrogrades, à ces faux amis de la laïcité qui ont lancé ce concept sournois d’“islamophobie”, afin d’interdire toute critique de l’islamisme radical, à ceux qui détournent l’anti-racisme et confondent parfois bourreaux et victimes, qui sont frappés de cécité devant le risque d’affrontements entre communautés chauffées à blanc, il faut dire qu’ils se trompent lourdement et sèment une périlleuse confusion. Ils prétendent lutter contre l’extrême-droite. A leur corps défendant, ils en font le lit.
Le retour du religieux en politique ne concerne pas que les liens entre islam et République. L’assaut mené en Pologne – et nous pourrions citer de nombreux autres pays – contre la contraception, contre l’IVG, contre le mariage pour tous, devrait conduire les démocrates à la plus extrême vigilance. Les récents propos du pape François sur les manuels scolaires français ne sont pas plus rassurants.
L’affaire de l’installation de crèches dans les mairies nous inquiète également. Le Conseil d’Etat pourrait prochainement donner le feu vert, au prétexte qu’il s’agirait de culturel et non de cultuel ! Culturelle la Nativité, cœur du christianisme ? Culturel, le lieu où l’Eternel est censé se faire homme ?
Ce serait une inacceptable concession au lobby de la “catho-laïcité” et une lourde provocation ! Comment expliquer à des jeunes perdus entre plusieurs identités que le voile n’a pas sa place à l’école mais que les crèches l’auraient dans des bâtiments administratifs !
La voix des associations laïques doit être mieux entendue. Un signe symbolique mais positif émane du Sénat qui vient de voter l’abrogation du délit de blasphème qui perdure en Alsace-Moselle. Espérons que les députés confirmeront. Mais, au-delà, il y a tant à faire !
A quelques coudées de l’élection présidentielle, la laïcité redevient un enjeu central, car elle seule peut permettre de faire vivre autant de singularités dans la paix sociale et dans la démocratie, dans la liberté et dans l’égalité.
La laïcité est au service d’une France qui n’a pas de race, pas de couleur, pas de religion. Une République généreuse, qui ouvre à toutes et à tous la voie de l’émancipation, de la citoyenneté et de la Fraternité.
Tel est le sens de notre engagement.
Encore un mot pour remercier le cabinet de la Maire de Paris, les personnels techniques de la Mairie, l’équipe du CLR qui, autour de notre secrétaire générale Florence Sautereau et de notre président exécutif, Jean-Pierre Sakoun, ont permis la réussite de cette cérémonie.
Merci à tous.
Et maintenant, je cède la parole au Président du jury 2016, Joseph Macé-Scaron.
[1] Lire J.-P. Sakoun : « Qousque tamdem abutere Khosrokhavar, patientia nostra ? » (15 sep. 16) (note du CLR).
[2] Voir “Ils ont volé la laïcité”, par Patrick Kessel (éd. Gawsewitch-Balland, 2012) (note du CLR).
[3] Lire aussi Réinstituons maintenant l’École de la République (C. Coutel) (note du CLR).
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