11 avril 2017
"L’hebdomadaire satirique a demandé aux prétendants à l’Elysée de s’engager à ne pas modifier les grands équilibres de la loi de 1905.
Les questions sont assez banales. Les réponses, en revanche, en disent beaucoup. Fin février, le journal satirique Charlie Hebdo appelait dans ses colonnes les onze candidats à l’élection présidentielle à s’engager sur trois points : ne pas modifier la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, ne pas introduire dans la législation « des aménagements particuliers à l’égard d’une communauté religieuse » et ne pas « créer un délit de blasphème ». L’objectif ? Ramener la laïcité, un sujet brûlant relativement absent de la campagne, au cœur du débat politique et faire des réponses des candidats « un repère pouvant servir de référence si demain, ils changeaient de direction », explique Riss, directeur de la publication de l’hebdomadaire, qui publiera les réponses dans son édition du mercredi 12 avril.
François Asselineau (Union populaire républicaine), Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France), Jacques Cheminade (Solidarité et progrès), Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste, NPA), Jean Lassalle (ex-MoDem) n’ont pas répondu à cet appel. Les six autres candidats ont pris leur plume. « Tous s’engagent à ne pas modifier les équilibres existants, c’est plutôt rassurant », se félicite Riss. Au-delà du consensus sur les grands principes (séparation des Eglises et de l’Etat, liberté d’expression), leurs mots reflètent des visions de la laïcité très distinctes. Pour le sociologue et historien des religions, Philippe Portier, elles se divisent en trois catégories.
Les partisans d’une « laïcité séparatiste » d’abord. Ainsi le candidat de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et la représentante de Lutte ouvrière (LO), Nathalie Arthaud, pour lesquels la loi de 1905 ne doit s’accommoder d’aucune relation entre le public et le privé. Ce sont les seuls à évoquer le financement public des écoles confessionnelles privées, autorisé par la loi Debré de 1959. « Pour eux, c’est toute la loi de 1905 et rien que la loi de 1905, résume le sociologue. Tout ce qui a été rajouté ensuite, par diverses lois, dont la loi Debré, brise l’égalité de tous devant l’Etat. » Proposer clairement l’abrogation de ces lois n’est pourtant pas à l’ordre du jour.
Le second groupe, composé d’Emmanuel Macron et de Benoît Hamon, est favorable à « un modèle de séparation accommodante », selon l’historien des religions. Très prudents, leurs textes n’ont rien de percutant. « Hamon ne prend pas beaucoup de risques et Macron ne se montre pas très audacieux », estime Riss. N’empêche, ils rejettent toute « instrumentalisation » de la loi en vue de stigmatiser une communauté et partagent le même esprit de compromis, notamment par le dialogue. « Dans la pratique, rappelle le candidat PS dans sa réponse, beaucoup de problèmes de coexistence ont pu être réglés dans le dialogue ou le rappel des principes. » Macron, lui, souligne que « chacun a bien sûr le droit fondamental de vivre et d’exprimer ses convictions ». Pour Philippe Portier, « ce qu’ils n’affirment pas clairement en dit long : tous deux acceptent certains accommodements de fait, mais pas question pour autant de les formaliser ».
François Fillon et Marine Le Pen prêchent, quant à eux, pour une « laïcité identitaire », selon le sociologue. Le premier évoque un socle de « valeurs communes », la seconde parle de promouvoir « l’assimilation républicaine ». « Une façon de faire référence à l’identité chrétienne de la France, mais sans la nommer, sur laquelle pèse la menace du communautarisme musulman », explique Philippe Portier. « C’est le discours classique des catholiques de droite, juge Riss. Fillon réagit comme un catho militant plus que comme un garant de la loi de 1905. »
Croix de bois, croix de fer, tous deux jurent qu’ils ne toucheront pas à la loi de 1905, mais, chacun, dans la même phrase, ouvre la porte à de nouveaux textes législatifs. Ainsi, la candidate du Front national veut « promouvoir la laïcité (…) et [la] rétablir partout, l’étendre à l’ensemble de l’espace public et l’inscrire dans le code du travail ». De son côté, le candidat Les Républicains, le seul à nommer précisément le « fondamentalisme musulman particulièrement préoccupant », entend « conforter ce cadre juridique qui permet aux croyants, aux agnostiques et aux athées de vivre dans le respect des uns et des autres ».
Si personne ne se risque à briser le consensus de principe sur la loi de 1905, c’est que, comme l’a écrit François Bayrou (sollicité avant de renoncer à se présenter) : « Le moindre coup de canif donné au principe de laïcité est comme manipuler de la nitroglycérine. » Mais pour Riss, le précédent de la déchéance de la nationalité, vivement débattu après les attentats de 2015, montre que rien n’est acquis : « Personne n’avait anticipé qu’un principe fondateur de la Constitution puisse être remis en cause. Mais face à des événements exceptionnels tels que des attentats, nous ne sommes pas à l’abri que certains principes de la loi de 1905 soient également questionnés un jour. »"
Lire "Présidentielle : « Charlie Hebdo » sonde les candidats sur la laïcité".
Lire aussi "Laïcité. Charlie demande aux candidats de s’engager" (Charlie Hebdo, 22 fév. 17), C. Fourest : "Ces promesses de laïcité" (Marianne, 7 av. 17), Elections 2017 : "Les candidats ne sont plus "Charlie"" (G. Konopnicki, Marianne, 31 mars 17), "Présidentielle 2017 : quelles laïcités défendent les candidats ?" (France Culture, "Les Matins", 14 fév. 17), "Le piège de la « lutte contre l’islamophobie »" (Lutte de classe, Lutte ouvrière, fév. 17), "Mélenchon, encore un effort pour être populaire !" (E. Conan, Marianne, 2 déc. 16) (note du CLR).
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