Avec la participation du CLR

Rapport 2013-2014 du Collectif des associations laïques : "Pour une meilleure application de la laïcité en France" (26 juin 14)

26 juin 2014

"La France n’a jamais connu autant de tensions et de revendications identitaires qu’aujourd’hui et par conséquent, elle n’a jamais eu autant besoin de la laïcité. Une laïcité qui ne prétend pas résoudre toutes les questions économiques, d’intégration, de sécurité, de logement et de santé qui participent de la fracture sociale.

Mais une laïcité, consubstantielle à la République, qui doit permettre à tous les citoyens, quels que soient leurs origines, leur couleur, leur sexe, leurs appartenances philosophiques ou religieuses, de vivre ensemble en garantissant leur liberté de conscience et l’égalité des droits.

A cette fin, la laïcité garantit à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, de vivre selon ses préceptes pourvu qu’ils respectent les principes fondateurs de la République et la loi. La laïcité est un principe de liberté. Elle n’interdit pas, elle sépare l’Etat et les Eglises.

La laïcité donne corps au principe de citoyenneté. La République ne reconnaît aucun culte, aucune communauté, mais des citoyennes et des citoyens qui tous participent de la Nation et dont l’identité n’est réduite ni à une couleur de peau, ni à une religion, ni à une idéologie mais comporte une éthique commune : la dignité de chacun, le respect mutuel, la liberté et l’égalité des droits et devoirs pour tous.

En ce sens, la laïcité participe à la lutte contre tous les racismes et toutes les formes de ségrégations économiques, sociales ou culturelles. Elle est au cœur d’une indispensable volonté de donner plus de sens aux notions de fraternité et de solidarité.

Elle n’est donc pas, comme veulent le faire croire certains de ses détracteurs, synonyme d’interdits et de restrictions liberticides. Bien au contraire elle permet, s’appuyant sur la raison, l’émancipation de l’individu, y compris par rapport à sa communauté d’origine. Elle est un art du vivre-ensemble.

Dans une période caractérisée par la montée de l’extrême droite et du communautarisme qui s’entretiennent mutuellement, la laïcité se révèle comme un outil indispensable à la démocratie, à l’unité de la Nation et à la paix sociale.

Le collectif des associations laïques a procédé, au cours de l’année à un large examen de la situation. Il a pris acte des dispositions positives adoptées par le gouvernement : mise en place de l’Observatoire de la Laïcité, révision des lois de bioéthique, mariage pour tous, charte de la laïcité à l’école publique... Le collectif demande que ces premières avancées soient confirmées avec fermeté.

Beaucoup reste à faire. Le collectif constate en effet qu’il existe des problèmes dans l’application de la laïcité en France. Certains ne sont pas nouveaux. D’autres, tels ceux liés à la montée de revendications communautaristes, doivent conduire à envisager des dispositions nouvelles et dans certains cas une adaptation de la législation.

Il a étayé ses réflexions et propositions à partir de plusieurs études, rapports et auditions [1]. En conclusion de ses travaux, le Collectif estime qu’il ne serait pas acceptable de taire ces questions et appelle la représentation nationale à s’en saisir afin d’étudier sereinement, dans le dialogue, les solutions nécessaires.

Les principales difficultés identifiées portent sur les thèmes suivants :

1. Mettre fin aux contournements de la loi de 1905

La loi de séparation des Eglises et de l’Etat, dite loi de 1905, sur laquelle repose essentiellement la laïcité en France (en dehors du préambule de la Constitution) est une loi de compromis, d’une étonnante modernité.

Elle affirme d’abord la liberté de conscience et garantit la liberté de pratiquer un culte ou de n’en pratiquer aucun. Elle respecte les philosophies et convictions religieuses, sans n’en privilégier aucune, et garantit la neutralité de l’Etat par la séparation des Eglises et de l’Etat.

Elle permet « l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle » selon la formule de Victor Hugo.

Les deux premiers articles qui constituent le Titre premier, disposent notamment : “La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes” (art 1), “La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte” (art 2).

Après des années de tentative de réécriture, de “toilettage” de la loi [2], le candidat François Hollande s’était engagé à faire respecter ces principes en inscrivant ces derniers dans la Constitution. Cette mesure avait été souhaitée par le Collectif afin notamment, de mettre un terme au contournement de l’article 2 par les collectivités locales, qui subventionnent de plus en plus souvent des lieux de culte, des associations ou activités cultuelles.

Le Collectif a néanmoins pris acte de ce que le Conseil Constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de l’interdiction de « salarier » les cultes, mais non de celle de les « subventionner » [3], ce qui laisse la porte ouverte au contournement de la loi.

Le Collectif avait rappelé dans un manifeste que l’Etat a mission de faire appliquer la loi de séparation et non d’encourager le financement des cultes. Or, le qualificatif « culturel » sert souvent de faux-nez à des locaux, associations et pratiques « cultuelles » (par exemple le Conseil Régional du Culte Musulman de Rhône-Alpes subventionné par la Ville de Lyon).

Le Conseil d’Etat, de son côté, s’est engagé ces dernières années dans une interprétation très extensive de l’article 2 de la loi de 1905, multipliant les dérogations à ses dispositions. Ce fut notamment le cas avec la notion « d’intérêt public local », aux contours pour le moins malléables.

Le Collectif demande qu’un état de tous ces financements soit établi par la puissance publique et que des principes clairs soient arrêtés afin de mettre un terme aux financements publics attribués aux cultes qui encouragent et banalisent le communautarisme.

Le Collectif demande également l’abandon intégral des dispositions de la circulaire Guéant du 21 avril 2011 qui commande aux préfets de mettre en place des commissions départementales de la liberté religieuse ; ces dernières, en contravention avec l’article 2 de la loi de 1905, aboutissent à reconnaître et à réintroduire officiellement les institutions religieuses dans les instances de la République.

2. La crèche Baby-Loup : nécessité de légiférer

« L’affaire Baby-Loup » témoigne à elle seule des problèmes nouveaux posés à la laïcité en France, en particulier ceux liés à la montée des revendications communautaristes.

Les conclusions contradictoires des plus hautes instances juridiques nationales témoignent de sa complexité. La poursuite de la procédure contentieuse, engagée depuis plus de cinq ans, sera-t-elle de nature à régler la question au fond ?

Sensible aux réflexions de l’ex-mission laïcité du HCI [4] et à l’existence d’une proposition de loi en la matière [5], le Collectif estime [6] qu’une intervention législative est indispensable, pour permettre aux organismes privés de réglementer éventuellement la manifestation des convictions religieuses de leurs salariés, dans le domaine de la petite enfance ; l’enfant a droit à une éducation laïque, c’est-à-dire dégagée de tout conditionnement [7].

3. Ecole publique et loi Carle

L’accroissement progressif des financements publics à l’enseignement privé a été aggravé par l’adoption, sous l’ancien quinquennat, de la loi "Carle" le 28 octobre 2009.

Le Collectif déplore que lors de l’examen de la Loi de 2013 sur la refondation de l’Ecole, les amendements visant à abroger les dispositions de la loi Carle aient été écartées par le Gouvernement.

Soucieux des devoirs de l’Etat d’assurer l’égalité des citoyens, il réclame également que soit créée une école publique dans les communes et regroupements de commune qui en sont toujours injustement dépourvues (500 en 2011 là où existent pourtant des écoles privées sous contrat).

Le Collectif a soutenu l’action du ministre de l’Education Nationale en faveur de l’enseignement laïque de la morale à l’école publique. Il a approuvé la publication de la Charte de la laïcité à l’école, l’obligation faite aux écoles de l’afficher. Il souhaite que soit poursuivi cet effort en veillant à ce que les enseignants l’utilisent effectivement comme support pédagogique ; il insiste pour qu’elle soit également affichée dans les écoles privées sous contrat.

La formation des enseignants constitue un enjeu majeur : le collectif s’est prononcé en faveur de l’introduction de modules obligatoires de droit, d’histoire et de philosophie de la laïcité dans les ESPE. Au-delà, c’est à l’élaboration et la mise en œuvre d’un vaste plan de formation des cadres des différentes fonctions publiques qu’il conviendrait de s’atteler [8].

Le Collectif réclame également le respect du monopole de la collation des grades par l’Université et l’abrogation des accords conclus par les précédents gouvernements avec le Vatican.

4. Université

Le Collectif a constaté la montée des revendications communautaristes à l’Université ; il estime que les douze propositions du rapport de l’ex-mission Laïcité du HCI méritent d’être étudiées par la représentation nationale [9].

5. Concordat, régime dérogatoire des cultes, blasphème, statut scolaire local, cours de religion en Alsace-Moselle

Le Collectif estime que les principes de la loi de 1905 ont vocation à être appliqués sur tout le territoire national [10]. Il est possible d’appliquer la loi de 1905 sans toucher aux autres aspects (notamment sociaux) du droit alsacien et mosellan. Il a appuyé en ce sens la lettre des associations laïques d’Alsace-Moselle à François Hollande, candidat à l’élection présidentielle.

Le Collectif a adopté un rapport remis au Président de la République, demandant la mise en place d’une commission parlementaire, sur le modèle de la commission Stasi, pour définir les conditions d’une sortie graduelle et négociée du statut dérogatoire en matière de cultes [11].

Dans un premier temps, le Collectif demande la suppression de l’enseignement religieux obligatoire à l’école publique en Alsace-Moselle ; il demande également au plus tôt l’abrogation de la loi sur le blasphème encore en vigueur. Le Gouvernement et le Parlement doivent mettre fin à cette anomalie scandaleuse dans une République laïque [12].

6. Montée des revendications communautaristes dans les entreprises

La montée des revendications religieuses et communautaristes dans les entreprises est une réalité inquiétante pour le vivre et travailler ensemble. La situation est complexe et le Code du travail actuel ne permet pas de trouver des solutions d’apaisement satisfaisantes. Une initiative récente d’une entreprise privée mettant en place une charte intérieure de la laïcité, votée à l’unanimité par le personnel vise à prévenir ces difficultés nouvelles nées des revendications identitaires. Cette initiative mérite le soutien attentif de toutes les forces laïques et républicaines pour l’expliquer et l’étendre en cas de besoin.

Le Collectif a pris note avec intérêt, du rapport de la mission laïcité du HCI et de ses propositions [13]. Il estime dangereux de laisser durablement chaque entreprise régler à sa façon la question, au risque de créer des disparités importantes, aussi souhaite-t-il qu’un débat à ce sujet soit sérieusement ouvert comme la mission laïcité du HCI l’avait proposé dans son rapport de septembre 2011.

Dans le secteur public, le Collectif a constaté avec inquiétude la montée des difficultés liées aux revendications communautaristes, en particulier dans le secteur hospitalier.

7. Sport et laïcité

Les atteintes au principe de laïcité ont gagné le secteur sportif. Le Collectif a constaté les manquements à la neutralité dans les compétitions sportives [14], dérives affectant le sport tant au niveau national qu’international, contrevenant aux principes de neutralité politique et religieuse et de non-discrimination inscrits dans les règlements sportifs notamment dans la Charte Olympique.

Parmi ces dérives, le collectif dénonce : le port ostensible des signes et tenues religieuses, la multiplication d’expressions religieuses parfois imposées par des Etats.

Alors que les autorités sportives n’hésitent pas à faire respecter la règle commune y compris en appliquant des sanctions en cas de manquement [15], le Comité International Olympique et la FIFA ont accepté une dérogation à la règle de neutralité en permettant le port par les sportives de certains pays d’un costume répondant aux critères islamiques.

Le Collectif avait saisi de ce sujet l’Observatoire de la laïcité en mai-juin 2013 et a été auditionné le 3 décembre 2013 ; il approuve la position courageuse de la FFF soutenue par le Ministère en charge du sport quant au respect de la neutralité dans ce domaine.

8. Diverses propositions en faveur de la laïcité

Le Collectif attend du gouvernement qu’il prenne les dispositions nécessaires en vue :

  • du dépôt d’une loi instaurant une journée nationale de la laïcité, le 9 décembre de chaque année.
  • de la confirmation de la circulaire de mars 2012 sur la neutralité requise pour les parents d’élèves participant à l’encadrement de sorties scolaires.
  • de la bonne application de la loi de 2004 sur l’interdiction du port ostensible des signes religieux à l’école publique.
  • de la réouverture du débat sur le droit de mourir dans la dignité pour mettre les textes législatifs en accord avec les souhaits de la majorité des Français.

9. Europe

Le Collectif s’inquiète de l’interventionnisme actif des églises et des lobbies conservateurs auprès des institutions européennes, comme en témoignent les récentes tentatives à l’encontre de l’interruption volontaire de grossesse et du droit à la santé des femmes.

Il demande que la recommandation de la Commission, d’abroger le délit de blasphème dans les droits nationaux, soit appliquée par tous les Etats membres de l’Union Européenne.

Il rappelle que les Etats doivent garantir aux citoyens de l’Union européenne et des Etats membres du Conseil de l’Europe les droits individuels, tels que consignés dans la Convention européenne des droits de l’Homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; ces droits, notamment les droits des femmes et l’égalité homme-femme, ne sauraient être remis en cause pour des raisons fondées sur des préceptes religieux.

En conclusion. La laïcité représente un atout essentiel dans la période actuelle d’extrême confusion ; elle ne saurait être instrumentalisée, détournée, exploitée par des forces populistes. Elle est essentielle à la paix sociale et à l’unité de la Nation ; elle est la clef de voûte de la République et de notre démocratie.

Liste des associations membres du Collectif laïque signataires :
Arab Women’s Solidarity Association France (AWSA), CAEDEL/Mouvement Europe et Laïcité, Association des Libres Penseurs de France (ADLPF), Association Européenne de la Pensée Libre - Ile-de-France (AEPL-IDF), Centre d’Action Européenne Démocratique et Laïque, Comité Laïcité République (CLR), Conseil National des Associations Familiales Laïques (CNAFAL), EGALE Egalité-Laïcité-Europe, Fédération Française Le Droit Humain, Fédération Nationale des Délégués Départementaux de l’Education Nationale, Grand Orient de France, Grande Loge Féminine de France, Grande Loge Féminine de Memphis-Misraïm, Grande Loge Mixte Universelle, Grande Loge Mixte de France, Laïcité-Liberté, Le Chevalier de la Barre, Les Comités 1905, Libres Mariannes (LMS), Ligue du Droit International des Femmes (LDIF), Observatoire International de la Laïcité, Observatoire International de la Laïcité de Provence (OLPA), Regards de Femmes, Union des Familles Laïques (UFAL), Union Rationaliste.

[1Principalement les rapports de la mission laïcité du HCI, le rapport d’étape de l’Observatoire de la Laïcité.

[2Notamment le rapport de la commission Machelon remis en octobre 2006 qui préconisait de mettre en place une politique de subventionnement des cultes. Voir Rapport Machelon (2006) (note du CLR).

[3Conseil Constitutionnel n°2012-197, QPC du 21 février 2013. Le CC n’a en fait pas statué sur la question du subventionnement sur lequel ne portait pas la QPC, même si ce dernier demeure illégal comme le rappelle au moins formellement la jurisprudence du Conseil d’Etat. Etude Charles Arambourou de l’UFAL (Union des familles laïques).

[4Audition du rapporteur de la mission Laïcité du HCI.

[5Communiqué du 29 février 2012. Lire "La Laïcité pour tous !" (Collectif laïque, 29 fév. 12) (note du CLR).

[6Lettre du 14 février 2012.

[7Article 14, Convention Internationale des droits de l’enfant du 20.11.1989 : « les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

[8Cf « Laïcité dans la fonction publique » Actes du cycle de conférences 2011 HCI-Cnam (La Documentation française ; mai 2012) et « Pour une pédagogie de la laïcité à l’école » Abdennour Bidar, préface de Vincent Peillon (HCI-Ministère de l’Education Nationale. La Documentation française ; nov 2012).

[10Communiqué du 29 février 2012. Lire "La Laïcité pour tous !" (Collectif laïque, 29 fév. 12) (note du CLR).

[14Communiqué du 23 mai 2013.

[15Deux exemples : 1968, JO de Mexico, des athlètes Noirs américains ayant manifesté leur solidarité avec les Black Panthers ; 2014, JO de Sotchi, interdiction faite aux athlètes Ukrainiens de porter le deuil des morts de la place Maïden à Kiev.


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