par Patrick Kessel, Président du Comité Laïcité République 2 novembre 2011
La vie politique française va s’accélérer. Dans quelques mois nos concitoyens vont élire le Président de la République. Sous la Ve République, cette élection détermine la vie politique et se pose en choix entre la continuité et la promesse de changement. En tant que citoyen, en son âme et conscience, chacun sait ce qu’il fera. En tant que militant laïque, nous saisirons cette opportunité pour défendre et promouvoir une laïcité menacée. Nous voudrions, qu’au-delà des déclarations d’intention, elle soit présente dans cette campagne, car la montée des communautarismes qui accompagne la crise sociale, menace tout simplement l’universalisme de la citoyenneté et le vivre-ensemble dans la paix.
Après la tentative de hold-up de l’extrême droite sur la laïcité, après les tentatives de récupération de l’identité nationale par la droite et les tergiversations de la gauche sur le communautarisme, les nouveaux avis du Conseil d’Etat en juillet dernier ont ouvert une nouvelle brèche. Celui-ci, après une première estocade en 2006, par des interprétations restrictives de la laïcité, rogne petit à petit les principes de séparation des Eglises et de l’Etat définis dans la loi de 1905. La Laïcité comme une vasque percée se vide de l’intérieur.
Ses adversaires, plutôt que de prendre le risque d’une bataille frontale – alors que l’immense majorité des français lui sont très favorables – trouvent ainsi des soutiens juridiques pour contourner la loi. Petit à petit, ce sont les dispositifs élaborés par la commission Machelon, mise en place par Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur et des Cultes, pour « toiletter » la loi de 1905, qui se mettent en place. La vigilance s’impose d’autant plus qu’à ce jour nous ne sentons pas une opposition politique suffisamment franche pour contrer ces dérives. Et, puisque l’article 1er de la Constitution, qui stipule que la République est laïque, ne semble plus suffire pour endiguer ce révisionnisme, le moment semble venu de faire inscrire dans la Constitution les principes de la Loi de Séparation. Qui, politiquement sera prêt à s’engager en ce sens ? Cette question mériterait d’être posée aux candidats à l’élection présidentielle.
Le printemps avait montré, à l’occasion du rejet par le Parlement de textes législatifs sur la bioéthique et la fin de vie, que l’Eglise était toujours très interventionniste pour empêcher toute évolution contraire à ses dogmes. La fin de l’été a montré combien la question de l’islamisme continue de diviser à gauche. Les propositions du Haut Conseil à l’Intégration, destinées à trouver des solutions face aux exigences communautaristes de plus en plus pressantes sur les lieux de travail, ont ainsi suscité quelques réactions affligeantes de milieux pour qui, toute critique de l’islamisme militant équivaut à de la stigmatisation ! Une association laïque a ainsi dénoncé avec virulence le HCI, donnant à penser que la laïcité ne concernerait que l’Eglise ! D’autres ont cru pouvoir discerner de l’ « islamophobie » dans le juste combat de Natalia Baleato, la directrice de la crèche Baby-Loup qui avait refusé le port du voile dans son établissement. Militante de gauche, exilée de la dictature de Pinochet, impliquée socialement auprès des femmes du quartier, elle a même été traitée de « raciste ». Nouvelle version de l’arroseur arrosé ! Pour le Comité Laïcité République qui s’est impliqué à ses cotés, la Laïcité ne connaît pas de politiquement correct et s’applique à toutes les femmes et tous les hommes, quelles que soient leurs origines et appartenances. L’universalisme des valeurs républicaines ne se conjugue pas différemment selon les communautés d’origine. Il n’y a pas une laïcité pour les chrétiens, une pour les musulmans, une pour les juifs, une autre pour les athées et les agnostiques. La République est indivisible, dit clairement la Constitution. La décision de la justice en octobre, qui donne raison à la détermination de la directrice de la crèche, nous ravit. Elle marque une étape importante. Nous espérons qu’elle fera jurisprudence. Cette décision, rappelons-le, ne stigmatise pas une catégorie de croyants. Il n’y a d’ailleurs pas de problème de l’islam en soi pour les laïques. La laïcité garantit son libre culte. Le problème, c’est la non-application des lois laïques qui alimente la déchirure entre communautés et la montée des populismes.
Au plan international, comment ne pas craindre que l’automne ne concrétise nos inquiétudes. Le Comité Laïcité République a applaudi au printemps arabe, espérant que ces pays allaient démontrer au monde qu’ils ne sont pas condamnés à entrer dans l’Histoire à reculons, comme cette grande civilisation l’a montré à plusieurs reprises. Aujourd’hui encore, nous soutenons de toutes nos forces celles et ceux qui luttent pour la démocratie, la justice sociale, la liberté de conscience, l’égalité hommes-femmes. Mais nous devons constater la montée en puissance de l’islamisme comme force politique et la diabolisation des Lumières. En Libye, où la « libération » à peine proclamée, on annonçait la prochaine inscription de la Charia dans la Constitution, la suppression du divorce et le rétablissement de la polygamie. En Tunisie où la réussite du processus démocratique ne doit pas cacher le peu d’empressement des progressistes à défendre la laïcité au cours de la campagne et la percée des islamistes qui veulent inscrire la loi religieuse dans la nouvelle Constitution. Des évolutions inquiétantes, d’abord pour le sort des femmes, mais aussi, par leurs prévisibles effets collatéraux, pour tous les démocrates des pays musulmans, en premier lieu nos amis turcs, défenseurs d’une République laïque, déjà affrontés à un pouvoir curieusement intitulé « islamiste modéré ». Evolutions curieusement relativisées chez nous. Comme si certaines atteintes aux libertés fondamentales étaient plus acceptables que d’autres !
Le Comité Laïcité République n’a pas d’hésitation à dénoncer à la fois le racisme des uns pour qui les musulmans seraient des ennemis alors qu’ils sont en France des citoyens respectables comme les autres, et les fondamentalistes de l’autre qui enferment dans des ghettos, imposent le communautarisme contre l’universalisme. Tel est le sens du choix des lauréats du Grand Prix de la Laïcité 2011, décerné chaque année par le Comité Laïcité République, qui a été remis en présence de près de 400 personnes à Natalia Baleato pour le prix national et à Nadia El Fani pour le prix international. Le film de la réalisatrice franco-tunisienne a été projeté sur les écrans parisiens, mais retiré à Tunis devant les menaces. L’une et l’autre ont montré que la laïcité n’est pas seulement un engagement philosophique pour la liberté de conscience et l’égalité des droits et des devoirs, mais aussi un combat concret, immédiat. Un combat bien réel.
Les enjeux sont lourds. La République française, et c’est son honneur, de ce point de vue, demeure une référence. Le devenir de notre laïcité est suivi de près, là où s’engager en ce sens peut être lourd de conséquences. Raison supplémentaire pour que la République indivisible, sociale et laïque ne dérive pas, petit à petit, vers une société communautarisée sur le modèle ultra-libéral. La France a une responsabilité historique à défendre les valeurs humanistes laïques chez elle, en Europe, dans les instances internationales. A ouvrir des espaces de dialogue face à la montée des intégrismes de toutes sortes, à promouvoir l’indispensable renouveau des Lumières, la Fraternité des citoyens et des nations et faire face à ceux pour qui le choc des civilisations constitue un horizon indépassable. La laïcité en constitue la clé.
C’est pourquoi elle constitue un enjeu politique majeur. L’élection présidentielle de 2012 doit être l’occasion d’un indispensable sursaut laïque.
Patrick KESSEL
Président du Comité Laïcité République
Comité Laïcité République
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