Revue de presse

« Pour moi, malade de Parkinson, le débat sur la fin de vie n’est pas un affrontement de principes mais une question existentielle » (J.-M. Malick, Le Monde, 18 mars 23)

Jean-Marie Malick, professeur agrégé de lettres classiques. 21 mars 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire « Pour moi, malade de Parkinson, le débat sur la fin de vie n’est pas un affrontement de principes mais une question existentielle ».

"Dans le débat sur l’euthanasie, on entend surtout des « experts » de toutes sortes, le personnel médical, les représentants des cultes… Les grands oubliés, ce sont les malades, directement concernés, du moins ceux qui envisagent éventuellement le suicide.

Il y a trois ans, on m’a diagnostiqué un syndrome de Parkinson. Le débat actuel, pour moi, n’est pas un affrontement de principes universels et désincarnés mais une question existentielle urgente qui me taraude au plus profond de moi-même.

Ce n’est pas parce que les nazis ont dévoyé le mot « euthanasie » qu’il ne faudrait plus l’employer. Il signifie une « bonne mort », c’est-à-dire une mort paisible, autant que possible. Une nouvelle loi devrait fixer les modalités de cette mort : acte létal ou suicide assisté, conditions à remplir…

Une écrasante majorité de soignants rejette l’euthanasie active. C’est leur droit le plus strict. Une petite minorité se dit prête à administrer un produit létal ou à accompagner le suicide. C’est amplement suffisant. Les autres ne devraient pas se sentir concernés. Peut-on imaginer que les anti-IVG imposent leur choix à toutes les femmes qui veulent interrompre leur grossesse ?

Ceux qui demandent une aide à mourir revendiquent une liberté qui ne fait de tort à personne. Ceux qui ne veulent pas une légalisation de l’euthanasie ont le droit d’aller jusqu’au bout de leur vie et de leurs souffrances. Je respecte leur choix. Mais pourquoi refusent-ils aux autres le droit de partir un peu plus tôt ? Qui peut me dicter la façon dont je dois mourir ?

L’alternative, si je ne veux plus vivre, est un suicide violent ou une mort « douce », entouré des miens. Certes, un suicide, même non violent, reste un traumatisme pour les proches, mais assister pendant des mois ou des années à une lente agonie est encore plus traumatisant. Il arrive que des adversaires de l’euthanasie changent d’avis lorsqu’ils sont confrontés à leur propre souffrance ou à celle de l’un des leurs. Le théologien catholique Hans Küng s’est déclaré favorable à l’euthanasie après avoir vu son frère de 23 ans agoniser pendant des mois à cause d’une tumeur au cerveau et son meilleur ami, professeur comme lui, sombrer dans la démence.

Je revendique la liberté d’avoir une conception personnelle d’une vie qui ne me semblerait pas digne d’être vécue. J’ai le droit de trouver que ma vie pourrait ne plus avoir de sens, ne plus être en cohérence avec ce que j’ai été, et cela n’engage que moi.

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L’acte létal, qui est pour certains un « assassinat », est vu par d’autres comme un acte d’humanité, de fraternité même. Anne Bert, qui souffrait de la maladie de Charcot et a bénéficié d’une euthanasie en Belgique, a écrit que le médecin qui l’a protégée des souffrances atroces qui s’annonçaient était « un juste » qui lui tendait la main. La compassion doit être plus forte que les principes, qui restent extérieurs à la réalité tragique d’une personne qui ne veut plus vivre.

Et les dérives possibles ? Il faut évidemment un cadrage très précis, évolutif. La loi Claeys-Leonetti est très mal appliquée. Elle donne encore trop de pouvoir aux médecins, qui décident souvent à la place du patient ce qu’est un « acharnement thérapeutique », notion particulièrement floue. Elle permet une sédation terminale profonde, ce qui est une sorte d’euthanasie qui ne dit pas son nom. Il faut bien que quelqu’un actionne la pompe à morphine, ce qui provoque une mort légèrement différée. Quel est l’intérêt ? Et si je veux mourir en pleine conscience ?

Enfin, cette loi présente de grandes lacunes pour les malades qui ne sont pas en fin de vie mais qui souffrent d’une maladie neurodégénérative incurable et dont la vie peut devenir un enfer. Savoir qu’il existe toujours une porte de sortie serait rassurant pour moi, m’aiderait peut-être à tenir plus longtemps. En Oregon, où l’on peut avoir le produit létal chez soi, une grande partie des malades ne l’utilisent pas et finissent par mourir de mort naturelle.

Il faut, en parallèle, développer les soins palliatifs. Il est scandaleux que vingt-six départements en soient encore privés. On nous dit que très souvent, quand ils bénéficient de soins palliatifs, les patients qui voulaient mourir changent d’avis. Tant mieux ! Mais que deviennent ceux qui ne changent pas d’avis et ne sont pas pris en charge comme il faudrait ? Opposer euthanasie et soins palliatifs est absurde.

L’euthanasie n’est peut-être pas un bien en soi, mais ne pas écouter un malade, ne pas l’aider à réaliser son ultime vœu est un mal plus grand encore. C’est en tout cas l’avis de Corinne Van Oost, médecin catholique qui pratique l’euthanasie en Belgique et ne veut pas « prendre la fuite » face à la supplique de certains patients. Elle est en accord avec Sénèque, qui pensait que pour un esclave ce serait un aussi mauvais exemple d’empêcher son maître de mourir (en ne l’aidant pas) que de le tuer.

Il faut une nouvelle loi afin que les Français qui veulent une mort délibérée – pour eux-mêmes, sans rien imposer aux autres et sans mettre en danger ceux qui accepteraient de les aider – ne soient pas obligés d’aller faire du tourisme létal en Belgique ou en Suisse, ce qui, soit dit en passant, n’est pas à la portée de toutes les bourses. Ne pas pouvoir partir sereinement parce qu’on n’a pas assez d’argent est une cruelle injustice."



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