Jean-Pierre Filiu, historien et arabisant. 27 avril 2016
"[...] Il suffit de revenir à la chronologie pour démonter le mythe des « représailles » djihadistes. Quatre journalistes français ont été pris en otages en Syrie de juin 2013 à avril 2014 par Daech, qui n’a pourtant jamais revendiqué officiellement cet acte de guerre, tant les prétextes lui auraient manqué pour en faire porter la responsabilité à la France. Parmi les geôliers, pour ne pas dire les tortionnaires de ces ressortissants français, trois ont été identifiés : les Français Mehdi Nemmouche et Salim Benghalem, ainsi que le Belge Najim Laachraoui.
Tous les trois ont rallié la mouvance jihadiste, puis Daech, des années avant que la France s’engage dans la coalition anti-Daech, d’abord en Irak, ensuite en Syrie. Benghalem a suivi une formation terroriste dans un camp d’Al-Qaida au Yémen dès l’été 2011, en compagnie des frères Kouachi, les auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo. Nemmouche est responsable de la mort de quatre personnes dans l’attaque du Musée juif de Bruxelles en mai 2014. Il a été interpellé peu après à Marseille avec un arsenal sans doute destiné à perpétrer un autre carnage.
Il n’est pas inutile de souligner que les premières frappes de l’armée française contre Daech en Irak remontent à septembre 2014, soit plusieurs mois après les attentats de Nemmouche, et qu’il faut attendre septembre 2015 pour que ces frappes soient étendues à la Syrie, dans le cadre de l’opération Chammal. Quant à la Belgique, elle a participé à la coalition anti-Daech en Irak d’octobre 2014 à juin 2015. Ce n’est qu’après les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles qu’elle a envisagé de reprendre cette participation et d’en étudier une éventuelle extension à la Syrie.
Najim Laachraoui est l’un des deux kamikazes qui ont ensanglanté l’aéroport de Bruxelles en mars dernier. Il avait rejoint Daech dès février 2013 sous le nom de guerre d’Abou Idriss al-Belgiki (Abou Idriss le Belge). Il semblait occuper déjà une position d’autorité à l’égard des autres geôliers des otages français, de l’été 2013 au printemps 2014. Il a activement collaboré à la préparation des attentats de Paris, en novembre 2015. Comment dès lors renverser l’ordre des faits et leur chronologie, au point de prétendre que les djihadistes ont agi en « représailles » ?
Succomber à cette illusion, c’est non seulement se condamner à ne pas comprendre la campagne mondialisée lancée par Daech depuis de longs mois, de San Bernardino à Jakarta, en passant par Paris, Bruxelles, Tunis ou Beyrouth. C’est aussi accréditer la fable funeste d’un Daech prêt à nous épargner si nous le laissons opprimer en paix les millions de personnes, dans leur écrasante majorité arabes et musulmanes, qui survivent sous le joug djihadiste. Nemmouche et Laachraoui hier, Benghalem à ce jour, ne sont en Syrie que des occupants venus d’un pays étranger pour soumettre et humilier la population locale. [...]
On ne le répétera donc jamais assez : non, les djihadistes n’agissent pas en « représailles » ; oui, maintenant qu’ils nous ont frappés de manière aussi terrible, il faut les frapper et les frapper encore, non pas en « représailles », mais pour désorganiser la structure terroriste et éviter qu’elle ne perpètre de nouveaux massacres. Ces frappes en elles-mêmes n’atteindront cependant leur objectif qu’avec le soutien à terre et sur place de forces arabes et musulmanes, partout en première ligne face à Daech."
Lire "Pour en finir avec le mythe des « représailles » jihadistes".
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