Revue de presse

Politiques : les (chers) amis du Qatar (Le Point, 20 oct. 16)

31 décembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Nos très chers Émirs, Michel Lafon, 2016, 336 pages, 17,95 euros.

"Georges Malbrunot et Christian Chesnot explorent les relations entre les élus et les monarchies du Golfe. Extraits exclusifs.

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"La diplomatie du carnet de chèques"

Ce 18 décembre 2015, les VIP ne se pressent guère pour célébrer la fête nationale du Qatar, près de l’Etoile, à Paris. Seuls Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, quelques députés et hommes d’affaires ont répondu à l’invitation de Meshaal al-Thani, le jeune ambassadeur de l’émirat en France. On est loin des grandes soirées politico-mondaines de son prédécesseur, Mohammed al-Kuwari. "Nous faisons volontairement profil bas, commente un proche de l’ambassade du Qatar. Meshaal en a assez des hommes politiques français qui le prennent pour une banque." Le diplomate est excédé par les méthodes de certains. Certes, le Qatar, comme d’autres monarchies du Golfe, pratique depuis longtemps la diplomatie du carnet de chèques. Mais, depuis quelques années, ce sont plutôt les hommes politiques français qui seraient à l’offensive, prêts à se vendre sans scrupules au richissime émirat gazier en échange de démentis sur les accusations de financement du terrorisme islamiste dont le Qatar est régulièrement la cible. (...).

L’affront à Nicolas Bays

S’il est un député dont l’ambassadeur du Qatar se montre particulièrement lassé, c’est Nicolas Bays, élu socialiste du Pas-de-Calais. Membre du groupe d’amitié France-Qatar, il était proche de l’ancien ambassadeur Mohammed al-Kuwari. Avec son successeur, Bays ne fait pas dans la dentelle. Il a personnellement envoyé un SMS à Meshaal al-Thani, dont un témoin nous a rapporté le contenu : "J’ai des problèmes financiers actuellement. La mère de mon jeune enfant est fatiguée. Je voudrais l’emmener à l’étranger. Mais mon budget est un peu serré. Peux-tu me faire inviter dans un hôtel de Doha et nous payer un billet d’avion sur Qatar Airways ? Cela m’aiderait, s’il te plaît." "Bonjour, Nicolas, lui a répondu en français l’ambassadeur du Qatar. J’espère que la mère de ton enfant va mieux. Je suis désolé, le Qatar ne paie pas de vacances aux gens, même à moi, l’ambassadeur..." Et il ajoute, sarcastique : "Je t’invite à regarder sur le site de Qatar Airways, la compagnie fait des promotions en ce moment !" (...).

Les cadeaux de l’ambassadeur

A Noël, Mohammed al-Kuwari offrait aux membres du groupe d’amitié France-Qatar à l’Assemblée nationale des montres Rolex ou des bons d’achat dans des grands magasins, pour s’acheter un costume par exemple. La valeur du cadeau pouvait aller jusqu’à 5 000 ou 6 000 euros. Certains des heureux bénéficiaires n’hésitaient pas à exhiber devant leurs proches ces "chèques cadeaux made in Qatar". Les épouses n’étaient pas oubliées. Elles pouvaient recevoir des sacs Louis Vuitton d’une valeur de 5 000 euros ou d’autres articles de grandes marques. "Cela ne les dérangeait visiblement pas puisque aucun sac ne nous a été retourné", ironise-t-on aujourd’hui à l’ambassade du Qatar. (...).

Quand Rachida Dati frappe à la porte...

Entre Rachida Dati et le Qatar, c’est comme dans les couples : il y a des hauts et des bas. Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, Rachida Dati était au mieux avec Doha. Mais, ces dernières années, la relation s’est nettement détériorée. Entre 2007 et 2012, l’ancienne ministre de la Justice se rendit très fréquemment à Doha dans le cadre d’un projet mort-né de centre régional de la justice (...). Elle y emmena son père, sa soeur, s’y acoquina avec le procureur général Ali ben Fetais al-Marri, au point que certains le présentèrent - à tort - comme le père de Zohra, l’unique fille de Rachida. Bref, les séjours de Mme Dati au Qatar ont beaucoup fait jaser. Mais c’était l’époque des relations intenses entre Paris et Doha. Ni Sarkozy ni l’émir ne lui refusaient quoi que ce soit. Après la défaite de son ami à la présidentielle, elle a pris ses distances avec l’émirat... sans jamais s’en désintéresser complètement en tant que députée européenne et maire du 7e arrondissement de Paris. Ah, le luxueux 7e ! Là où résident tant d’ambassadeurs en poste à Paris. Comme l’émir père, Rachida a le sens de l’opportunité, ne craignant pas d’user et d’abuser de son carnet d’adresses. Elle a donc eu l’idée de lancer un club des ambassadeurs qui se réunirait périodiquement dans son arrondissement. Belle idée. Mais il fallait un peu d’argent pour faire tourner la danseuse de Mme Dati. Qu’à cela ne tienne ! Rachida est allée frapper à la porte de... l’ambassadeur du Qatar. Et, comme elle était bien placée pour savoir que les coffres-forts qatariens sont correctement garnis, elle a placé la barre très haut.

"Elle ne demandait pas moins de 400 000 euros pour son association", s’étonne encore un membre de l’ambassade. Une somme extravagante ! Rachida Dati présente sa requête lors d’un dîner avec Meshaal al-Thani, un dimanche soir, le 22 novembre 2015 exactement. Mais le diplomate lui fait comprendre qu’il sera difficile d’y répondre positivement. Elle semble choquée par ce refus, qui lui sera notifié par une lettre officielle signée du représentant du Qatar en France.

Le lendemain matin, Rachida Dati est l’invitée du talk-show de Jean-Jacques Bourdin sur RMC. Nous sommes dix jours après les attentats du Bataclan et du Stade de France. L’ancienne ministre change de pied et charge le Qatar : "L’Arabie saoudite ou même le Qatar ont une volonté de développer leur idéologie, notamment pour contrer l’islam chiite, affirme-t-elle. On a des pays du Golfe qui financent des mosquées, des associations, des imams [...], des structures qu’on ne contrôle pas", regrette-t-elle. Quand il entend cela, l’ambassadeur n’en revient pas. "Elle dîne avec moi en me demandant de l’aider et le lendemain elle nous traîne dans la boue." Sur injonction de Meshaal al-Thani, Rachida Dati se retrouve sur la liste noire du Qatar.

Mais Rachida Dati, c’est bien connu, n’a pas froid aux yeux. Au printemps 2016, elle se met en tête de se faire inviter au Doha Forum aux côtés de Dominique de Villepin et d’autres grands amis du Qatar. Elle transmet sa demande au comité d’organisation, via l’ambassade à Paris, qui suggère à Doha d’opposer un veto à sa venue. Mme Dati n’est plus bienvenue au Qatar, lui fait-on savoir. Loin de se démonter, l’ancienne ministre de la Justice sollicite Nicolas Sarkozy, dont elle est redevenue proche. Son ancien patron décroche son téléphone et appelle son ami, l’émir père, cheikh Hamad. Résultat : Rachida est invitée au Doha Forum ! "Elle a même eu le culot de venir avec trois assistants, tous frais payés", peste un diplomate qatarien à Paris. (...).

L’offense à Dominique de Villepin

En apprenant que Rachida Dati était invitée au Doha Forum, Dominique de Villepin a annulé, la veille de son départ, sa venue au symposium au motif qu’elle était conviée au même titre que lui ! Vieil ami de la famille régnante, qui fait beaucoup d’affaires au Qatar où il dispose d’un bureau à la Qatar Museums Authority dirigée par son ancienne étudiante Mayassa, la soeur de l’émir, l’ancien Premier ministre aurait argué aux organisateurs du Forum : "Je ne peux pas me rabaisser au même niveau que Rachida Dati !" (...).

"Qu’elle aille au diable !"

La sénatrice centriste de l’Orne Nathalie Goulet essuya, elle aussi, chaque fois, un refus clair et net du représentant du Qatar à Paris. Elle a pourtant multiplié les demandes. Fin 2015, elle appela d’abord le bureau de l’ambassadeur pour se plaindre de n’avoir pas reçu son cadeau de Noël. "Comment se fait-il que je n’aie pas reçu mon cadeau de fin d’année ; d’autres sénateurs en ont eu un et pas moi ?" protesta-t-elle. "Qu’elle aille au diable !" maugréa Meshaal lorsque son collaborateur lui rendit compte de l’appel de Mme Goulet.

Quand le Qatar fut attaqué par des politiques ou dans la presse après les attentats, la sénatrice n’hésita pas à proposer à l’ambassade d’organiser un colloque, contre rétribution, bien sûr. La représentation diplomatique refuse. Depuis, Mme Goulet l’avoue sans ambages : "Je n’aime pas beaucoup le Qatar."

Dans les couloirs du Sénat, elle est connue pour son audace décomplexée. Nathalie Goulet a longtemps été proche de l’Iran, au point de publier un livre - très probablement une commande de Téhéran - dénonçant l’imposture que représentent les opposants iraniens, les Moudjahidin du peuple, abrités en France. Puis elle s’est brouillée avec les Iraniens, avant de se propulser aux avant-postes de la défense de leur ennemi juré, l’Arabie saoudite. Curieux parcours... Le 23 mai 2016, Mme Goulet organisa même un colloque dans le cadre du groupe interparlementaire d’amitié France-Pays du Golfe, au Sénat, sur le thème "Nouveaux visages de l’Arabie saoudite". Son objectif ? Redorer le blason d’un royaume régulièrement accusé de financer le terrorisme en montrant que le nouveau roi, Salmane, et son fils Mohammed ben Salmane ont engagé le pays dans la bonne voie. Sous-entendu : les critiques de la presse ou des politiques ne sont qu’un ramassis de vieilles idées datant de l’époque où l’Arabie finançait le djihad en Afghanistan. (...).

La première classe, sinon rien

Villepin, lui, exige d’être en première classe, sinon il boude les invitations à Doha, enchérit un autre diplomate de l’ambassade du Qatar. "Une fois, Villepin a annulé sa participation à un colloque parce qu’il était en classe affaires et non en première." L’ambassadeur en est resté abasourdi. Autre certitude : l’ancien Premier ministre, devenu avocat d’affaires, ne dit pas du bien du Qatar pour rien, comme tous ceux dont nous avons rapporté le comportement. "La France n’a aucune preuve de l’implication du Qatar dans le financement du terrorisme", affirmait Villepin le 4 novembre 2015 sur Europe 1. (...) Entre eux, les ambassadeurs arabes se racontent toutes ces histoires d’impudence. "Quelle image les politiques français donnent-ils de leur pays ?" s’interroge l’un d’eux.

MAIS OÙ EST PASSÉE LA MONTRE DE BRUNO LE MAIRE ?
"Je vais vous raconter une anecdote, confie Bruno Le Maire, candidat à la primaire LR, installé à la terrasse de son QG de campagne, dans le 6e arrondissement de Paris. En 2009, quand j’étais ministre de l’Agriculture, j’avais été chargé d’accompagner cheikh Hamad, l’émir du Qatar, pendant quatre heures dans Paris. A la fin, il m’a fait cadeau d’une montre Patek Philippe cerclée de diamants, d’une valeur de 85 000 euros. Vous imaginez, cela représente une année de mon traitement de député ! Je l’ai mise dans le coffre du ministère. Je pense qu’elle doit y être encore."

CE QUE RÉPONDENT LES POLITIQUES
Le livre de Chesnot et Malbrunot devrait faire grand bruit. Et surtout pour sa gravissime mise en cause de Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement. Malgré plusieurs échanges de SMS, il n’a pas souhaité nous répondre ni réagir aux révélations du livre.

Même très agacée, Rachida Dati est plus sereine. « Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit au Qatar. Je n’ai pas besoin d’eux ! La preuve : en ce moment, je lève des fonds pour l’hôpital Cochin, où mon père est hospitalisé, et je ne leur demande rien », explique l’ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy.

Nicolas Bays, député PS et vice-président du groupe d’amitié France-Qatar, affirme tomber des nues. « Une fois, j’ai demandé à être surclassé sur Qatar Airways, c’est tout. Mais je connais des collègues de l’Assemblée qui, eux, sont bien plus proches de ce pays. »

Quant à Nathalie Goulet, elle fulmine : « Je n’ai pas eu à demander un cadeau puisque j’ai reçu comme chaque année une bouteille de Château Dassault. Par ailleurs, ce pays est jalousement "gardé" par le président délégué pour le Qatar du groupe France-Pays du Golfe, le sénateur Les Républicains Pierre Charon, et je n’y ai pas mis les pieds depuis 2008. »

HILLARY CLINTON FINANCÉE PAR LE GOLFE
Via la fondation qui porte son nom, Hillary Clinton, la candidate démocrate à la présidence américaine, est financée par le Qatar, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït. Doha lui a ainsi versé entre 1 et 5 millions de dollars. La contribution saoudienne est évaluée à 10 à 25 millions de dollars depuis la création de cette fondation, en 1997.

Pour la présidentielle, Riyad a d’ailleurs mis le paquet, comme en témoigne la déclaration du prince Mohammed ben Salmane, le fils du roi Salmane, qui affirmait en juin que l’Arabie saoudite avait financé 20 % de la campagne de Hillary Clinton."


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Le Qatar en France dans Qatar (note du CLR).


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