Yves Agnès, ancien rédacteur en chef au "Monde", ancien directeur du Centre de formation des journalistes (CFJ). 24 mai 2018
Extrait de Yves Agnès, "Le poison du politiquement correct" (2017) [1].
"Intellectuel (musulman)
La confrérie des bien-pensants avait besoin d’une figure de proue intellectuelle plus moderne et médiatique pour représenter l’islam que l’actuel représentant de la dynastie Boubakeur, recteurs de la Grande Mosquée de Paris, déjà détrôné par des imams plus ou moins « républicains » et plus ou moins français ; le clergé musulman étant en effet fourni essentiellement par les pays arabes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Elle croit peut-être l’avoir trouvée avec Tariq Ramadan. Ce national suisse de 54 ans, controversé, résidant à Londres et professeur d’université à Oxford depuis 2009, est un petit-fils d’Hassan Al-Banna, fondateur en 1928 en Egypte de l’organisation secrète des Frères musulmans, qui n’a pas été pour rien dans les dérives intégristes, totalitaires et terroristes de cette religion. Elle a été l’un des principaux propagateurs d’une « identité musulmane » devant imprégner toute société.
Tariq Ramadan en est convaincu. Mais il sait y mettre la manière. Séduisant, brillant, calme mais ferme dans ses propos, volontiers souriant, il peut dire des énormités avec élégance, comme entre gens de bonne compagnie. Et aussi un imposteur de grande envergure, pourtant défendu par le philosophe Edgar Morin, le président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone, ou encore le journaliste vedette Edwy Plenel (Mediapart, après Le Monde)... C’est un prédicateur. Il a visité la plupart des zones françaises à forte implantation musulmane dans les années 1990. Ce qui lui a valu d’être interdit de séjour par le ministre de l’intérieur de l’époque, Charles Pasqua (puis ultérieurement aux Etats-Unis). Il ne l’est plus, et a pu faire une conférence à Bordeaux devant six cents personnes en mars 2016, malgré l’opposition du maire Alain Juppé. C’est un habile arriviste, qui a surmonté maintes rebuffades que son activisme et sa radicalité à visage masqué lui ont occasionné.
Mais c’est un truqueur. Car s’il se présente en intellectuel mesuré, il se garde bien d’évoquer sa thèse présentée à l’université de Genève, jamais validée par un jury démissionnaire, outragé par l’apologie du grand-père. Un travail de militant, prenant une grande liberté avec la distanciation universitaire. Un peu comme en France Robert Faurisson et les chambres à gaz de la Shoah. Mais, à force de relations publiques, il a obtenu son graal en 2009 : professeur à l’université d’Oxford... grâce à l’intervention de personnalités qatari, qui financent. Ramadan, désormais protégé de l’émirat (dont on connaît les positions sociales, démocratiques et religieuses tellement progressistes), dirige une chaire spéciale de théologie créée à son intention par Doha, où il préside aussi un « Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthique ». L’éthique, ça le connaît.
L’imposteur est un habitué des plateaux télé, notamment de Thierry Ardisson (la provocation), de Laurent Ruquier (la gaudriole) ou de Frédéric Taddeï (la polémique), où il se présente en partisan d’un islam modéré inséré dans la laïcité républicaine. En novembre 2003, il est en duplex sur France 2 pour « 100 minutes pour comprendre », face au ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. Le futur hôte de l’Elysée lui demande de s’exprimer sur la lapidation des femmes adultères, prônée par le Coran, récemment encore justifiée et défendue par son aîné de trois ans Hani Ramadan, universitaire suisse et... Frère musulman. Est-ce oui ou non une « atrocité », une « monstruosité » ? lui demande Sarkozy. Il ne répondra pas. Seulement que cette pratique « n’est pas applicable » (en France) et pourrait faire l’objet d’un « moratoire » dans les pays musulmans. Stupeur de l’homme politique. Et fin de l’histoire : le beau parleur n’est jamais revenu sur cette acceptation implicite.
Ce qui ne l’empêche pas de revendiquer sa participation à des travaux sur la laïcité grâce à la complicité, inattendue pour certains, de la Ligue de l’enseignement. L’organisation plus que centenaire, qui a bataillé pour la loi de 1905, s’est transformée en effet, à partir des années 1980 et jusqu’à aujourd’hui, faisant ami-ami avec les religions sur le thème bien naïf « tolérance / vigilance ». Ramadan a effectué une centaine de déplacements avec un haut responsable de la Ligue et a même été introduit dans des loges maçonniques.
Au fond, l’intelligent Ramadan pratique dans l’Hexagone un sport qui y est bien enraciné, notamment à l’extrême gauche, l’entrisme. Et ça entre comme dans du beurre... C’est donc l’une de ses plus chaudes recommandations à ses publics musulmans : « Vous avez la capacité de faire que la culture française soit considérée comme une culture musulmane. Et il faut le dire avec force et le vivre avec détermination » (Le Monde, 21 avril 2016). Limpide.
En bon politique, il sait qu’une bataille révolutionnaire se prépare d’abord sur le terrain des idées. Lorsque l’idéologie aura triomphé, le fruit sera presque mûr. Nos apprentis sorciers de la confrérie des bien-pensants n’ont pas bien sûr à censurer cette voix dérangeante, comme le sont bien d’autres. Mais à débattre, comme Sarko. Ne pas laisser dire sans réagir. Etudier les sourates, aussi. Il paraît qu’on y trouve tout et son contraire. Un classique des religions."
[1] Publié notamment dans la revue "[im]Pertinences" (Académie de l’éthique) : "Le poison du politiquement correct - Catéchisme du savoir vivre et penser" (note du CLR).
Voir aussi la rubrique Tariq Ramadan et Pas politiquement correct, le "Français de souche" (Yves Agnès), Politiquement correct, le communautarisme (Yves Agnès) (note du CLR).
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