Revue de presse

Pierre Vermeren : « L’islam rigoriste s’affiche et s’installe sur la place publique » (Le Figaro, 12 av. 24)

(Le Figaro, 12 av. 24). Pierre Vermeren, agrégé et docteur en histoire, professeur d’histoire contemporaine. 12 avril 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"ENTRETIEN - Pour l’historien spécialiste des sociétés arabes*, les derniers drames survenus en France montrent que les rigoristes utilisent désormais le ramadan comme prétexte pour « réislamiser » leurs coreligionnaires.

Par Martin Bernier

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Lire "Pierre Vermeren : « La réislamisation par le bas cible les Français musulmans »".

LE FIGARO. - Après l’agression de Samara à Montpellier, à qui on reprochait de ne pas porter le voile, et la mort de Shemseddine à Viry-Châtillon, deux hommes d’origine algérienne ont été attaqués à Bordeaux car ils consommaient de l’alcool le jour de l’Aïd el-Fitr. Comment analysez-vous cette succession d’événements survenus pendant le ramadan ?

PIERRE VERMEREN. - Les islamistes ont érigé le ramadan en grand moment de mobilisation pour rappeler les normes islamiques de manière drastique. Ils le font dans les pays où ils sont à l’offensive depuis les années 1990, au Moyen-Orient et au Maghreb, et désormais en France ou en Belgique. Ce qui devrait, selon l’islam, être un moment de recueillement, de prière, de jeûne et de fête familiale devient pour ces rigoristes un prétexte à la mobilisation identitaire et communautaire.

Les plus exaltés en profitent pour passer à l’acte afin de rappeler leurs coreligionnaires à la norme stricte telle qu’ils l’entendent : invisibilisation des femmes sous le voile, interdits alimentaires, séparation des sexes. Et tout cela doit se voir et se savoir : l’islam rigoriste minoritaire veut devenir la norme. Avec l’agression de Montpellier, l’attaque à Bordeaux et les tensions sur le voile au lycée Maurice-Ravel, l’islam rigoriste s’affiche et s’installe sur la place publique !

Vous évoquez les islamistes, mais, dans ces affaires, on parle d’élèves, qui ont agressé Samara, et d’un homme en djellaba, à Bordeaux, dont on ne connaît pas les antécédents…

Ce sont effectivement deux choses différentes. Il y a d’un côté des organisations terroristes qui ont un agenda international qui leur est propre, et de l’autre ce que les islamistes appellent la réislamisation par le bas. Là où le djihadisme et le terrorisme agissent au niveau politique, visant les États, les symboles, et mènent des combats parfois très lointains, la réislamisation par le bas est à l’usage des musulmans d’ici ; il faut ramener « ces mauvais musulmans » dans le droit chemin.

Ces musulmans accusés d’être infidèles (kouffar) sont à rééduquer selon la norme autodéfinie par les fondamentalistes : l’obsession de la mauvaise pratique a fait le lit du salafisme et des Frères musulmans. Leur maître à penser, Sayyid Qotb, a décrété dans les années 1960 que les sociétés islamiques étaient jahil, c’est-à-dire hérétiques. Dans le Maghreb des années 1990 et 2000, de petits groupes en tiraient les conséquences : à Casablanca, de petites milices salafistes passaient à tabac des ivrognes réputés.

Ajoutons que si réislamisation par le bas et terrorisme cohabitent, ils diffèrent quant à leurs objectifs. Les attaques ne se déroulent jamais là où l’on pense, ni au moment attendu. Mais ce n’est pas un hasard que l’égorgement de Bordeaux ait eu lieu le jour de la fête de fin du ramadan, période très particulière pour tous les musulmans.

Cette violence qui cible des prétendus « mauvais musulmans » est-elle nouvelle en France ?

Lors de ramadans précédents, il y a déjà eu des agressions de musulmans accusés de manger ou de boire (ainsi le 10 août 2012 à Marseille, le 13 août 2010 à Lyon, etc.). Dans les années 2000, la presse algérienne relevait ces violences par le bas contre ceux accusés d’être de mauvais musulmans en Algérie. En France, ce n’est pas nouveau mais le phénomène se nationalise. De tels événements étaient impensables à Bordeaux, mais la ville a été balayée par un tsunami depuis vingt ans, et la communautarisation des musulmans est très engagée, avec près d’une centaine de lieux islamiques dédiés. [...]"



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