Revue de presse / tribune

"Pièce d’Eschyle censurée : le contresens d’un antiracisme dévoyé" (Vigilance Universités, liberation.fr , 2 av. 19)

par Vigilance Universités 5 avril 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Pour le réseau Vigilance universités, il ne faut pas confondre le « blackface » colonial et un choix artistique de mise en scène. Le boycott de la représentation est une forme de censure qui « nuit à la cause même qu’elle prétend défendre ».

Le lundi 25 mars, une pièce d’Eschyle, les Suppliantes, mise en scène par Philippe Brunet, directeur de la compagnie de théâtre antique Démodocos, n’a pu être jouée en Sorbonne. Comme l’explique le communiqué de la présidence de Sorbonne Université, « les comédiennes et comédiens ont été empêchés de force de rentrer se préparer et le public tenu dehors par des individus accusant la mise en scène de "racialisme" ; cette pièce mettant en scène les Grecs argiens et les Danaïdes, filles de Danaos venues d’Egypte, interprétés, fidèlement aux pratiques théâtrales antiques, respectivement par des actrices et acteurs portant des masques blancs et des masques noirs tels que d’usage à l’époque ».

Des associations qui affirment combattre le racisme anti-Noirs ont cru bon d’assimiler l’utilisation par la troupe de maquillages sombres et de masques à la pratique raciste du « blackface » de l’époque coloniale (se grimer en noir pour se moquer des Noirs). Il s’agit d’un contresens absurde et d’un anachronisme aberrant qui auraient pu être évités par le dialogue. Sur sa page Facebook, le metteur en scène déclare que « le théâtre est le lieu de la métamorphose, pas le refuge des identités. […]. Dans Antigone, je fais jouer les rôles des filles par des hommes, à l’antique. Je chante Homère et ne suis pas aveugle. J’ai fait jouer les Perses à Niameypar des Nigériens (c’est dans le dernier film de Jean Rouch). Ma dernière reine perse était noire de peau et portait un masque blanc ».

Nous condamnons fermement la censure de la représentation des Suppliantes. Cet événement s’inscrit dans une longue série. Grotesque, il est la goutte d’eau de trop. Il entraîne la réprobation publique, non plus seulement de quelques personnalités connues, mais d’un nombre considérable d’universitaires et de chercheurs à la fois inquiets et révoltés, appelant à une vigilance désormais collective. Cette tribune en est l’expression.

« Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes », déplore Almansor, jeune prince musulman, dans la tragédie qui porte son nom, drame qui fut rédigé par le poète Heinrich Heine et publié dans sa version définitive en 1823. Quelles seront les étapes suivantes, après la censure par quelques militants déterminés d’une pièce d’un tragique grec du Ve siècle avant J.-C. ?

Nous sommes pleinement solidaires du combat contre le racisme anti-Noirs, et c’est précisément pourquoi nous condamnons cette agression contre une création théâtrale ne présentant aucun préjugé raciste. Cette agression nuit en réalité à la cause même qu’elle prétend défendre. Cette accusation de racisme ou de « racialisme » révèle en effet une totale incompréhension. Le combat contre le racisme est un combat qui tend au respect de la dignité humaine, à l’union de tous et à la liberté de chacun. Tout au contraire, cette action pseudo-antiraciste, comme d’autres actions dites « décoloniales », cherche à censurer et tend à nous séparer.

Vigilance universités est un réseau d’enseignants du supérieur et de chercheurs créé en mars 2016 qui combat toutes les formes de racisme et d’antisémitisme, de communautarisme et de racialisme prétendument décolonial, et qui lutte pour la défense de la laïcité à l’Université. Nous nous opposons à toutes les formes traditionnelles de discriminations raciales et religieuses, mais aussi à de nouvelles formes d’interventions apparemment antiracistes qui sont, au mieux contre-productives, au pire fondées sur une conception de la société obsédée par des identités de race ou de religion, obsession qui relève en fait du racisme.

Nous condamnons donc fermement cette nouvelle intervention de l’idéologie radicale racialiste à l’université qui, une fois encore, s’attaque à la liberté d’expression, comme nous nous sommes opposés auparavant à la tentative, notamment par Solidaires étudiant·e·s, de censurer dans plusieurs universités la lecture, par le Théâtre K, du texte de Charb Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, ou comme nous avons combattu la censure du festival Escale en Israël proposant des ateliers de découverte de la culture israélienne avec projection d’un film de la cinéaste palestinienne Maysaloun Hamoud, projet universitaire de l’association estudiantine PankulturA en lien avec l’Institut français.

Présents dans de nombreuses institutions de l’enseignement supérieur et de la recherche, les membres de Vigilance universités attirent l’attention sur les tensions et les pressions idéologiques qui se font jour et se multiplient au sein de leurs établissements. Ils s’inquiètent de ce que l’Université devienne un lieu où l’idéologie racialiste radicale prend le pas sur la recherche scientifique et la délibération collective, qui sont pourtant au fondement même de notre mission universitaire et de notre démocratie. Les membres de Vigilance universités appellent leurs collègues à les rejoindre pour contrecarrer la progression des idéologies de haine.

Nous apportons notre plein soutien à Philippe Brunet et à la compagnie Démodocos, ainsi qu’à Sorbonne Université, pour que cette pièce puisse être jouée le plus rapidement possible et que les censeurs soient empêchés de nuire à la connaissance et à l’éveil des consciences.

Cette tribune a été signée par plus d’une centaine d’universitaires, dont la liste est accessible ici. On peut y ajouter sa propre signature."

Lire "Pièce d’Eschyle censurée : le contresens d’un antiracisme dévoyé".



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