Revue de presse

Philippe Cohen : "Les Jean Moulin de pacotille" ("Le Pen, le Nouvel Obs et Marianne : une leçon d’histoire", marianne2.fr , 10 mars 11)

11 mars 2011

"[...] Les pauvres bobos urbains que nous sommes pensent, en s’asseyant sur la banquette du métro, que l’un des quatre voyageurs pourrait voter Marine Le Pen. Donc logiquement, dans un numéro consacré à la montée de la Présidente du FN, le Nouvel observateur se devait de réfléchir sur les responsabilités de chacun. Le journal pourrait, par exemple, déplorer que ni le PS ni le Parti de Gauche ni Europe Ecologie n’aient lancé de grande campagne d’indignation contre les 83 milliards de profits des entreprises du CAC 40 en 2010 (le double de 2009). Il pourrait inciter ces mêmes partis à dénoncer le fait que, dans la France de 2011, 25 % de salariés gagnent moins de 750 euros. Il pourrait remettre en cause la façon dont toute une gauche, qui ne fut pas sous-représentée au Nouvel Observateur, a diffusé l’idée que l’industrie était ringarde et que notre avenir résidait dans les nouvelles technologies et les services.

Or, l’Obs fait tout l’inverse : si Marine Le Pen prospère d’après l’Observateur et Joffrin, ce serait d’abord grâce au travail de « préparation idéologique » menée par des individus louches... dans mon genre. Une grande partie de l’éditorial de Laurent Joffrin et un article d’Ariane Chemin désignent les anciens de la Fondation Marc Bloch qu’avec quelques amis, j’ai créé en 1998, comme les premiers responsables de la « lepénisation des esprits ». Ceux-là, donc, « décontamineraient la pensée FN ». Passons sur le fait que ladite Fondation n’a jamais été réputée pour accueillir des médecins et des notaires mais plutôt des profs et des journalistes et qu’elle n’existe plus depuis huit ans. Passons sur le fait qu’une enquête élémentaire sur le destin de ses adhérents démontrerait qu’on retrouve beaucoup d’entre eux dans toutes les écuries de la gauche et de la droite, de Mélenchon à Sarkozy en passant par Montebourg, Bayrou,etc.

Contrairement à ce qu’écrivent Laurent Joffrin et Ariane Chemin, je ne me suis jamais revendiqué du souvernainisme ni du national-républicanisme, étiquette qui se voulait infamante inventée par Edwy Plenel en 1998 pour stigmatiser la Fondation Marc Bloch [1] que, déjà à l’époque, les bien-pensants désignaient comme un dangereux rassemblement « rouge-brun ». Et puisqu’elle m’accuse d’être un « passeur » de l’idéologie lepéniste, j’attends d’Ariane Chemin qu’elle communique aux lecteurs du Nouvel Observateur ou du Nouvelobs.com les nombreux articles que j’ai écrit sur l’identité nationale ou l’islam. Qu’elle le sache, il y en a fort peu. Je m’intéresse davantage à la mondialisation et à la crise, souvent, en effet, pour critiquer les faiblesses de la gauche sur ce terrain.

Plus embêtant encore : Laurent Joffrin évoque un « républicain national de Marianne » derrière lequel les lecteurs de l’Obs n’auront aucun mal à me désigner puisque ma photo figure en gros pour illustrer l’article d’Ariane Chemin. Nous voilà donc ramenés au social-fascisme à la mode Joffrin : je serais donc l’un des « passeurs » de l’idéologie frontiste. Pourquoi ? Quel crime ai-je commis ? Ai-je sauté sur les genoux de Jean-Marie Le Pen ? Suis-je parti en vacances sur son bateau en Méditerranée ? Non, j’ai, dans un article publié le 17 janvier, évoqué la « sophistication » du programme mariniste et repéré une influence « chevènementiste ». J’invite donc Laurent Joffrin à lire l’enquête que Marianne publie dans son prochain numéro. Il y lira qu’en effet d’anciens chevènementistes influencent aujourd’hui la présidente du Front et font partie de son cabinet.

Voilà plus d’un an en effet que je m’efforce, dans mes articles sur « le relais influent » que constitue selon Ariane Chemin, Marianne2, d’alerter les électeurs de gauche et les républicains en général sur la menace que constitue Marine Le Pen aujourd’hui : un véritable hold-up sur la doctrine et les valeurs républicaines. De la même façon que Le Pen père avait préempté le drapeau tricolore abandonné par la gauche dans les années 80, Le Pen fille tente de récupérer la laïcité et l’égalité abandonnées par une grande partie de la gauche au profit de ce qu’elle appelle la diversité, le nouveau concept utilisé pour remplacer la « différence » exaltée dans les années 1980.

Qui rend donc un fier service au Front national ? Ceux qui veulent nous rejouer à la virgule près la « quinzaine anti-Le Pen » de 2002 et se contenter de dénoncer la lepénisation des esprits ? Cet anti-fascisme d’opérette a largement fait la preuve de son inefficacité. Le numéro d’anti-fascime signé Joffrin est d’autant plus désolant je partage son analyse sur la responsabilité de la gauche dans la percée mariniste [2] : son refus d’accepter que certains quartiers populaires sont moins sûrs que les environs du Flore, son oubli de la nation au profit d’une Europe aujourd’hui en panne, son adhésion totale au libre-échangisme le plus débridé, sa passivité face à la finance, tout cela a éloigné le peuple de la gauche. Celle-ci est donc, tout autant que la droite responsable de la percée lepéniste. Et Laurent Joffrin devrait comme moi dénoncer ces Jean Moulin de pacotille qui, par leur ignorance de la vraie situation du peuple, offrent un boulevard à quatre voix au Front national."

Lire “Le Pen, le Nouvel Obs et Marianne : une leçon d’histoire”.

[1Notre ami Régis Debray lui avait fort bien répondu dans un petit livre - Le Code et le glaive, Albin Michel - dont le temps, me semble-t-il, a bonifié la valeur.

[2J’ai publié quelques livres (Le Bluff républicain en 1997 et Protéger ou disparaître en 1998) et des dizaines d’articles sur ces thèmes.


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