« Laïcité et enseignement supérieur » (30 mai 15)

Patrick Kessel : "Ne laissons rien passer, chiche !" (Colloque du CLR, 30 mai 15)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 1er juin 2015

Bienvenue à cette manifestation organisée par le Comité Laïcité République qui achève un cycle de trois colloques sur les « Nouveaux chantiers de la Laïcité ». Toutes les interventions sont consultables sur le site du CLR.

En quelques années, et de façon accélérée, la laïcité qui passait pour un thème dépassé, s’est installée au coeur des débats de société et est devenue un sujet politique central. L’actualité internationale témoigne du retour du religieux en politique, de la façon souvent la plus barbare. L’actualité nationale montre malheureusement que la laïcité est souvent sollicitée pour dire tout et n’importe quoi. C’est le règne de la confusion. D’un coté, certains voudraient imposer le porc dans des cantines scolaires ! De l’autre la Laïcité serait dépassée, colonialiste, réactionnaire, raciste ! Une telle confusion est malsaine qui favorise les détournements.

En organisant cette série de colloques, le CLR a souhaité apporter sa contribution aux débats qui sont nécessaires, à condition de s’interdire l’invective, l’injure, la provocation, quand d’aucuns veulent imposer le déni. C’est malheureusement le cas comme en témoignent certaines tribunes publiées dans la presse.

A ceux qui pensent que la laïcité a fait son temps, rappelons que sa première raison d’être, c’est l’école. Former des enfants pour qu’ils deviennent des femmes et des hommes libres et responsables, capables de penser par eux-mêmes, de choisir une religion, une philosophie, d’en changer, de n’en voir aucune, de les critiquer. L’école a pour première mission de former les enfants à la liberté de conscience qui contient la liberté de pratiquer un culte, ce qui n’est pas réciproque. Elle les prépare à l’égalité des droits et des devoirs, quelles que soient l’origine, la couleur de peau, les appartenances des parents. Elle est le creuset de la citoyenneté. Cette mission retrouve une pertinence essentielle lorsque des jeunes adolescents, déchirés, se définissent d’abord comme « blacks, blancs, reubs, feujs, bretons, corses, homos.. », avant même de se penser comme citoyens.

C’est pourquoi le CLR a soutenu le projet de refondation de l’école et de charte de la laïcité. Encore faut-il que celle-ci soit réellement utilisée comme outil pédagogique par les enseignants et ne soit pas oubliée sur un mur comme la charte contre l’ivresse publique affichée dans les bistrots. Nous avons également rappelé qu’après les lois Debré, Germeur, les accords Lang-Cloupet, la loi Carle avait imposé la parité entre écoles publiques et privées en matière de financement public ! Nous demandons toujours l’abrogation des principales dispositions de cette réforme. Et nous rappelons que près de 600 communes disposant d’une école confessionnelle n’ont toujours pas d’école publique !

Mais la laïcité concerne aussi la vie même dans les écoles et collèges. Elle est aujourd’hui contestée par la montée des revendications communautaristes qui portent sur la forme (les vêtements et signes religieux) comme sur le fond (contenu des enseignements). Alain Seksig, vice-président du CLR, président de l’ancienne mission laïcité du HCI et moi-même avons exposé nos inquiétudes et nos propositions à l’occasion de notre audition le 21 mai dernier par la commission sénatoriale présidée par Mme Françoise Laborde, qui travaille sur les valeurs de la République à l’école. J’ai ainsi proposé que, pour régler le dossier récurrent du port de signes religieux à l’école qui ne cesse de rebondir et pour en finir avec une ségrégation sociale très visible, les élèves d’une même école portent un vêtement commun comme cela se pratique dans certains établissements des départements d’outre-mer. Cela ferait débat. Mais ce serait un symbole fort à un moment où la République a besoin de signifier ses valeurs universalistes par des gestes qui font sens, qui rassemblent et font autorité. La ministre de l’Education nationale, après les attentats barbares de janvier, avait déclaré que depuis des années, dans l’Education Nationale, c’était « pas de vagues » et que désormais, ce serait « on ne laisse rien passer ». Nous disons « chiche » !

En 2003, le rapport Obin réalisé par une dizaine d’inspecteurs de l’Education Nationale, nous alertait sur les méfaits des communautarismes à l’école, dans les hôpitaux, dans les quartiers perdus de la République. Politiquement incorrecte cette étude, commandée par le Ministre de l’Education Nationale, avait été un temps, interdite de publication. En 2015, Jean-Pierre Obin, auditionné au Sénat, déclarait que depuis, la situation s’est sérieusement aggravée. Une étude officielle serait la bienvenue ainsi que nous l’avons proposé aux sénateurs.

Les attentats barbares de janvier ont rappelé qu’une fracture culturelle profonde accompagne la fracture sociale. Après le sursaut populaire, les déclarations du Président de la République et du Premier ministre, l’émouvante Marseillaise entamée à l’unisson par tous les députés au Palais Bourbon, nous avions espéré que toute la Nation allait se retrouver pour promouvoir les principes de la République, la laïcité notamment.

Tout s’est passé autrement. D’abord, cette minute de silence à la mémoire des victimes trop souvent non respectée dans certaines écoles. Des manifestations de réjouissance parfois. Puis la montée d’un discours « nous ne sommes par Charlie » sur le mode « ils l’ont cherché » qui fait penser à ceux qui disent de la jeune femme violée dans le métro qu’elle l’avait un peu cherché avec sa jupe trop courte ! Et puis ce fut, sur des gammes diverses, le crédo anti-Charlie, les tenants de la théorie du complot, antisémitisme à peine voilé et les « Charlie-Coulibaly », les « identitaires », ceux prétendant parler au nom des « victimes du système ».

La cynique stratégie de l’arroseur-arrosé était à l’oeuvre. Déjà l’autocensure conduisait à retirer des spectacles de l’affiche, annuler des expositions. Suivit un tsunami communautariste par tribunes de presse et déclarations, taxant les laïques d’islamophobes et voulant faire croire que résister à un fanatisme serait du racisme ! L’histoire déjà avait connu de tels aveuglements sectaires où ceux qui dénonçaient l’enfer stalinien étaient traités de « réactionnaire » par les compagnons de route de l’époque.

La laïcité que le peuple encensait le 8 janvier se retrouvait en position d’accusée. Et pourtant personne ne menace la liberté de pratiquer l’islam en France !

Un Martien déboulant impromptu à Paris, en lisant certaines tribunes, aurait pu imaginer qu’un commando de caricaturistes sanguinaires venait d’assassiner de pieux fidèles entrain de prier ! La réalité nous rappelle que les menaces de mort pèsent toujours sur Chadortt Djavan, Robert Redecker, Mohamed Sifaoui, Zineb et les journalistes de Charlie pour ne citer qu’eux, qui doivent vivre en permanence sous protection policière, que la conférence-débat organisée par l’Observatoire de la laïcité de St Denis, le 27 mai dernier à l’Hôtel de Ville, a été empêché par un groupe d’individus menaçants, prenant a partie notre ami Guylain Chevrier. Et c’est maintenant le tour de Samuel Mayol, le courageux directeur de l’IUT de Saint Denis et de six enseignants de faire l’objet de menaces de mort récurrentes.

Ces menaces et ce climat de guerre civile idéologique sont insupportables ! Il faut débattre mais pas ainsi, avec des arguments et non des invectives. C’est le sens de l’engagement du Comité Laïcité République.

Nos propositions sont concrètes.

D’abord faire appliquer la loi de 1905 dans tout le service public.

On en est loin. L’appliquer aussi sur tout le territoire national. C’est pourquoi nous avons contribué, avec d’autres associations laïques regroupées dans le Collectif laïque, à proposer une sortie concertée et progressive du statut dérogatoire en Alsace et Moselle. Et c’est naturellement que Françoise Laborde, Jean Glavany et moi-même n’avons pas voté l’avis récent de l’Observatoire de la laïcité qui ne reprend même pas ces perspectives défendues par les associations laïques des territoires concernés. Nous avons en revanche proposé et soutenu l’abandon du blasphème et de l’obligation de l’enseignement religieux dans les écoles publiques de ces départements (sauf dérogation). Ce sont là des symboles, mais ils sont importants, et nous attendons que le gouvernement reprenne ces propositions à son compte.

Nous demandons que la loi de 1905, en particulier l’article 2 qui précise que la République ne reconnait, ne subventionne ni ne salarie aucun culte cesse d’être contournée. Ainsi de nombreux conseils régionaux, départementaux et municipaux financent-ils des associations dites culturelles qui sont en fait souvent le faux-nez d’associations cultuelles. Des pressions sont ainsi exercées par des lobbys communautaristes sur les élus, parfois des menaces comme le révèle l’hebdomadaire Marianne dans son dernier numéro (n° 944). Une enquête parlementaire serait bienvenue permettant d’établir le point de la situation et de définir des critères d’attribution claire des subventions publiques aux associations.

Au-delà, nous avons, de plus en plus, à faire face à des problèmes de communautarisation qui ont émergé nettement depuis les années 2000, au point qu’il n’est plus possible de les traiter par le déni et l’évitement qui donnent le sentiment d’une impuissance de l’Etat et conduisent les populations les plus exposées à la tentation populiste. La loi de 1905 ne s’applique en effet qu’au secteur public. Pour autant cette laïcité publique n’épuise pas le sujet face aux revendications différencialistes.

Trois secteurs sont principalement concernés : les entreprises, les crèches et l’enseignement supérieur.

Sur les entreprises, nous avons organisé un colloque le 13 décembre 2014 et entendu de nombreux acteurs, en particulier Jean-Luc Petithuguenin, patron de l’entreprise Paprec, qui a fait voter par l’ensemble du personnel une charte de la laïcité. Que vaudrait une telle initiative si demain elle était attaquée devant les tribunaux ? Une nouvelle et récente étude montre que, bien que heureusement minoritaires, de plus en plus d’entreprises sont confrontées à ce type de problèmes. Que faire ? Faut-il préciser le code du travail ? Le sujet mérite d’être étudié sans passion et sans a priori.

Concernant les crèches, nous avons soutenu ces dernières années Natalia Baleato, la courageuse directrice de la crèche Babyloup qui, elle aussi, a fait l’objet de menaces. La justice a finalement tranché mais une jurisprudence, par principe, demeure fragile. C’est pourquoi, nous avions pris position en faveur d’une loi. La sénatrice Françoise Laborde en avait pris l’initiative. On sait le tir de barrage qu’elle a rencontré. La commission nationale consultative des droits de l’Homme et l’Observatoire de la laïcité s’étaient prononcés contre. Le 13 mai dernier, en première lecture, les députés ont voté une proposition de loi. Même édulcorée, elle grave dans le marbre un principe qui va permettre de développer des crèches laïques sur fonds publics. Curieusement, la presse ne s’en est pratiquement pas fait l’écho !

Reste le secteur de l’enseignement supérieur. La situation n’est pas alarmante car toutes les universités ne sont pas concernées. Mais elle est inquiétante. Pour des organisations islamistes, c’est une nouvelle occasion de mettre la République à l’épreuve. Pour des associations communautaristes, c’est une aubaine pour engager une citoyenneté à géométrie variable. Rappelons que Terre nova, think thank d’une partie de la Gauche, avait proposé d’élaborer une « citoyenneté musulmane, c’est à dire de renégocier les principes républicains en fonction des communautés d’origine !

Faut-il légiférer sur ces questions ? Le Comité Laïcité République n’est pas arc-bouté sur cette perspective si d’autres solutions peuvent-être envisagées. Mais il est urgent d’empêcher le port ostentatoire de signes et tenues religieuses, non sur les campus, mais dans les lieux d’enseignement, les amphithéâtres, les salles de travaux dirigés et les salles d’examen. Les propositions de la mission laïcité de feu le Haut Conseil à l’intégration méritent à tout le moins d’être examinées sérieusement. Il ne faut pas laisser s’installer un climat de provocation menaçant pour la paix civile. C’est le sens de notre colloque de ce jour.

Ces chantiers sont au coeur de la crise de société que connaît notre pays. Le Président de la République, à l’occasion du transfert des cendres au Panthéon de quatre citoyens qui ont engagé leur vie pour défendre les valeurs de la République, a souligné combien le combat contre la barbarie demeure d’actualité.

Le communautarisme nourrit la montée du Front National qui détourne la laïcité pour stigmatiser nos concitoyens de confession musulmane. On a envie de crier, pas elle ! Pas l’extrême-droite dont l’histoire s’apparente à un combat contre la laïcité et un plaidoyer en faveur d’une France blanche, catholique, apostolique et romaine !

A ceux qui croient lutter contre l’extrême-droite en affaiblissant, et en dénonçant la laïcité, nous voulons rappeler que pour importante qu’elle soit, la question sociale ne saurait masquer la question culturelle. La « communauté musulmane » ne constitue pas une nouvelle classe ouvrière qui aurait mission de combattre le système. Et qui justifierait les attaques contre les principes universalistes de la République. Les musulmans, de par le monde, sont les premières victimes de l’islamisme politique. Ils ne constituent pas en France, une classe à part dont certains convoitent le vote. Ils sont des citoyens comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Des soeurs et des frères en citoyenneté. Aussi convient-il de s’adresser à eux, non comme à une communauté de croyants mais comme à des citoyens de confession ou de culture musulmane. Il y a urgence. Ces sujets seront au coeur de la prochaine élection présidentielle. Pour faire face à ces défis, la République a besoin de plus et de mieux de laïcité. Osons le mot, la République a besoin de Fraternité.

Avant de céder la présidence de colloque à Alain Seksig, vice-président du CLR, inspecteur de l’Education Nationale, ancien président de la mission laïcité du Haut Conseil à l’intégration , je souhaite le remercier ainsi que Charles Coutel, vice-président, Philippe Foussier, président délégué, et Florence Sautereau, Secrétaire générale, qui ont grandement contribué à la réalisation de ce colloque. Que soient également remerciés les intervenants ainsi que les participants parmi lesquels, des élus, d’anciens ministres, des responsables d’associations laïques françaises et étrangères.

A tous, bon colloque.



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