"Faux amis de la laïcité et idiots utiles" (CLR, Licra, 5 nov. 16)

Patrick Kessel : Les communautarismes contre les Droits de l’Homme et du Citoyen (Colloque du 5 nov. 16)

Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République. 10 novembre 2016

La montée des communautarismes et des revendications différencialistes constitue un poison mortel pour notre démocratie car elle touche au coeur de ses fondements. C’est l’éthique universaliste des droits de l’Homme et du Citoyen qui se trouve contestée. C’est le contrat social qui est menacé. C’est pourquoi ce colloque s’est donné comme objectif de lever la chape de confusion qui pèse sur le débat politique à quelques coudées des élections présidentielle et législatives.

Les faux-amis de la laïcité, promoteurs du communautarisme, se posent en défenseurs des Droits de l’Homme. En réalité, c’est tout le contraire, l’essentialisme identitaire avançant comme un cheval de Troie pour attaquer de l’intérieur les principes des Lumières qui ont nourri la Révolution française, la République et les Droits de l’Homme et du citoyen.

Ces principes désormais contestés, ce sont
l’autonomisation de l’individu,
l’émancipation des hommes et des savoirs,
la liberté de conscience,
l’égalité en droit entre tous les citoyens
et en premier lieu entre hommes et femmes,
l’universalisme qui rejette toute distinction entre les êtres humains et constitue la clé de voûte du combat contre toutes les formes de racisme.

Ces six principes constituent ce qu’on pourrait qualifier de bloc philosophique des Lumières : toutes les citoyennes et tous les citoyens, quels que soient leurs origines, leur couleur, leurs appartenances, leur sexe sont des citoyens libres et égaux. C’est le socle de la République et de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme [1].

Il convient de rappeler qu’en 1948, les pays communistes qui lui reprochaient de n’être pas assez sociale et les pays arabes pour qui aucune déclaration ne pouvait être supérieure à la charia, ne la votèrent pas.

Ces principes des Lumières furent combattus férocement dès le début par ceux que l’historien Zeev Sternhell qualifie d’anti-Lumières, Taine, Barrès, Maurras... Ce fut la particularité de l’extrême-droite que de combattre les Lumières au nom d’une « France française », catholique, blanche, apostolique et romaine. Ce qui, aujourd’hui, lui confère peu de crédit pour se poser en défenseure de la laïcité ! Dans les années 70, le GRECE (Groupe de recherche et d’études sur la civilisation européenne) lança même le concept de « droit à la différence » pour légitimer des droits différents en fonction des origines.

Des anti-Lumières à gauche

Ce qui est malheureusement nouveau, c’est qu’une partie de la gauche a enfanté d’une nouvelle radicalité anti- Lumières. Déjà certains régimes communistes dans les années 70 avaient utilisé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour le retourner contre les droits de l’homme et du citoyen. Les droits du citoyen étaient étouffés au nom du Parti. Les communautaristes font de même qui évoquent d’ailleurs les droits de l’homme en oubliant le plus souvent les droits du citoyen.

La prophétie de Régis Debray s’est réalisée : le droit à la différence débouche sur la différence des droits. Avec les meilleures intentions du monde à l’origine, ce mouvement constitue un dramatique retour en arrière.

Au prétexte d’instaurer un droit à la différence, les revendications différencialistes assignent l’individu à résidence communautaire. Ce n’est pas d’extension du domaine des libertés individuelles qu’il s’agit mais de soumission de l’individu à sa communauté supposée. C’est une remise en cause des fondements de la citoyenneté et de la Fraternité républicaine.

C’est un think tank de gauche qui a ainsi proposé une « citoyenneté à géométrie variable » en fonction des racines culturelles de chacun. En 2004, le rapport Obin, réalisé par des inspecteurs de l’Education Nationale, avait pourtant alerté sur la montée des crispations et des conflits provoqués par les revendications et comportements communautaristes. Politiquement incorrect, on n’en tint pas compte. Depuis, la situation s’est profondément dégradée et touche désormais non seulement des écoles publiques mais aussi des crèches, des universités, des hôpitaux, des prisons, des entreprises..., le sport. De plus en plus de clubs de football amateurs sont constitués autour d’identités communautaires [2] alors que la philosophie de la compétition sportive, ainsi qu’il est dit dans la charte olympique, vise à rassembler les êtres de toutes origines [3].

Les communautarismes sont désormais porteurs de projets de contre-société. L’indivisibilité de la République est largement contestée. Le risque d’affrontements entre communautés chauffées à blanc se précise. Le déni n’est plus possible. Le discours « il n’y a pas de problèmes de laïcité en France » n’est plus tenable [4].

Il faut sortir de cette gigantesque confusion idéologique sous peine d’abandonner la politique entre les mâchoires des intégrismes politiques et religieux, complices de fait.

Encore faut-il mener la bataille des idées et en premier lieu nous réapproprier le sens des mots. Car au fil des ans, nous avons laissé filer. Désormais, la liberté est confondue avec le libéralisme, l’égalité avec l’équité, la solidarité avec la charité, la singularité avec la différence, l’universalisme avec l’addition des communautés, le culturel avec le cultuel. On le constate lorsque pour légitimer l’ouverture de crèches dans des mairies, certains évoquent une tradition culturelle, comme si la scène où l’éternel est censé se faire homme n’était pas d’abord d’essence religieuse ! [5] Et la laïcité est confondue avec le dialogue inter-religieux !

Dénaturation du débat politique

Sous ce salmigondis sémantique, la dérive idéologique portée par les extrêmes dénature le débat politique.

Une certaine ultra-gauche (islamo-gauchistes, identitaires, "Indigènes", collectif contre l’islamophobie...) poussent en ce sens voulant faire croire que l’enjeu serait la revanche des « ex-colonisés ». La laïcité serait ainsi devenue
« colonialiste », « raciste », « islamophobe ». L’islamophobie ! Ce concept sournois qui vise à interdire toute critique de l’islam radical. Et à détourner le combat antiraciste en confondant le racisme anti-arabe, qui constitue une triste réalité qu’il faut combattre avec la plus grande énergie comme toutes les formes de racisme, avec une pratique religieuse.

Ce type de discours mécaniste, dogmatique, exerce une influence profonde dans certains milieux progressistes pour qui les islamistes seraient en quelque sorte des victimes sociales, les héritiers des « damnés de la terre », un nouveau prolétariat. Jean Birnbaum, dans son dernier ouvrage, Un Silence religieux [6] montre comment l’Algérie fut « un véritable laboratoire de l’islam radical et, écrit-il, nous n’avons pas voulu le voir ». De la même façon, la cause nationale palestinienne a en partie troqué le keffieh pour le hijab et l’anti-sionisme s’est pour beaucoup installé dans l’antisémitisme.

Cette vision idéologique conduit aux pires régressions. Les femmes en sont les premières victimes.

L’extrême-droite de son coté a tenté un véritable détournement de la laïcité que j’avais analysé dès 2011 dans Ils ont volé la laïcité [7]. Il s’agit d’instrumentaliser les peurs et de récupérer l’électorat populaire.

Entre les deux, des intellectuels ont affublé la laïcité de qualificatifs, soi-disant pour la moderniser, en fait pour la vider de sa substance. La laïcité se devrait ainsi de devenir « moderne », « nouvelle », « ouverte », « apaisée », « inclusive », voire même « concordataire », un délicieux oxymore papiste ! [8] Les faux-amis affirment vouloir « adapter » la laïcité à la nouvelle sociologie et combattre l’extrême-droite. A leur corps défendant, ils en font le lit !

La confusion s’est généralisée. Les faux-débats, comme ceux de cet été, masquent les véritables sujets. Ainsi, s’opposent ceux qui prétendent interdire le voile partout sans toucher à la croix à ceux qui ne s’en prennent qu’à la croix mais ne veulent surtout pas toucher au voile.

La confusion est partout. Dans une partie de la presse qui a les yeux de Chimène pour le communautarisme. Un grand quotidien n’a-t-il pas publié une tribune intitulée « Le fondamentalisme laïque menace la France » [9] ?

Gauche et Droite, naviguant sans boussole, s’embourbent dans la course aux voix. Une partie de la droite file le train à l’extrême-droite tandis qu’une partie de la Gauche dérive d’accommodements en renoncements coupables. Et les élus locaux subissent les pressions des lobbys communautaristes.

Pour un véritable débat

Les associations laïques connaissent de profonds désaccords entre elles et parfois en leur sein. Pendant ce temps, les fractures s’élargissent.

La loi de séparation des églises et de l’Etat, contrairement à certaines affabulations, ne fut pas l’aimable synthèse d’un dialogue courtois avec l’Eglise – tous les députés ayant voté la loi furent d’ailleurs excommuniés – mais le fruit d’un dialogue complexe et par moments musclé entre Républicains. Il fallut de la trempe et du courage. Une telle audace serait-elle aujourd’hui impossible ?

Le retour du religieux en politique, la complicité objective entre les intégrismes religieux et politiques fragilisent les droits de l’homme et du citoyen et, au-delà, les principes mêmes sur lesquels reposent la République et la démocratie.

Loin des polémiques stériles et des anathèmes, il devient urgent que s’ouvre le véritable débat. C’est aussi le sens de ce colloque réalisé conjointement par Jacqueline Costa-Lascoux, la Licra et le CLR. Que soient remerciés tous ceux qui ont permis sa réalisation et les intervenants qui ont assuré son succès.



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