Note de lecture

Patrick Besson - « Trop stylé » diraient les jeunes (Th. Martin)

Note de lecture, par Thierry Martin. 14 juillet 2023

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Patrick Besson, Scènes de ma vie privée, Grasset, oct. 2022, 198 p., 19,00 €.

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Dans Scènes de ma vie privée, roman, Patrick Besson décrit un écrivain vieillissant en proie au tourment provoqué par le décalage entre ce qu’il rêve d’être et ce qu’il est devenu. Ce qui donne un roman truffé de formules dont il a le secret, et qui font mouche. Il est classé dans la mouvance des "hussards", avec son ami Eric Neuhoff qui vient de sortir Rentrée littéraire. Leurs romans se passent dans le même milieu, celui des écrivains et des éditeurs.

En exergue ce vers de Corneille. « Elle est trop dans son cœur, on ne l’en peut chasser » donne le « la » au livre. Lucien, romancier français de 68 ans, est dans un drôle d’état depuis qu’il a été abandonné par sa femme, Zoé, éditrice (puis romancière) de 33 ans ; s’il est hébété, c’est de voir sa solitude prendre des airs de liberté, et sa séparation n’être qu’un doux leurre tant elle reste présente. S’agit-il d’un double de l’auteur ? Pas vraiment, son récit autobiographique, Les jours intimes, où il narre sa relation père-fils mais aussi la rencontre avec sa femme d’origine suédoise, il l’a publié en 2012.

Publié par L’Huma, Le Figaro Littéraire, L’Idiot International et désormais Le Point, que ce soit un roman, une nouvelle, un récit autobiographique, un billet, un texte de Patrick Besson – dont je suis l’œuvre depuis mon adolescence – est immédiatement reconnaissable, toujours cette petite musique.

 « J’ai écrit dans de nombreux journaux mais toujours d’une seule manière. Je ne vois pas de différence caractéristique entre mes articles de l’Humanité et du Figaro Magazine. (...) Ce sont les mêmes idées de gauche et le même style de droite. (...) Il est hors de question que je me plie à une quelconque discipline, doxa, de la publication dans laquelle j’écris » [1]

Patrick c’est le copain qui publie à l’âge de 17 ans son premier roman, Les Petits Maux d’amour - il est de ceux dont la valeur n’attend pas le nombre des années - quand nous préparons le bac français en relisant Bel Ami de Maupassant, Le Père Goriot de Balzac et Le Rouge et le Noir de Stendhal. Monstres inaccessibles. Patrick lui nous donne l’impression que c’est facile, il nous donne envie d’écrire mais il n’y a que lui qui a cette facilité et ce style. Surtout pas Hemingway qu’il laisse aux journalistes, mais Francis Scott Fitzgerald qu’il nous fera redécouvrir. Son ascension sera fulgurante. Désormais auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages chez quatorze éditeurs différents, tandis que sa plume redoutée ne cesse de parcourir les pages des journaux et magazines.

Dans La Statue du commandeur, les libelles qu’écrit Pouchkine pour égratigner le Tsar font penser à ses billets parus dans L’Humanité, où il s’en prend aux courtisans socialistes qui vont à la gamelle du monarque républicain. Relire La vie quotidienne de Patrick Besson sous le règne de François Mitterrand. En septembre 2012, une chronique de Patrick Besson parue dans Le Point s’en prend à la désormais nobélisée Annie Ernaux – wokiste avant l’heure – pour avoir dirigé un appel collectif à l’encontre de Richard Millet qui perdra son job chez Gallimard, et surtout fourni une « liste exhaustive de dénonciateurs » qui restera dans l’histoire des lettres françaises comme la « liste Ernaux ». Cette vieille dame indigne s’affiche avec le leader islamo-gauchiste Mélenchon dont les pensées nauséabondes se cachent derrière un antisionisme qui ne trompe plus personne ; elle appartient à ses écrivains de gauche, mais du côté du manche, comme Daeninckx, Polac ou Goupil. Les ai-je bien descendus ? Critique littéraire acerbe, Patrick Besson, lui, s’en prend aux puissants – de gauche, forcément de gauche –, aux courtisés, participe aux polémiques publiques déclenchées par le journal L’Idiot international de Jean-Edern Hallier. Attaqué par Didier Daeninckx, celui qui se dit « communiste non pratiquant » lui consacre un féroce et désopilant pamphlet en forme de roman, intitulé Didier dénonce (éditions Gérard de Villiers) où le Didier est dépeint en collégien alcoolique et délateur.

Mais en 2002, de bon cœur, Patrick n’hésite pas à co-signer une pétition demandant une « solution rapide et décente aux problèmes fiscaux de Françoise Sagan », condamnée pour une fraude fiscale sur ses revenus de 1994 et devant à l’État 838 469 euros. Problème que résolut Sarkozy, une fois président, avec son fils, héritier des droits d’auteur et des dettes, par un très long étalement des paiements. Grand Prince, Besson dira : « Françoise Sagan doit de l’argent à l’État, la France lui doit beaucoup plus : le prestige, le talent, un certain goût de la liberté et de la douceur de vivre. »

En mai 2012, il est à l’origine d’une polémique en raison de la publication d’un billet dans Le Point où il parle de Najat Vallaud-Belkacem comme d’une "ingénue libertaire", de Fleur Pellerin comme une "geisha intellectuelle" ou de Christiane Taubira comme un "tanagra guyanais".

Toujours proche de la sensibilité serbe, un des seuls intellectuels à s’être opposé aux calomniateurs de la Serbie, il vient de publier Djokovic, le refus (Louison Éditions). Djoko le grand vainqueur du dernier tournoi de Roland Garros.

Dans Scènes de ma vie privée, son dernier opus, on retrouve son ironie mordante, son sens de la formule définitive sur fond de dégagement :

  • Page 28, à Éric l’un de ses éditeurs : « [nous] qui avons épousé des filles jeunes et qui nous sommes rendu compte que ça nous vieillissait ».
  • page 43, incorrect oblige : « La blondeur dorienne chère aux Grecs anciens avant que leurs ennemis bruns – Perses, Romains, Ottomans, Turcs – ne la noircissent. »
  • Page 102 : « Je lui souris. Elle ne me rendit pas mon sourire. À 2 ans et demi, les enfants rient ou pleurent mais ne sourient pas, à l’instar des adultes russes. Aucun sourire, par exemple chez Natacha Kouraguine. »
  • Page 121, un couple d’amis du narrateur visite la maison de John Keats à Rome : « – Mort à 25 ans comme moi, dit Natacha. – Tu as 25 ans mais tu n’es pas morte. – Je suis marié : c’est pareil. – Le mariage, c’est toi qui en a parlé la première. – Parce que je suis suicidaire. – Charmant début de voyage de noces. »
  • Page 169 : « On devrait savoir que tout finit mal : c’est dans la Bible. Dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. Et dans la plupart des chefs-d’œuvre de la littérature. »

Comme j’en plaisantais en aparté avec Eric Naulleau lors d’une soirée littéraire au club We are sous l’égide du Prix des Hussards, ce dernier convenait que le récent récipiendaire du prix Nobel de littérature en était l’exacte opposée, tant sur la forme que sur le fond. Stylistiquement, nous sommes passés chez l’écrivaine (que c’est moche) de la pauvreté à l’indigence. Ainsi le maigre incipit du Jeune homme de la nobélisée, à peine un pitch : « Il y a cinq ans, j’ai passé une nuit malhabile avec un étudiant qui m’écrivait depuis un an et avait voulu me rencontrer. » Fin de l’histoire pour la mère Ernaux, au bout du rouleau après trente pages. En revanche chez Patrick Besson, dès l’incipit le narrateur se souvient : « Mourir le cœur lourd. Cette expression – le cœur lourd – dont j’ai vérifié, Zoé partie, l’exactitude. L’explication de l’amaigrissement pendant un chagrin d’amour : le cœur pesant deux ou trois fois son poids habituel, il faut alléger le reste du corps si on ne veut pas tomber. Il y a aussi tourner en rond. Et faire les cent pas. Dans notre appartement de la rue des Trois-Frères (Paris XVIIIe), je tourne en rond et fais les cent pas. La chambre de Sabine est ma destination finale, avec son lit-bateau et ses livres illustrés. Il n’y a presque plus de jouets : Zoé en a emporté un certain nombre, ai jeté les autres. Les enfants ont trop de jouets. Les adultes aussi. (…) ». Et il ne vous reste plus qu’à lire la suite…

Thierry Martin

auteur notamment de
BoJo, un punk au 10 Downing Street,
Amazon, 2022, 312 p., 14,98 €.

[1L’Humanité, p. 16-17, vendredi 30 septembre 2011.


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